Palais idéal du Facteur Cheval : L’histoire d’une œuvre évolutive

Palais idéal du Facteur Cheval : L’histoire d’une œuvre évolutive
Plongez dans l'histoire du Palais idéal du Facteur Cheval. Photo ©Pixabay/Alex Olzheim

Architecture foisonnante, protéiforme, le Palais idéal s'avère une œuvre évolutive, mouvante et constamment reprise par le Facteur Cheval. Sur près de trente-trois années, ignorant tout des règles de l'architecture, il étoffe son palais, agrégeant des éléments hétéroclites, dans une démarche totalement empirique.

En 1879, Ferdinand Cheval entreprend la construction de son Palais idéal. Cette date est ostensiblement indiquée sur le tympan surmontant la Grotte de Saint-Amédée. Pourtant, il ne s’agit là que de l’aspect matériel, parce que, dans l’esprit du facteur, le monument avait commencé à prendre forme plusieurs années auparavant, au cours de ses longues tournées. « Que faire ? en marchant perpétuellement dans le même décor, à moins que l’on ne songe ? », interroge-t-il dans une de ses autobiographies en 1911. La découverte d’« un vieux livre illustré de contes orientaux » ouvre un nouvel horizon à ses rêveries, et, plus particulièrement, l’une de ses images montrant un palais bâti par un prince indien. Le Facteur Cheval s’abandonne alors à ses chimères, édifiant en imagination un palais onirique, qui aurait pu le rester, si un événement anodin ne l’avait pas déterminé à lui donner corps.

L’événement déclencheur

Lors d’une de ses tournées, en avril 1879, le facteur trébuche sur une roche. Inspectant l’objet, qu’il baptisera « pierre d’achoppement », il y découvre des formes singulières, modelées par l’érosion, puis s’enquiert d’autres exemples alentour. « Je me suis dit : puisque la nature veut faire la sculpture, je ferai la maçonnerie et l’architecture », explique-t-il. Il fait une première récolte de pierres, qu’il ramène sur un terrain acheté quelque temps auparavant. Le 23 janvier 1879, il avait acquis, dans le quartier du Moulin, une parcelle de pré d’un peu plus de 400 mètres carrés, pour 240 francs. La présence d’« un canal d’arrosage permettant la distribution de l’eau » devait se révéler précieuse pour la fabrication des mortiers. En fond de parcelle, le facteur commence ses premières constructions, une fontaine, la Source de la vie, achevée en 1881, puis la Source de la sagesse (1881-1884), qui, toutes deux, encadrent la Grotte de Saint-Amédée, saint patron de Hauterives.

Développements progressifs

Loin d’être la transcription matérielle d’une forme pleinement constituée dans l’esprit de son concepteur, le Palais idéal est le produit de développements progressifs, rendus possibles par l’achat au fil du temps des terrains voisins. Œuvre évolutive, mouvante, constamment reprise, elle porte en elle la marque d’une démarche empirique, agrégeant des éléments hétéroclites. Dès 1882, une première extension vers le nord débute avec la mise en chantier du Tombeau égyptien. Celui-ci sera complété par un Monument égyptien, ensuite rebaptisé Temple de la Nature (1884-1891).

Sur la gauche, l’érection des Trois Géants, représentant Jules César, Vercingétorix et Archimède, s’achève en 1895 (puis est reprise plusieurs fois jusqu’en 1902). Au final, cette première façade se déploie sur 26 mètres de longueur. Mais le facteur ne va pas en rester là. « Lorsque j’ai commencé, je ne pensais pas arriver à des proportions pareilles, mais je trouvais toujours quelque chose de nouveau dans mes rêves et je construisais à mesure », explique-t-il en 1905. L’agrandissement de son domaine favorise l’expression de ses rêveries. En 1888, Cheval avait acquis à l’est une parcelle de près de 900 mètres carrés, achat complété l’année suivante par un terrain au nord de 400 mètres carrés environ. Sur le premier, il construira, avec l’aide d’un maçon, la Villa Alicius (1895), où il s’installe avec son épouse.

En 1896, l’achat d’un terrain à l’arrière rend possible l’édification d’une nouvelle façade côté ouest qui va permettre de doubler la surface du palais. Dominée par la Mosquée, cette façade occidentale et sa terrasse sont provisoirement achevées en 1902, trois ans après la façade orientale. Mais, à cette époque, les niches rythmant la façade restent vides, comme le montre une photographie de 1907-1908. C’est au cours des années suivantes qu’elles s’ornent d’architectures en réduction, représentant un temple hindou, un chalet suisse, une maison carrée d’Alger, un château du Moyen Âge ou une maison blanche. De part et d’autre, deux façades latérales complètent la composition. La première, au sud, abrite un Musée antédéluvien, où sont rassemblées des collections de pierres. La seconde, au nord, « surtout construite en tuf et pierres de rivières », repose sur un soubassement fait de petites grottes, et « on y voit bien des choses : des pélicans en pierre ou façonnés par moi, le cerf, la biche, le petit faon, le crocodile ; au-dessus un énorme rocher d’où sortent de nombreux serpents aux yeux fascinateurs », décrit le maître d’œuvre.

Quoique le terme officiel de la construction soit daté de 1912, il semble que les travaux ne s’achèvent vraiment qu’en septembre 1913. Comme il le rappelle sur une inscription du palais, le facteur a mené seul ce chantier, ce que corroborent tous les témoignages. C’est donc seul qu’il a rassemblé les matériaux nécessaires, partant souvent à la nuit tombée avec sa brouette ramasser les pierres repérées lors de sa tournée. Morceaux de tuf, de grès, silex, galets constituent sa matière première.

Parmi toutes ces roches, il s’intéresse notamment à la « pierre mollasse travaillée par les eaux et endurcie par la force des temps ». Comme il l’écrit à Émile Lepage en 1905, cette roche locale « représente une sculpture aussi bizarre qu’il est impossible à l’homme de l’imiter, elle représente toute espèce d’animaux, toute espèce de caricatures. » À cette collecte, Cheval ajoute des coquilles d’huître et des coquillages qu’il fait venir de Marseille.

Empirisme et expérimentations

Pour mettre en forme ses visions, il ne peut compter sur aucune compétence en maçonnerie. « Du rêve à la réalité, la distance est grande, n’ayant jamais touché ni la truelle du maçon, ni le ciseau, ni l’ébauchoir, et j’ignorais absolument les règles de l’architecture », souligne-t-il en 1911. Il entre ainsi beaucoup d’empirisme et d’expérimentation dans ses techniques de construction, même si le résultat se révèle d’une grande solidité. Le palais est bâti sur une ossature en pierre ou en parpaings fabriqués avec de la chaux, du sable, du gravier, des galets et de la cendre. Cheval utilise également du ciment armé et du mâchefer, un résidu de combustion du charbon dans les hauts fourneaux. Pour les dalles de couvrement, il met en œuvre des panneaux préfabriqués en ciment armé sur des armatures en fer.

Puis vient la part la plus créative de son travail, celle de l’ornementation : les éléments décoratifs sont appliqués sur la maçonnerie grâce à un mortier. Ce procédé rappelle l’architecture vernaculaire, dans le nord de la Drôme et dans une petite partie de l’Ardèche voisine, où l’on construit des murs en galets solidarisés par un mortier. On note toutefois une évolution des techniques décoratives entre la façade Est et la façade Nord, la dernière à être achevée. Au fil du temps, le facteur utilise moins de pierres de récupération et privilégie les modelages, réalisés en mortier de chaux, en ciment ou en plâtre sur des armatures en fil de fer. La construction a nécessité 3500 sacs de chaux et de ciment pour 1000 mètres cubes de maçonnerie. Converti en temps de travail par le bâtisseur lui-même, cela représente plus de trente ans : « Plus opiniâtre que moi se mette à l’œuvre », conclut-il.

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