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Tribune

« Arrêtons de décréter que l'erreur est possible si on ne nous autorise pas à en faire »

TRIBUNE // Même si se tromper semble admis dans le monde des études, du travail, de la formation, les discours ne sont pas suffisants. Il faut créer un cadre « safe » pour oser faire des erreurs. Son Thierry Ly, cofondateur de Didask*, une start-up qui propose un outil auteur e-learning dédié aux soft skills, et docteur en économie de l'éducation, nous explique pourquoi et comment s'y prendre.

L'erreur comme première source de progrès.
L'erreur comme première source de progrès. (DR)
Publié le 25 mai 2021 à 12:00Mis à jour le 13 févr. 2023 à 16:18

Le système éducatif souffre d'une perception souvent négative de l'erreur par les élèves et étudiants, alors qu'elle joue un rôle fondamental dans l'apprentissage. Tout au long de nos études, nous entendons qu'il faut faire évoluer notre rapport individuel à l'erreur : « Il ne faut pas avoir peur de se tromper », « Tu sais, c'est normal de faire des erreurs », « C'est comme ça qu'on apprend ».

Il en est de même dans le monde du travail. Confrontées à des marchés qui changent rapidement, les entreprises cherchent constamment à s'adapter. Pour cela, elles demandent aux salariés de faire évoluer leurs compétences, pour travailler de manière plus agile. Ce qui signifie aussi délivrer plus rapidement, pour recevoir des feedbacks, quitte à s'ajuster ensuite.

Tous ces discours sont évidemment louables, mais ils sont loin d'être suffisants pour faire évoluer le rapport à l'erreur dans les organisations.

Ayant eu l'opportunité de donner de nombreuses conférences scientifiques sur les mécanismes de l'apprentissage, j'observe que jeunes comme adultes sont assez facilement convaincus que l'erreur est une source d'apprentissage formidable. Demandez à une personne de vous citer une expérience dans laquelle elle a beaucoup appris : elle vous racontera souvent une erreur ou un échec et les leçons qu'elle en a tirées. L'enjeu n'est pas de convaincre sur l'importance de l'erreur dans l'apprentissage car la plupart des gens en sont déjà convaincus.

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Le rapport à l'erreur est une problématique collective

Si nous nous comportons comme si l'erreur était grave, c'est simplement parce que trop souvent, elle l'est bel et bien. On peut dire autant qu'on le veut à un.e élève ou un.e étudiante qu'il ne faut pas avoir peur de se tromper : lorsque ses erreurs ont un impact sur ses résultats, ses moyennes et son dossier, il.elle a bien raison d'en avoir peur.

Du côté des entreprises, comment en vouloir à ses collaborateurs de ne pas oser prendre de risques, quand les erreurs commises leur sont systématiquement remontées au moment de l'évaluation de fin d'année ? Difficile également de reprocher à ses équipes de manquer d'agilité, quand elles se font critiquer sévèrement dès lors qu'elles osent montrer un travail encore imparfait.

Le rapport à l'erreur n'est pas une problématique individuelle : c'est une problématique des organisations. Si les individus ont un rapport braqué à l'erreur, c'est avant tout parce qu'ils évoluent dans des organisations où ils paient cher les erreurs qu'ils commettent. Par conséquent, il ne suffit pas de décréter que l'erreur est possible, pour que les individus se sentent réellement autorisés à en faire. Il s'agit de mettre en place des environnements sécurisés, avec un cadre de confiance dans lequel les individus ont l'opportunité de pratiquer, de faire des erreurs et d'apprendre de celles-ci, sans qu'il n'y ait de conséquences. Comment ?

1/ La formation comme terrain de jeu

Cela commence par s'assurer concrètement que suffisamment d'occasions existent pour que chacun puisse pratiquer et s'exercer sans enjeux. Dans le monde de la formation, cela suppose d'éviter les formations constituées à 90 % d'apport théorique descendant, où l'évaluation finale est quasiment la première occasion d'appliquer le contenu du cours. Pour apprendre de ses erreurs, encore faut-il qu'il y ait l'opportunité d'en faire.

Proposer de nombreux exercices d'application et de cas pratiques - non évalués - tout au long d'une formation demande certes beaucoup plus d'efforts de la part des enseignants et formateurs. Mais c'est indispensable à un apprentissage de qualité pour tous.

2/ Celles et ceux qui n'ont pas encore fait doivent faire

Dans le monde du travail, plutôt que de confier systématiquement les mêmes missions aux collaborateurs qui les maîtrisent déjà parfaitement, on peut par exemple s'efforcer de réserver les tâches à faible enjeu à ceux qui les maîtrisent moins. Cela leur donne l'opportunité d'apprendre par la pratique, en sachant qu'ils peuvent faire des erreurs sans que celles-ci n'aient de répercussions.

3/ Changer les postures : féliciter les efforts plutôt que le résultat ou la performance (par exemple)

Nous sommes tous responsables du rapport à l'erreur des autres par les mots que nous employons, pas les comportements que nous adoptons au quotidien. Créer des environnements sécurisés implique également de faire évoluer ces postures, qui contribuent à générer une peur de l'erreur.

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Par exemple, la recherche en psychologie sociale montre que la manière de féliciter une personne lorsqu'elle performe dans un domaine, quel qu'il soit, a un effet néfaste sur le rapport à l'erreur. Prenons le cas d'un élève qui obtiendrait de bonnes moyennes en mathématiques, que vous félicitez en suggérant qu'il aurait un talent particulier pour les mathématiques (« tu es vraiment fort en maths ! »).

L'intention est bonne. Malheureusement, les études montrent que l'enfant risque ultérieurement d'éviter les situations où il risque de faire des erreurs. Mieux vaut éviter d'essayer de répondre à une question sans être sûr.e de la réponse, car il prendrait le risque de se révéler moins talentueux qu'on ne le pensait. A l'inverse, si vous félicitez l'élève pour son travail ou ses efforts - plutôt que son intelligence - vous contribuez à développer chez lui un rapport plus serein à l'erreur.

4/ Tout le monde est responsable du rapport à l'erreur dans l'entreprise

Beaucoup d'autres exemples que celui présenté ci-dessus pourraient être trouvés dans le monde éducatif, mais aussi dans le monde du travail. Par exemple, lorsqu'un collègue prend une initiative sur un sujet qu'il ne maîtrise pas bien, notre manière de réagir peut l'encourager à continuer et à apprendre, tout comme elle peut lui faire sentir qu'il ne devrait plus jamais retenter l'expérience.

Une transformation culturelle ne se décrète pas : elle se travaille patiemment sur le terrain, en faisant évoluer les pratiques pas à pas. C'est tout le défi auquel sont confrontées les organisations qui cherchent à instaurer un rapport serein à l'erreur : dépasser les discours et les injonctions pour créer les conditions qui autoriseront concrètement l'erreur en leur sein.

* Didask est une start-up spécialisée dans l'edtech qui développe un outil de conception e-learning dédié aux soft skills.

Son Thierry Ly, cofondateur de la start-up Didask et docteur en économie de l'éducation

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