abo «Il n'y a pas photo: il faut que les femmes enceintes se vaccinent»

David Baud, chef du service d'obstétrique du CHUV, pose devant une échographie dans une salle de la maternité en décembre 2020 à Lausanne. | Keystone / Jean-Christophe Bott
David Baud, chef du service d'obstétrique du CHUV, pose devant une échographie dans une salle de la maternité en décembre 2020 à Lausanne. | Keystone / Jean-Christophe Bott

Lorsque leur route croise celle du Sars-CoV-2, les femmes enceintes risquent une évolution de la maladie plus sévère que la population générale, même en étant jeunes et en bonne santé. Pourtant, à ce jour, les autorités sanitaires ne recommandent la vaccination qu’aux femmes enceintes avec une maladie chronique ou très exposées au virus. Les autres ont la possibilité de se faire vacciner au cas pour cas, après une «analyse minutieuse des bénéfices et des risques» par le médecin.

Pourquoi on en parle. Face à des gynécologues parfois embarrassés et un formulaire de consentement qui peut être intimidant, de nombreuses femmes hésitent à l’heure de prendre une décision. Le Pr David Baud, chef du service de gynécologie-obstétrique du CHUV et co-auteur des recommandations en la matière de la Société suisse de gynécologie et d’obstétrique (SSGO), invite les femmes concernées à sauter le pas. Pour leur santé, mais surtout celle de leur enfant à naître.

Heidi.news — L’OFSP et la SSGO ne recommandent pas clairement la vaccination générale pendant la grossesse. La SSGO indique: «toutes les femmes enceintes qui le souhaitent ont la possibilité de se faire vacciner». Comment interpréter un tel énoncé?

David Baud — Pour moi, il n’y a pas photo. Je recommande vivement la vaccination à toutes les femmes enceintes. Il faut bien comprendre qu’une femme enceinte qui attrape le Covid a environ 5% de chance d’être admise aux soins intensifs et qu’il y a un risque conséquent d’accouchement prématuré — environ trois fois plus élevé — lors d’une infection par le Covid-19 durant la grossesse. Pour le bébé, c’est 15% de chance de finir aux soins intensifs de néonatologie si la mère attrape le Covid. Le plus souvent suite à un accouchement induit par les médecins en raison de la détérioration de l’état maternel.

Même si, faute de données d’études cliniques suffisantes sur la sécurité, les autorités sanitaires se montrent prudentes, je suis confiant. Entre 200’000 et 300’000 femmes enceintes ont été vaccinées dans le monde à ce jour, sans qu’aucun effet indésirable imprévu ne soit observé chez la mère ou l’enfant. Nous savons que les effets secondaires pour la femme enceinte sont équivalents à ceux de la population non-enceinte et qu’il n’a pas été montré de risque pour la grossesse et le développement de l’enfant.



Un risque Covid nettement majoré

Les chiffres concernant les risques liés à une infection Covid chez la femme enceinte varient considérablement selon les données auxquelles on se réfère. La plus grande cohorte étudiée à ce jour a fait l’objet d’une publication en avril 2021 dans Jama Paediatrics. Elle concerne plus de 2000 femmes enceintes recrutées dans 18 pays (dont la Suisse) au cours de leur grossesse, dont quelque 700 positives à Covid-19. Il s’avère que le risque d’admission en soins intensifs au cours de la grossesse ou pendant l’accouchement était cinq fois plus élevé en cas de Covid-19 (8% vs 1,6%) — et le risque de décès de la mère 20 fois plus élevé, mais ce dernier effet était surtout sensible dans les hôpitaux des pays en voie de développement.


Si la balance bénéfice-risque est autant en faveur de la vaccination, comment expliquer que l’OFSP ne l’encourage pas davantage?

La Société suisse de gynécologie et l’OFSP discutent activement. La grossesse est un sujet très émotionnel et il y a une volonté de prudence, une politique du petit pas.

Cela dit, nous savons que l’efficacité des vaccins ARN est équivalente chez les femmes enceintes et le reste de la population. Et les effets secondaires sont comparables, avec un risque de l’ordre de 15% de faire de la fièvre à la suite de la seconde injection. Nous avons vu plusieurs femmes enceintes jeunes et en bonne santé devoir être hospitalisées aux soins intensifs durant cette épidémie. C’est devenu évident pour moi que le bénéfice penche largement en faveur du vaccin pour protéger les femmes enceintes. Et surtout protéger leur bébé.

En Suisse, les femmes doivent attendre le deuxième trimestre pour se faire vacciner. Pourquoi?

Il ne s’agit pas d’une question de risque lié à la vaccination. C’est parce que le risque de fausse couche existe durant le premier trimestre — une femmes sur quatre expérimente une fausse couche avant 12 semaines de grossesse durant sa vie. Nous ne souhaitons pas que la femme qui perdrait son enfant associe cette perte à la vaccination. Nous savons que les deux événements ne seraient pas liés, car des études montrent clairement que le taux de fausses couches n’est pas augmenté du fait de la vaccination. A noter que d’autres pays, comme les Etats-Unis, proposent la vaccination durant toute la grossesse, y compris au premier trimestre.

Certaines femmes se sont fait vacciner sans savoir qu’elles étaient enceintes en Suisse durant leur premier trimestre. Ce n’est pas grave du tout. Lorsque cela arrive nous attendons simplement le deuxième trimestre pour la deuxième dose.

A l’inverse, une femme peut-elle se faire vacciner juste avant d’accoucher?

On voit que les femmes sur le point d’accoucher préfèrent attendre. Si on parle d’une ou deux semaines et que cela les rassure, pourquoi pas. Mais si on est encore loin du terme, je conseille de se faire vacciner. Le plus tôt est le mieux. Il ne faut pas attendre la rentrée pour voir ce qu’il se passe d’un point de vue épidémiologique. Le virus mute toutes les deux ou trois personnes infectées, avec le risque de développer un variant plus contagieux ou plus pathogène.

Certains gynécologues semblent peu enclins à promouvoir la vaccination, et les femmes volontaires doivent signer un consentement. Cela a de quoi décourager…

Cette pratique est courante, nous faisons également signer un formulaire en cas de césarienne, par exemple. Nous nous dirigeons de plus en plus vers des démarches participatives en santé. Le patient ne suit plus aveuglement les instructions d’un médecin, mais est impliqué dans la démarche du soin. Le formulaire n’a pas pour but de nous protéger, nous médecins, mais d’impliquer la patiente.

C’est surtout un moyen pour l’OFSP et la SSGO de s’assurer qu’en Suisse, toutes les femmes enceintes reçoivent la même information. On peut y lire les avantages comme les inconnues. C’est important, car nous n’avons pas encore des années de recul pour savoir par exemple combien de temps le vaccin protégera et s’il faudra refaire des doses de rappel à l’avenir. Cela dit, ce vaccin ne contient pas d’adjuvant et il n’y a pas de risque de modification génétique pour les patientes et leur fœtus.

La patiente enceinte doit vraiment se poser la question du risque à prendre:

  • entre celui de ne pas être vaccinée et de risquer une évolution sévère du Covid pour elle (5%) et son enfant (15%);

  • et celui de se faire vacciner, sans risque observé à ce jour sur la grossesse de centaines de milliers de femmes vaccinées.

Une fois vaccinée, comment la femme enceinte est accompagnée?

Un suivi est proposé aux femmes enceintes vaccinées. Elles sont notamment invitées à remplir un formulaire. Au CHUV, où nous compilons les données pour la Suisse, nous essayons de comprendre quel est le profil des femmes enceintes qui ont opté pour la vaccination, combien elles sont, quels ont été les effets secondaires qu’elles ont expérimentés, etc. Avec le consentement des patientes, on croise ces données à celles de l’accouchement. C’est important d’avoir des données suisses pour développer notre connaissance.

Que sait-on à ce jour au sujet de la protection que confère la vaccination de la mère au fœtus?

Nous savons désormais que — au même titre que la vaccination contre la coqueluche pendant la grossesse — une partie des anticorps développés par la mère suite à l’injection passe la barrière placentaire et se transmet au fœtus. Nous en déduisons qu’à la naissance, les nourrissons dont la mère a été vaccinée durant la grossesse sont protégés contre Covid-19. C’est une bonne nouvelle, car les formes graves de la maladies chez les enfants sont rares, mais pas inexistantes.

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