Le Groenland face à son rêve d’indépendance: "Notre objectif ultime"
Il y a trois siècles, jour pour jour, les premiers colons danois débarquaient sur cette île-continent.
- Publié le 02-07-2021 à 18h22
- Mis à jour le 04-07-2021 à 13h19
Le 3 juillet 1721, le pasteur dano-norvégien Hans Egede accostait à Nuuk, au sud-ouest du Groenland, à la tête d’une expédition ordonnée par le roi Frederik IV du Danemark pour y établir une mission et prêcher la parole de Dieu parmi les Inuits d’une île arctique inconnue.
Trois siècles après, cet anniversaire marquant le début de la colonisation danoise, ne donnera lieu à "aucune célébration" assure la maire de la capitale groenlandaise Charlotte Ludvigsen, plutôt à "une réflexion nourrie" sur les rapports mitigés, souvent conflictuels, ces dernières décennies entre les insulaires et leurs anciens colonisateurs.
Car en dépit de la fin de la colonisation en 1953, de l’obtention du statut d’autonomie interne en 1979, puis celui d’une autonomie élargie en 2009, les Groenlandais n’aspirent qu’à l’indépendance.
Vers l’autodétermination
Aux dernières élections d’avril, remportées par Múte Bourup Egede, du parti Inuit Ataqatigiit (extrême gauche), quasiment toutes les formations politiques, à part Atassut, petit parti libéral, ont réitéré leur attachement à la souveraineté de l’île, "notre objectif ultime qui viendra en son temps" selon le nouveau Premier ministre pro-indépendantiste. Certains politiques, à l’instar de l’ancien chef de gouvernement Hans Enoksen, père du statut d’autonomie élargie, rêvaient en 2008 de voir leur pays "accéder à l’autodétermination en 2021", trois cents ans après le débarquement de Hans Egede sur l’île devenue un carrefour stratégique dans l’Arctique, objet de convoitises par de grandes puissances (États-Unis, Russie, Chine), en raison de ses richesses inexploitées.
Mais l’indépendance est ancrée dans les esprits. Et les relations avec la métropole témoignent de ce besoin d’émancipation des 50 000 Inuits. Des relations tendues notamment depuis 2017 lorsque le ministre groenlandais des Affaires étrangères de l’époque Vittus Qujaukitsoq a accusé le Danemark d’"arrogance" et de "double jeu" dans les négociations sur le nettoyage des déchets radioactifs américains près de la base radar US de Thulé, estimant que Copenhague fait preuve d’"une passivité révoltante".
Le Premier ministre d’alors, Kim Kielsen, a reconnu "des pierres d’achoppement" dans les rapports avec le Danemark, en soulignant "la nécessité pour nous d’affirmer que nous sommes sur la route de l’indépendance". Ainsi, il n’a pas apprécié l’intervention des autorités danoises qui ont rouvert une base navale, Groennedal, désaffectée depuis des années, car convoitée par un géant chinois, General Nice Group, qui voulait l’acquérir. "Je m’étonne de cette réaction car le Danemark a une grande activité commerciale avec la Chine. De quoi a-t-on peur pour faire barrage à la présence chinoise chez nous. Et si le Danemark pense que les Chinois sont criminels ou que la Chine est un État voyou, il faut le dire", s’est-il exclamé avant de poursuivre : "Pourquoi dit-on qu’ils sont dangereux alors que les Danois coopèrent étroitement avec eux ? Les Chinois investissent dans des mines partout dans le monde. Ils ont des capitaux. Alors pourquoi pas au Groenland ?"
Comme pour exprimer sa désapprobation avec Copenhague, Kim Kielsen, s’est rendu en novembre 2017 à la tête d’une délégation de 24 personnes à Pékin. "Une visite historique" , selon le chercheur Martin Breum, qui "montre que le Groenland mène une politique étrangère active, même si la Constitution du Royaume danois stipule que la politique étrangère est menée par le Danemark". "Elle est l’expression la plus claire de la volonté des gouvernements successifs à Nuuk de chercher pendant de nombreuses années de nouveaux partenaires dans le monde pour réduire la dépendance vis-à-vis du Danemark" , estime-t-il. Et en février dernier, Kim Kielsen, à la suite d’une nouvelle stratégie pétrolière et gazière du gouvernement local, a mené une campagne de promotion à Houston, au Texas, pour sensibiliser à l’ouverture de nouvelles zones d’exploration dans les eaux groenlandaises. "Le Groenland a les mêmes droits, dit-il, que tout le monde d’extraire et d’exporter ses hydrocarbures", une richesse indispensable pour assurer son indépendance économique de la métropole danoise.
Coopérer, mais avec qui ?
Face à ces velléités d’indépendance, Finn Lynge, membre éminent du parti historique Siumut, décédé aujourd’hui, a rappelé que "le Groenland ne pouvait être souverain et défendre son territoire avec une si petite population sur un territoire immense de 2,2 millions de km² " . "Mais nous pouvons coopérer avec d’autres pays pour la défense du Groenland" , a rétorqué M. Kielsen, un point de vue partagé par quasiment les autres responsables politiques.
Visage d’une minorité attachée à garder les attaches avec le Royaume du Danemark, Nauja Lynge, est "vivement préoccupée de voir un jour [son] île couper les ponts avec Copenhague". "Si les Danois venaient à disparaître, nous deviendrons simplement le 51e État américain ou nous passerons sous dominance russe ou chinoise. Est-ce un bien ?" s’interroge-t-elle.