Abus sexuels : l'Eglise a condamné le père Mansour Labaky, pas la justice
Mis en examen en France, le père Mansour Labaky a trouvé refuge au Liban. Ses victimes dénoncent l'enlisement du dossier.
Elle n'oubliera pas. Parce qu'on n'oublie pas l'angoisse du soir qui vient, la visite obligée au prêtre abuseur, l'incompréhension, le silence qu'on s'inflige à soi-même. M. fut l'une des adolescentes victimes du père Mansour Labaky, mis en examen en avril 2013 à Caen (Calvados) pour des "viols et agressions sexuelles sur mineures de 15 ans" commis à Paris et à Douvres-la-Délivrande (Calvados), où il dirigeait un foyer d'accueil de jeunes garçons et filles entre 1991 et 1998. Aujourd'hui, le chrétien maronite, âgé de 79 ans, a regagné son pays, le Liban.
Et l'instruction n'est toujours pas terminée. "On a l'impression qu'on se moque un peu de nous, confie M. C'est terrible, tant qu'il ne sera pas condamné, c'est comme s'il n'était pas reconnu coupable."
Une lettre d'excuse
Cette lenteur exaspère la dizaine de victimes identifiées de Labaky. Solange Doumic, avocate d'une ancienne pensionnaire, a vainement demandé le dessaisissement de la juge en avril. Le dossier semble s'être enlisé dans des sables procéduraux, alors même que les gendarmes avaient conduit leurs investigations avec diligence : recueil de témoignages concordants, éléments matériels, aveux partiels du suspect, etc. Dès 2014, cela semblait suffisant pour le renvoyer devant la cour d'assises. Et au moins le juger en son absence, puisqu'en 2017 le ministre de la Justice libanais a refusé d'extrader vers la France son ressortissant visé par un mandat d'arrêt international.
"Il n'hésite pas à abuser de son autorité morale, spirituelle, religieuse […] pour finalement solliciter des faveurs sexuelles
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Cette fois, aucun reproche ne peut être adressé à l'Eglise. Dès 2011, la Congrégation pour la doctrine de la foi, chargé de ce genre de cas, s'était emparée de celui de l'abbé Labaky à la suite de signalements à la hiérarchie catholique française. Elle l'avait condamné à une vie de prière dans un lieu retiré, lui avait interdit de célébrer la messe, de confesser et d'assurer toute direction spirituelle. Le décret était rédigé dans des termes sévères. Et ne laissait aucun doute sur la réalité des faits. "Il n'hésite pas à abuser de son autorité morale, spirituelle, religieuse […] pour finalement solliciter des faveurs sexuelles", est-il écrit.
Le document rappelle aussi que "l'accusé reconnaît sa culpabilité pour trois des 17 accusations", même s'il souligne qu'il "a été sollicité et qu'il a eu un moment de faiblesse". Une lettre d'excuse adressée à l'une de ses victimes est aussi versée au dossier. "Je viens sincèrement du plus profond de mon cœur te demander pardon pour la blessure que je t'ai causée, assure Mansour Labaky à A., alors que je n'avais nulle conscience de la portée malheureuse d'un geste que je voulais paternel."
Il avait instauré un rituel au coucher
"L'Eglise a fait tout ce qui était en son pouvoir pour le sanctionner, elle ne peut pas faire plus, et la justice laïque est inopérante", déplore Me Doumic. Pourtant, lorsqu'en 2011 plusieurs des victimes de l'abbé sont entrées en relation à l'initiative de l'une d'entre elles, elles croyaient à une issue favorable. Le moment était venu d'échapper à l'emprise d'un homme dont beaucoup vantaient le charisme. A Beyrouth, il avait la réputation d'avoir sauvé des orphelins d'un massacre. A Paris, il séduisait par sa faconde toute une frange de catholiques traditionnels, appartenant le plus souvent à la haute société.
"Je m'étais persuadée qu'il était exceptionnel ; à tel point que je l'ai invité à mon mariage!
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Des personnalités en vue, l'historienne Jacqueline de Romilly, le comédien Jean Piat, lui accordaient leur soutien, convaincues d'agir pour une bonne œuvre. "Malgré des cauchemars que je ne comprenais pas, j'avais refoulé tout ce qui m'était arrivé, raconte M. Je m'étais persuadée qu'il était exceptionnel ; à tel point que je l'ai invité à mon mariage!"
Au Foyer normand, le religieux avait instauré un rituel immuable. A l'heure du coucher, il parcourait le dortoir des jeunes filles et leur souhaitait bonne nuit à sa manière. Il leur avait imposé de l'appeler "abouna", "notre père" en araméen. Parfois, il convoquait l'une d'entre elles dans sa chambre au prétexte de la confession. Il s'y livrait alors à des abus qui pouvaient aller jusqu'au viol. Cette stratégie perverse est détaillée de manière quasi identique par plusieurs des victimes entendues dans l'enquête française. Toutes décrivent, par exemple, sa grande attirance pour les seins, qu'il brutalisait. Elles donnent aussi des détails anatomiques du suspect impossibles à connaître dans la vie courante.
Le témoignage de sa propre nièce
Un témoignage supplémentaire, d'une autre origine, recueilli par les enquêteurs vient ajouter au trouble. Il émane de la propre nièce de Mansour Labaky. Celle-ci révèle qu'au Liban, déjà, l'abbé se livrait à des agressions sexuelles sur les membres de sa propre famille, dont l'épouse de son neveu. Elle-même explique avoir été l'une de ses cibles à l'âge de 13 ans. Aujourd'hui installée aux Etats-Unis, elle raconte la terreur que lui a inspiré le frère de sa mère.
"Pendant les premières années où je vivais ici, je n'ai donné mes coordonnées à personne de ma famille de peur de voir Mansour débarquer." Quand elle décide de se joindre à l'action menée en France en 2011 par d'autres victimes, elle explique que son oncle tente de la faire passer pour folle. "Il disait que j'appartenais à une secte pour être sûr que je ne sois pas crue. L'enfer, je l'ai vécu sur terre. Pour moi, ce n'est pas après la mort. On ne peut pas le laisser gagner." Sollicité par le JDD, Antoine Korkmaz, l'avocat parisien de Mansour Labaky, n'a pas donné suite.
François lève le "secret du pape"
C'est un geste de plus dans la lutte contre les agressions sexuelles dans le monde catholique. Le pape François a levé mardi le secret pontifical destiné à protéger les informations sensibles relatives à la gouvernance de l'Eglise universelle. Dans ces affaires, les plaintes, témoignages et documents de procès archivés par l'autorité religieuse pourront désormais être transmis aux magistrats civils. "Aucune obligation de silence concernant les faits en cause ne peut être imposée à ceux qui les dénoncent, à la personne qui affirme en être la victime et aux témoins", écrit encore le Vatican.
Deux limites sont toutefois fixées. Le pape exige que ces informations soient traitées "de manière à garantir la sécurité, l'intégrité et la confidentialité […] afin de protéger la bonne réputation, l'image et la vie privée de toutes les personnes concernées". Par ailleurs, le secret de la confession demeure absolu, ce qui exclut toute dénonciation de faits rapportés par un fidèle dans le confessionnal. M.Q.
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