Uncle Acid & The Deadbeats - Nell’ Ora Blu

Chronique CD album (77:00)

chronique Uncle Acid & The Deadbeats - Nell’ Ora Blu

Je ne sais pas si j’ai bien fait pour attendre de les voir restituer leur album en live pour chroniquer ce dernier, mais une chose reste certaine : ce concert continuera à m’habiter longtemps. Uncle Acid & the Deadbeats ont pris tout le monde de cours en sortant en 2024 une œuvre surprenante à bien des niveaux. Tout d’abord, parce qu’elle ne ressemble en rien à ce que les « Bee Gee’s sous acide » ont habitué leur public, amateur de leur doom psychédélique un tantinet malsain. Un pari risqué, une audace personnelle, presque un suicide commercial. Ensuite, par son concept même, soit la bande originale d’un film qui n’existe pas. En l’occurrence, un hommage au giallo, ce genre cinématographique ultra codé dont Dario Argento s’est fait le chantre ultime. A la limite du kitsch, à grand renfort de giclées de ketchup en guise de sang, de prestations d’acteurs baignant dans le cabotinage, et d’éclairages surréalistes et criards. Le tout flirtant avec le polar mystique et le porno chic. Lorsque le saxo se traîne avec nonchalance sur les nappes de synthé, on imagine aisément un des personnages féminins se changer dans sa chambre de manière lascive, couvrant son corps voluptueux aux rotondités généreuses d’une nuisette légère, sous le regard lubrique d’un psychopathe roulant des yeux, caché derrière la fenêtre. En cela, le sexe et la mort habitent Nell’ Ora Blu et, paradoxalement, il suffit de fermer les yeux et de se laisser aller dans les volutes de fumée de cigarette pour progresser dans l’intrigue inquiétante que l’album narre durant plus de 70 minutes, des extraits de dialogues, en italien, entrecoupant les titres.

 

Nous sommes le 16 janvier 2025. Je cours vers l’Alhambra, à Paris, pour assister à la toute 1e date de la tournée des Britanniques proposant une restitution intégrale de l’album sur la scène. Cela fait 30 minutes que la nouvelle est tombée, comme un couperet, sur nos téléscripteurs. Un bouleversement dans le cosmos, un trou béant et infini formé en son centre pour avaler tout espoir de vivre une éventuelle année salutaire, au milieu des flammes qui ravagent le Pays des Rêves : David Lynch est mort, emporté par les complications de son emphysème suite à l’évacuation de sa maison pour échapper aux incendies qui détruisent Los Angeles, cette ville qu’il a tellement de fois magnifiée dans toute son horreur et toute sa beauté. Le maître est parti en fumée, emportant ses secrets dans les coulisses du Silencio et derrière les rideaux rouges de la Loge. Et pourtant, sa présence, son esprit, son âme, accompagneront la prestation de Uncle Acid and the Deadbeats. Au stand de merch, on m’annonce que les vinyles dispos à cette date sont tous partis, je me rabats sur le CD, avant de foncer trouver une place au balcon. Le public est intégralement assis. Nous sommes au théâtre, au music-hall, littéralement au Silencio, à tel point que je cherche du regard dans les rangées voisines Naomi Watts et Laura Harring. J’aimerais les prendre dans mes bras et pleurer l’immense perte que le monde de l’art, toutes disciplines confondues (cinéma, musique, peinture, photo), subit en ce funeste soir. Et en même temps, j’aimerais leur sourire parce que l’art sauve, et nous savons tous que nous allons assister à un spectacle sans nul autre pareil.

 

Dans l’album de UAatD, les vieux téléphones à cadran sonnent constamment, on y parle allègrement entre 2 titres ou sur l’intro d’une chanson. Sur la scène, à presque chaque poste des musiciens, un exemplaire de l’objet trône. Tout est en place, ne manque que le groupe pour donner corps et vie à la musique et aux images. Dans les films de Lynch, on communique beaucoup par téléphone. Son cinéma utilise à l’envi ces objets pour dresser des ponts entre différentes temporalités et différents espaces qui se répondent, communiquent, se télescopent, se rencontrent et se confondent. Les parallèles entre l’univers des musiciens et celui du cinéaste se multiplient. Mais pour le moment, « no hay banda ! »

 

En guise de 1e partie, le public a droit à un enchaînement sans fin de véritables bandes-annonces de films des 70’s, 80’s, tous aussi kitsch les uns que les autres, et partant, indispensables et cultes. Avec ce petit carton à la fin de certaines, précisant le classement dudit film, réservé à un public averti, ou rappelant qu’il est interdit de fumer dans l’auditorium, message signé par le Fire Marshall (sic). « Fucking Fire Marshall ! », lance un spectateur, à la 53e itération de l’avertissement. A l’issue de cette séance, vous voudrez absolument combler vos lacunes de cinéphiles en allant dénicher une copie de Scream Bloody Murder ou n’importe quelle autre joyeuseté de ce florilège. Les noms des acteurs défilent au gré des extraits, « Luigi ! », se réjouit bruyamment un autre spectateur, à la lecture du casting de l’un des films. On pense à ces vieilles salles de ciné (comme celle dans laquelle a lieu le concert) qui affichent les titres des films en grosses lettres sur leur façade, à leurs fauteuils étroits en velours rouge sentant le tabac froid et qui rendront hommage à Lynch ces prochains jours. « I just like going into strange worlds. RIP David  Lynch” ; “Blue skies and sunshine all along the way. Rest in Peace, David Lynch. 1946-2025” ; “The whole world is wild at heart and weird on top”… Et puisque nous sommes au spectacle vivant pour célébrer la mort, l’amour et la vie, ça commence à s’agacer au bout de 30 minutes de projection, ça siffle, ça remue dans les rangs pour appeler le groupe sur scène.

 

Première date de tournée oblige, quelques ajustements techniques prolongent le temps de pause entre la fin de la 1e partie et l’entrée en scène du combo. Et c’est parti pour une immersion dans Nell’ Ora Blu, baigné dans des lumières qui sentent le stupre et le sang. Fidèles à la version studio, les titres peuvent pour certains créer une certaine frustration, car, une fois lancés, se trouvent abruptement coupés, comme la fin d’une scène sujette à l’autorité du montage. Pour le reste, les musiciens délivrent une mise en scène sobre, répondant au téléphone, ou égorgeant un mannequin nu, tandis que les images défilent sur l’écran dans le fond de la scène. Je ne peux m’empêcher de rattacher le look de la claviériste, surtout lorsqu’elle empoigne son saxo, à un personnage lynchien, avec sa coupe de cheveux, tombant sur ses épaules en d’élégante vagues blondes tout droit sorties d’un casting truqué ou d’une banlieue tranquille où les drames se cachent derrière les picket fences. A la fin du concert, un ultime générique défile, avec cette fois les noms des musiciens et des techniciens les accompagnant. Le groupe revient une dernière fois sur scène, et, masqué de bas noirs, se lance dans un court déluge bruitiste et punk avant de disparaître comme dans un rêve. C’est là qu’on se rend à l’évidence. Si l’album rend hommage ici au giallo, il résonne tout autant avec l’héritage, conscient ou non, du génie qui vient de nous laisser orphelins. Une de ses chansons se nomme « Il chiamante Silenzioso ». Coïncidence ? Je n’crois pas !

photo de Moland Fengkov
le 01/03/2025

4 COMMENTAIRES

el gep

el gep le 01/03/2025 à 11:32:33

Oh moi aussi je parle de David dans une chronique à venir...
Sa disparition m'a marqué plus que je ne l'aurais cru.
A vrai dire je ne l'imaginais pas mortel.

Faudra que j'écoute cet Uncle Acid-là, ça fait envie !

Moland

Moland le 01/03/2025 à 11:42:45

Chez moi, j'ai décrété 1 an de deuil. J'ai revu récemment en salle "Lost Highway", la salle était pleine, autant de jeunes que de plus vieux, je me demandais combien voyaient ce chef d'oeuvre ultime, l'un des 5 meilleurs films de toute l'histoire des tops ultimes, pour la 1e fois et combien revenaient le voir en salle.
Bientôt j'organise un ciné club chez moi pour des potes qui ne connaissent pas bien Lynch. J'ai déjà le pop corn sucré arôme fraise et coca. Et je me suis mis à fumer la marque de cigarettes de Lynch. 

Aldorus Berthier

Aldorus Berthier le 04/03/2025 à 07:41:41

Un live report + une chronique d'album dans le même article ; tes fort l'ami

Moland

Moland le 04/03/2025 à 11:24:15

Davantage 1 live report qu'une chronique, d'ailleurs. Mais j'aime bien. C'est aussi 1 hommage à Lynch


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