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Procès médiatique, chantage aux subventions… Pourquoi les maires n’osent pas parrainer Éric Zemmour

Depuis des semaines, Éric Zemmour multiplie les appels pour encourager les maires à lui accorder les signatures qui lui manquent pour valider sa candidature à l’élection présidentielle. Si les choses semblent s’arranger, les chasseurs de parrainages de Reconquête constatent toujours une certaine frilosité. Décryptage.
Éric Zemmour profite de chacune de ses rencontres avec les Français pour recueillir des promesses de parrainages d'élus. Photo © Franck Castel/MAXPPP

Le 16 janvier dernier, sur le plateau de France Info, Sandrine Rousseau déclarait que « ce ne serait pas grave pour la démocratie », si Éric Zemmour n’obtenait pas les 500 parrainages indispensables pour se lancer dans la course à l’Élysée. Si cette nouvelle sortie fracassante de l’ancienne finaliste malheureuse de la primaire écologiste n’a pas fait autant réagir que ses conseils avisés en matière de surveillance des terroristes afghans, elle n’a pas manqué d’ulcérer les soutiens d’Éric Zemmour.

À commencer par Patrick Isnard, responsable du parti Reconquête en région PACA. A 60 ans, ce militant se réjouit que la force politique fondée par Éric Zemmour soit devenue « le premier parti des jeunes » et assure qu’en 40 années d’expérience en politique, il n’avait encore jamais vu « des militants aussi motivés et à fond ». Des militants tellement « à fond » que les soucis rencontrés par leur candidat pour récolter ses parrainages ne feraient que « démultiplier leur envie d’aller au combat », et ces problèmes, il le certifie, sont bien réels : « Ce n’est pas une stratégie. C’est vraiment compliqué ! Et pas seulement pour nous. Le RN est dans le même cas. » Le responsable du Parti Reconquête en PACA refuse de donner une estimation des promesses de parrainages recueillies jusqu’à présent dans sa région, mais assure que « pour l’instant, ce n’est pas suffisant » : « On aurait dû avoir très facilement une dizaine de signatures par département et on ne les a pas du tout. »

« Les maires disent vraiment non quand ils se sentent liés à une communauté de communes. Ils ont peur pour leurs subventions. »

La situation n’est pas simple non plus pour Arnaud Humbert et ses troupes, mais le coordinateur de Reconquête en Nouvelle-Aquitaine s’y attendait car il est chargé de prospecter dans « une des régions les plus compliquées, ancrée à gauche ». Malgré cela, avec ses 60 ambassadeurs Reconquête, une quarantaine de promesses de parrainages ont été recueillies, venues de tous les départements de Nouvelle-Aquitaine. « Ce ne sont pour l’instant que des promesses, relativise-t-il, mais chacune d’entre elles est issue d’un travail de fond. » S’il est encore un peu inquiet et ne lèvera pas le pied avant d’avoir atteint la barre des 80 parrainages en Nouvelle-Aquitaine, Arnaud Humbert pense qu’Éric Zemmour devrait réussir à avoir un nombre suffisant de signature le 4 mars, à 18 heures, date limite fixée par le Conseil constitutionnel : « La recherche est compliquée, mais si on recueille une cinquantaine de parrainages dans chaque région, ça devrait le faire. »

Un système féodal

La cinquantaine de signatures, les Normands de Reconquête, menés par Franck Buleux, l’ont atteinte depuis le début du mois de janvier et estiment pouvoir terminer cet harassant marathon avec une soixante de promesses de parrainages dans leur besace. L’aide des jeunes de Génération Zemmour ne sera pas de trop pour accomplir cette tâche. Flavien Oroy, le responsable de GZ Eure, passe déjà beaucoup de temps au téléphone à convaincre des maires de parrainer Éric Zemmour et estime qu’il faut environ une vingtaine de coups de fil pour obtenir une promesse de parrainage : « C’est mieux qu’en Île-de-France où l’on tourne autour d’une centaine de coups de téléphone pour obtenir une seule signature. » Si Flavien tombe parfois sur des élus hostiles, qui ne partagent pas les constats et les idées d’Éric Zemmour, bon nombre de ses interlocuteurs préfèrent tout simplement rester neutres, même quand ils sont d’accord avec le candidat, « sans doute par peur que leur soutien ne les expose à des représailles, au niveau du financement des collectivités ». Un constat partagé par Franck Buleux, pour qui « l’intercommunalité crée une certaine interdépendance » : « Les maires disent vraiment non quand ils se sentent liés à une communauté de communes. Ils ont peur pour leurs subventions. »

« C’est bien simple, dans les Alpes-Maritimes, rien ne se fait sans Éric Ciotti, pour le bassin grassois et le bassin cannois, et Christian Estrosi, pour Nice. Comme dirait Hamlet, il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark. »

Patrick Isnard, en région PACA, partage également ce triste constat de la peur qui peut régner au sein des intercommunalités. Il dénonce un « système de baronnie, un système féodal où l’on tient les élus par les cordons de la bourse et où l’on coupe la tête de celui qui ne dit pas amen ». Patrick Isnard en profite pour pointer directement du doigt Jérôme Viaud, le maire de Grasse et président de la communauté d’agglomération du Pays de Grasse : « Quand vous vous opposez à lui, il supprime les délégations. David Varrone, le maire d’Andon (petite commune du Pays de Grasse) s’est opposé au président de l’agglo et en a fait les frais. » Christian Estrosi et Éric Ciotti sont aussi dans le viseur du responsable de Reconquête en PACA. Le maire de Nice, soutien d’Emmanuel Macron, et le conseiller départemental des Alpes-Maritimes, finaliste malheureux du dernier congrès des Républicains, mettraient eux aussi la pression sur les élus qui seraient tentés d’accorder leur parrainage à Éric Zemmour : « C’est bien simple, dans les Alpes-Maritimes, rien ne se fait sans Éric Ciotti, pour le bassin grassois et le bassin cannois, et Christian Estrosi, pour Nice. Comme dirait Hamlet, il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark. » 

Grâce à ce système, Anne Hidalgo va se retrouver avec plus de parrainages que d’électeurs

Pour Arnaud Humbert, les élus ne craindraient pas seulement de perdre leurs subventions, mais ils auraient également peur de subir « les reproches de leurs administrés », voire de leur conseil municipal, en étant catalogués dans la presse « comme des soutiens » d’Éric Zemmour. C’est ce qui est arrivé, dans sa région, à Jérôme Pardes, maire de Salaunes, petite commune de 1 200 habitants, qui a dû subir les foudres de ses conseillers municipaux après que son parrainage accordé à Éric Zemmour a été largement relayé dans les médias. Si la situation s’est finalement arrangée, après une réunion exceptionnelle (et à huis-clos) du conseil municipal à la mi-janvier, la médiatisation des péripéties de Jérôme Pardes a sans doute pu décourager bon nombre d’élus de petites communes. Arnaud Humbert estime que ce genre de mésaventures est entièrement dû à « la transparence » des promesses qu’il voit comme « le nœud gordien du problème » et surtout comme un système qui  favorise les grands partis qui sont pourtant devenus « obsolètes dans la tête des gens » et ont « échoué quand ils étaient au pouvoir » : « C’est plus facile pour les partis qui ont des élus sur le terrain (PS, LR, PCF) qui donnent de facto à leur candidat. Grâce à ce système, Anne Hidalgo va se retrouver avec plus de parrainages que d’électeurs. »

À l’heure actuelle, Éric Zemmour aurait recueilli environ 400 promesses de parrainages. Comment récupérer à temps la bonne centaine de sésames manquants ? Avec l’aide des Républicains, que la rumeur voit intervenir en faveur du chef de file de Reconquête pour que Valérie Pécresse soit au second tour grâce à sa candidature ? En Normandie, Franck Buleux ne voit rien de tout ça et constate surtout une arrivée massive de « groupes de jeunes LR, de conservateurs, d’anciens électeurs de Fillon et d’ex-soutiens d’Éric Ciotti » dans les rangs de Reconquête, surtout depuis le serment de Villepinte et la nomination de Valérie Pécresse comme candidate LR à la présidentielle : « Ils ne se retrouvaient plus dans le parti ou en étaient exclus dès qu’ils parlaient d’immigration. Les Républicains ont la volonté de devenir un parti de centre-droit. Ils étaient à la recherche de leur Angela Merkel, ils ont trouvé Valérie Pécresse. »

En PACA, Patrick Isnard n’a pas remarqué non plus sur le terrain de coup de pouce particulier venu de LR. Pour lui, la solution pourrait passer par Emmanuel Macron et il estime que le président de la République doit intervenir pour éviter un fiasco démocratique : « Si des gens comme Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen et Éric Zemmour ne peuvent pas se présenter à l’élection présidentielle, Emmanuel Macron se retrouvera face à un énorme problème de légitimité, une déstabilisation de la République. »

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