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Pour une écologie enracinée : localisme et mise en valeur des terroirs (1/2)

Synthèse de l'intervention de Julien Langella, provençal, co-fondateur de Génération Identitaire et vice-président d'Academia Christiana, journaliste et essayiste, lors du colloque "La nature comme socle, pour une écologie à l’endroit" le 19 septembre 2020.

Pour une écologie enracinée : localisme et mise en valeur des terroirs (1/2)

L’écologie est l’ensemble des recherches et des connaissances sur les relations entre un être (qu’il soit homme, végétal, animal ou minéral) et son milieu, son écosystème. En grec, oikos est la « maison ». « Économie » et « écologie » ont donc la même racine : ce sont deux réflexions qui portent sur la façon d’habiter et d’entretenir notre maison, notre patrie.

La fragilité intrinsèque de l’écologie politique

A propos de la tendance politique, on devrait parler – d’ailleurs, c’était le terme utilisé depuis son invention dans les années 30 par Bertrand de Jouvenel – d’« écologie politique », ou d’écologisme. L’écologisme est donc la traduction politique de constats scientifiques sur l’empreinte de l’homme dans la nature. Par conséquent, il y a une difficulté intrinsèque à populariser l’écologisme, à en faire un mouvement de masse qui mobilise les foules avec des slogans, des drapeaux immédiatement reconnaissables et toute une esthétique militante. Le socialisme a son drapeau rouge, ses « lendemains qui chantent » et son panthéon de tribuns célèbres parce qu’il s’appuie sur des mots, des concepts et des idéaux qui font mouche dans la psychologie des hommes. Le socialisme, comme toute idéologie, a une couleur, une odeur, il est incarné, charnel.

L’écologie politique, plutôt que des mots d’ordre et des appels à la grève générale, arbore des résultats d’études savantes et des statistiques. Ouvrez une revue écologiste, comme L’Écologiste – qui est remarquable au demeurant, et vous aurez quelques pages un peu techniques consacrées à la population des cigognes en Alsace ou des gabians en Provence. Les associations « écologistes » les plus anciennes et actives sont des associations de sauvegarde d’espèces animales comme la Ligue de Protection des Oiseaux. Paradoxalement, le talon d’Achille de l’écologisme, c’est son réalisme, son ancrage dans une réalité mesurée.

Alors, vous me direz « oui mais l’écologie est à la mode, des mairies ont été conquises aux dernières élections municipales et, partout, on ne parle que de tri sélectif et de gestes “éco-responsables” pour sauver la planète. » Certes mais dans l’espace politique, l’écologisme indépendant n’existe pas. Seul l’écologisme associé à la nouvelle gauche féministe et pleurnicharde (pléonasme) remporte des victoires. Cet écologisme est matriarcal, ou femelle, dans la mesure où il dérive de l’obsession du care : le « soin », la « bienveillance » en anglais. Bienveillance à l’égard des animaux d’élevage et des taureaux de corrida, mais aussi à l’égard des immigrés, de la racaille, de la drogue, de l’écriture inclusive, de Black Lives Matter, des rassemblements « antiracistes » fermés aux Blancs, des indigénistes haineux, des multinationales de la junk food dès lors qu’elles proposent à leurs clients des gobelets en carton, etc. Ce n’est pas « l’écologie » qui triomphe actuellement dans l’opinion. C’est une nouvelle gauche repeinte en vert, comme il y a un capitalisme repeint en vert : c’est le greenwashing pour tous.

Comme l’explique l’écologiste Jean-Pierre Dupuy, professeur de philosophie politique à Polytechnique et partisan du « catastrophisme éclairé », un événement impressionnant peut transformer rapidement notre vision du monde et une société entière peut renoncer à certaines de ses croyances, mais il est plus difficile d’imaginer que cette société puisse bouleverser ses habitudes dans ses relations vitales avec la nature elle-même. Autrement dit : ordinateurs et écrans de télévision alimentés à l’énergie solaire, oui ! Mais télévision absente et soirées en famille autour du pater familias, non ! Biocarburant à bas coût, oui ! Mais moins de nomadisme touristique ou de voyage humanitaire en Afrique, surtout pas ! Steaks de soja bio avec exhausteur de goût à la viande, oui ! Mais retour à une cuisine aux légumes de terroir de nos ancêtres… Quelle envie !
Le consumérisme n’est pas un excès, c’est le mode de vie ordinaire pour les Occidentaux et un nombre croissant de personnes dans le monde. On peut le repeindre en vert et lui donner un vernis « équitable », mais il demeure indépassable pour la plupart de nos compatriotes. Climatisation, téléphone portable à 10 ans et sortie familiale au centre commercial sont devenus la norme, le symbole de l’ascension sociale et du confort bien mérité. Une révolution écologiste implique le renoncement à ce luxe avilissant et polluant. Or, on n’a jamais vu une révolution proposant au peuple moins que ce qu’il n’a déjà. Jamais. C’est pourquoi l’écologie politique ne peut pas gagner seule. Elle doit être arrimée à un projet global et cohérent.

La croissance tue

Historiquement, l’écologie politique est fondée sur la dénonciation du consumérisme comme mode de vie contre-nature. Elle propose donc de rompre avec le productivisme, l’obsession du taux de croissance : produire toujours plus, pourquoi faire ? Au contraire : moins de biens, plus de liens ! Le PIB et le taux de croissance, aujourd’hui synonymes de « bonne santé nationale », ne sont que des indices quantitatifs, non qualitatifs. Le PIB indique la somme de biens et de services produits chaque année, que ce soit une carotte, un livre, un autel d’église en pierre de taille… ou un plug anal géant, une série télé où Achille est joué par un acteur noir, etc. Quant au taux de croissance, il ne mesure que l’augmentation du PIB, de telle façon que lorsque la croissance est de 0%, cela ne signifie pas que l’on n’a rien produit cette année-là, mais simplement qu’il n’y a pas eu plus de production que l’année précédente, donc qu’il y en a eu au moins autant. C’est à la fois très simple et crucial à comprendre pour démonter les discours médiatiques alarmistes sur « l’apocalypse de la décroissance ».

La croissance nous tue : pollutions des sols, de l’eau et des corps – progression effrayante de l’infertilité ! – par la consommation de pilules contraceptives, de pesticides, de conservateurs et d’additifs alimentaires ; baisse du QI et explosion des troubles neurologiques dus aux écrans et aux ondes électromagnétiques (WiFi, Linky et Cie) ; régression physique aussi à cause de la tertiarisation de l’économie qui impose un travail sédentaire nécessitant peu l’usage de nos muscles… Plus productifs et plus riches, nous sommes aussi plus bêtes, en moins bonne santé et stériles. Plus dociles aussi. C’est une nouveauté absolue dans l’histoire humaine : pour être plus forts en tant qu’États dans la course mondiale à la puissance, nous devons poursuivre un développement économique qui affaiblit les peuples dans leur substance. Il paraît que nous vivrions mieux qu’auparavant… Si nous vivons mieux aujourd’hui, c’est par rapport à l’affreux XIXe siècle, époque ancienne la mieux documentée, mais non au regard des Européens de l’ancien monde, qui connurent des villes où l’air était respirable, des mers sans plastique, des paysages sans éoliennes et des enfants sans tablettes.

Nous sommes les fils d’Athènes, de Rome et de Compostelle, c’est-à-dire héritiers de la mesure grecque, de l’ordre romain et du dépouillement chrétien. Nous savons que le bonheur ne se mesure pas quantitativement. C’est pourquoi l’écologie nécessaire, à mon sens, se nomme « radicale », elle s’interroge sur les conséquences anthropologiques du développement économique (son impact sur l’homme) et invoque la décroissance. Chesterton disait que lorsqu’un homme découvre qu’il meurt à petit feu en buvant du vin empoisonné chaque jour, la première chose qu’il fait, c’est de vider la bouteille de vin et de changer de fournisseur. C’est la même chose pour la croissance : que ses apôtres zélés nous expliquent en quoi elle est bonne pour nous, car c’est à eux qu’appartient la charge de la preuve, pas à nous qui constatons, dépités, la nocivité de leur entreprise.

L’écologie enracinée face à la liberté

Cette écologie radicale et nécessaire, les masses ne peuvent que la refuser de toute la force de leur poignet musclé à l’art du selfie, la gauche la rejette parce que « la croissance c’est l’emploi et l’emploi c’est la justice sociale » et la droite la diabolise en la qualifiant de « punitive » lorsque la sacro-sainte liberté d’entreprendre lui semble menacée. Quant à la nouvelle gauche, idiote utile du mondialisme, si elle défend la nature contre les pesticides, elle promeut l’artificialisation de l’homme par la PMA/GPA et le refus de la biologie par le transgenrisme. Cette écologie radicale, pour être cohérente, doit être enracinée et défendre la nature telle qu’est : hiérarchique, sexuée, déterminée, sans prétendre la changer mais en l’assumant. Cette écologie ne peut être qu’anti-libérale, donc localiste et protectionniste, bref identitaire : respectueuse de la biodiversité ethnique et culturelle des peuples.

L’écologie enracinée se heurte fatalement au front républicain de la liberté individuelle mal comprise. L’esprit libéral, ou « l’idéologie libérale-libertaire » comme on l’appelle un peu maladroitement (car le libéralisme est un bloc), ce narcissisme jouisseur qui fait le pont entre Mai 68 et Steve Jobs, Caroline de Haas et George Soros, est le parti unique en Occident. Mais on ne peut négliger l’appétence, certes désordonnée mais réelle, des Français et des Européens pour la liberté. Par conséquent, il faut être capable de répondre à ce désir pour que notre écologie s’enracine aussi dans les cœurs. Ainsi, l’écologie qui voudrait faire de la nature le socle de la Cité a tout le monde contre elle, et simultanément, un boulevard devant elle. A condition de reconquérir le principe de liberté pour le purger de sa caricature : le libéralisme.

Notre vision moderne de la liberté consiste à pouvoir choisir ce qu’est le bien et le mal tant que cela n’interdit pas à notre voisin d’en faire autant. C’est l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789) : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui
ne nuit pas à autrui ». Déclaration adoptée par les révolutionnaires juste avant que l’on interdise aux travailleurs de s’associer pour leurs intérêts communs, de se réunir et de faire grève. Conception individualiste, hors-sol et anti-sociale de la liberté. Nous sommes libres de regarder ce que nous voulons sur Netflix mais nous dépendons du monde entier pour notre approvisionnement en nourriture (près d’un légume sur deux est importé, 25% du porc et le tiers de la volaille)1, en objets (manufacturés par les forçats du sous-continent indien et chinois) et en énergie (l’uranium de nos centrales nucléaires vient d’Afrique, les métaux rares de nos éoliennes d’Asie et le pétrole d’Arabie). Si l’économie est l’art de bien gérer notre maison commune, alors le gigantisme, ce système par lequel nous déléguons notre capacité à prendre des décisions vitales (grande distribution, bureaucratie nationale, autorités sanitaires et institutions supranationales) est un système anti-économique et liberticide.
L’authentique liberté, ce n’est pas le choix entre un loisir ou un autre : fast food ou pan bagnat, Hollywood ou Michel Audiard, Yann Moix ou Frédéric Mistral. La liberté est un pouvoir, une puissance. Dans l’Antiquité, la libertas romaine est le statut de l’homme libre. Celui qui, contrairement à l’esclave, est maître de ses mouvements, autonome pour nourrir sa famille et propriétaire d’un lopin de terre garantissant l’indépendance familiale et l’espoir d’améliorer son confort. Même le serf du Moyen Age, le paysan inféodé à un propriétaire terrien, a plus de libertés que nous : tout ce qui nourrit et assure la défense physique de sa famille provient d’un rayon de quelques kilomètres carrés autour de lui, c’est-à-dire son champ, les artisans du bourg voisin et l’épée de son seigneur. La liberté, c’est l’autonomie. Les urbains hyperconnectés que nous sommes – pour certains du moins – n’ont aucune liberté. Il suffit de se rappeler la panique dans les supermarchés au début de la crise du coronavirus pour envisager ce qui se produirait en cas de rupture réelle des chaînes d’approvisionnement. La liberté, c’est la maîtrise de notre destin collectif. C’est la raison pour laquelle localisme est la seule réponse possible au désir de liberté.

Le gigantisme, voilà l’ennemi

« Chaque fois que quelque chose va mal, quelque chose est trop gros » écrivait Léopold Khor, économiste et politologue autrichien mort en 1994, auteur du slogan small is beautiful. Ce constat est une évidence depuis la chute de l’empire romain.

Qu’est-ce qui donne aux crises financières leur gravité ? L’interdépendance des économies nationales, de la banque et de l’industrie au sein du marché mondial. Qu’est-ce qui fait du coronavirus chinois une pandémie ? Un système international de transports et la disparition de certaines frontières. Qu’est-ce qui a fait exploser le trafic de drogue ? La multiplication des fusions-acquisitions et des firmes internationales qui ont facilité le blanchiment de sommes d’argent importantes. Qu’est-ce qui permet à des multinationales de ne pas respecter le droit du travail ou de payer moins d’impôts que la loi exige ? Leur poids financier, des chiffres d’affaire supérieurs au PIB de certains pays et leur armée d’avocats-fiscalistes. Qu’est-ce qui rend l’immigration insoutenable ? Outre la culture des nouveaux arrivants, leur nombre qui donne à leur présence le caractère d’une invasion. Qu’est-ce qui provoque, parmi d’autres facteurs certes, cette immigration ? La démographie galopante de l’Afrique noire. Qu’est-ce qui rend nos révoltes, outre des erreurs stratégiques, inoffensives pour le pouvoir, si on les compare aux jacqueries de l’Ancien régime ? L’importance de l’arsenal logistique et matériel de la Police française qui dispose de moyens de répressions comme les seigneurs du Moyen Age n’en ont jamais eu.

Nous ne vivons pas seulement sous la menace de l’implosion des « bulles » financières. Une quantité incroyable de bulles sont prêtes à nous engloutir : bulle démographique, bulle migratoire, bulle des échanges mondiaux, bulle de la pollution… Nous vivons à l’ère de la démesure, la démesure est la norme, nous vivons à l’ère des bulles. Et nous aurions beau conceptualiser les utopies les plus brillantes, les mécanismes institutionnels et économiques les mieux huilés, quand quelque chose est trop gros, quelque chose s’effondre tôt ou tard.

Gare au faux localisme : le national-libéralisme

Attention : le localisme, ce n’est pas la relocalisation de la mondialisation. Ce n’est pas rétablir telles quelles, à l’intérieur du territoire national, l’ensemble des activités industrielles qui ont été délocalisées. Le localisme, ce n’est pas le consumérisme repeint en bleu-blanc-rouge : la réindustrialisation accroîtrait la pollution et notre pays serait méconnaissable. Je ne suis pas absolument contre une industrie locale de taille raisonnable, il reste à déterminer dans quelle mesure celle-ci peut exister, mais il faut garder à l’esprit que la relocalisation n’est pas qu’un changement d’échelle : elle implique de faire un tri dans les activités économiques.

En effet, le droit social français ne permet pas les mêmes cadences qu’en Asie et l’absence de matières premières ou de déchèteries industrielles sur notre sol (actuellement, des « pays poubelles » traitent nos déchets numériques, des Philippines au Ghana) rendent impossibles le maintien de certaines industries. Des secteurs entiers ne survivraient pas à la relocalisation. Les énergies dites « renouvelables » ne nous seraient d’aucune aide, leur rendement est plus faible que les hydrocarbures, elles consomment elles-mêmes du pétrole (base de tout carburant et de la fabrication du plastique), et pour conserver notre dépense énergétique, il faudrait couvrir notre pays de barrages, d’éoliennes, de monocultures intensives de plantes pour obtenir du biocarburant qui n’a rien de « bio » et de forêts destinées exclusivement à extraire du bois de feu, ce qui serait catastrophique pour la biodiversité2. La « transition écologique », ou Green New Deal, est un saccage de la nature. Quant au recyclage, c’est une fumisterie : une grande partie des déchets ne sont pas recyclés à cause de la diversité de matériaux entrant dans la composition d’un objet comme le téléphone (différents plastiques et dizaines de métaux différents) ou une canette (paroi en aluminium, culot en alliage) et la filière du recyclage consomme énormément d’énergie (une canette consommée à Marseille doit être envoyée à Strasbourg pour être refondue)3. Outre ces obstacles à une relocalisation mal comprise, des pans de l’économie devront décroître dans la mesure où l’État-stratège l’exige au nom d’impératifs sanitaires, écologiques et sociaux supérieurs aux exigences de rentabilité infinie. Il n’y a pas d’alternative à la décroissance et le localisme en est la cheville ouvrière.

Le localisme n’est pas qu’une question de taille physique, le localisme est une philosophie de la mesure dont le cœur est le principe de subsidiarité : tout ce qui peut être produit au niveau local doit l’être au niveau local, de même au niveau régional, national et continental. Par exemple, cela n’aurait aucun sens (coût du transport, pollution de l’air, etc.) de privilégier l’achat de fruits cultivés à Mayotte plutôt que dans le Piémont italien sous prétexte que Mayotte fait partie du territoire français. Le localisme n’est pas un souverainisme obtus, idéologique, il se conforme au réel et accorde par conséquent une préférence à ce qui enrichit la vie de quartier et l’identité des villes.

Dans la Cité localiste, par exemple, le pain de supermarché est taxé – voire interdit – de façon à donner l’avantage aux artisans boulangers ; la détaxation de proximité, qui privilégie la production et l’embauche locale par une fiscalité adaptée, profite aux maraîchers de pays plutôt qu’à l’agro-industrie étrangère ; et il en est de même pour les libraires indépendants face aux géants de la « culture », etc. Dans la Cité localiste, par la faculté donnée à l’État de fixer des orientations économiques et de gouverner le marché selon d’autres critères que financiers, il n’y a pas de place pour le libéralisme. Le localisme est anti-libéral ou n’est pas. Il implique de se délester d’un certain nombre de prédateurs économiques et nécessite un État fort et libre capable de résister à la pression des puissances d’argent. Prenons l’exemple du sable, à l’origine du béton : il en faut 200 tonnes pour une maison de taille moyenne, 3 000 pour un hôpital, 30 000 pour 1 kilomètre d’autoroute et 12 millions de tonnes pour une centrale nucléaire4. En France, où les côtes sont protégées, le sable est « pêché » en haute mer ou tiré de la roche. Avec une espérance de vie et des vagues migratoires comme nous n’en avons jamais connus, la bétonisation progresse : jusqu’où ? Ne faudra-t-il pas, un moment donné, dire « stop » ? Qui le pourra sinon un État délié des ambitions partisanes, des caprices médiatiques, du bavardage parlementaire et de l’incertitude électorale ? Le localisme affirme d’abord et avant tout le primat du politique sur l’économique, conformément au modèle indo-européen de la trifonctionnalité sociale5, la domination de l’esprit sur les appétits du ventre et la supériorité du Bien commun sur l’intérêt privé.

Aujourd’hui, le vrai clivage oppose deux camps. D’une part, les partisans de l’enracinement, des libertés communautaires, de la relocalisation du travail, de la justice sociale et d’une économie satisfaisant les besoins réels plutôt que les pulsions suscitées par la publicité. D’autre part, les partisans du productivisme, du salariat généralisé, de la mondialisation, de la tyrannie techno-sanitaire et de l’enfumage parlementaire. Le véritable clivage politique oppose les localistes aux gigantistes.

L’enracinement comme une entrée en religion

Comme l’écrivait Frédéric Mistral, « il ne s’agit pas seulement de faire une majorité électorale, il s’agit de refaire un peuple. » Le combat est total : politique, culturel, éducatif, économique et anthropologique. L’état du peuple français, qui n’est pas descendu une seule fois dans les rues contre la tyrannie sanitaire mise en place ces derniers mois (contrairement à nos voisins allemands, américains et anglo-saxons, manifestant par dizaines de milliers), nous fait envisager la mort pure et simple de la France. Un pays peut-il mourir ? Je n’ai pas la réponse mais je crois en la résurrection. Or, celle-ci commence ici et maintenant par le biais de l’enracinement, ce retour en soi comme dans un sanctuaire amené à rayonner sur le monde. Il faut se convertir à l’enracinement, il faut engager une conversion identitaire, c’est-à-dire « vivre selon notre tradition, […] se conformer à l’idéal qu’elle incarne, cultiver l’excellence par rapport à sa nature, retrouver ses racines, transmettre l’héritage, être solidaire des siens. » (Dominique Venner)

La conversion identitaire, c’est manifester notre identité dans tous les domaines de la vie : manger des fruits et légumes de saison (cultivés localement (donc vivre selon les cycles naturels de son terroir) ; utiliser des mots de sa langue régionale (en Provence : Adiéu pour « Bonjour », Adessias pour « Au revoir », Gramaci pour « merci ») et même n’utiliser que certains termes pour désigner une réalité dont la trivialité est mieux imagée par sa langue régionale qu’en français – comme « ça pègue ! » pour « ça colle » (car une langue n’est pas qu’un outil de traduction, c’est le miroir d’une culture et d’un état d’esprit) ; choisir d’arborer des éléments du costume local (ce peut être un chapeau, un veston, une lavallière, etc.) ; connaître les grandes heures de sa petite patrie et bercer nos enfants avec les hauts faits des héros locaux ; donner à notre descendance des prénoms de personnages édifiants ; honorer nos saints régionaux et les formes de piété populaires ; cueillir et récolter tout ce que la nature nous donne gratuitement au lieu de l’acheter en supermarché (acheter des herbes « de Provence » venues du Maroc quand on vit dans l’empire du soleil : hérésie suprême)… Une seule règle dans cette dynamique d’enracinement intégral : ce n’est pas « tout ou rien », il faut y aller pas à pas, se fixer des objectifs modestes mais réguliers et de jalon en jalon, vivre le plus possible selon la tradition.

Sur le socle de cette conversion identitaire aux niveaux personnel, familial et amical, devenons missionnaires de notre identité ! Affrontons sans crainte la gêne, cette sainte gêne qui emplit l’air alentour quand nous osons dire « dimanchade » au lieu de week-end, « parc de stationnement » au lieu de parking et « gaminet » au lieu de t-shirt. Les anglicismes doivent être traqués sans répit. Pas seulement parce que c’est un mot étranger symbole d’américanisation. Prenez pull over : le mot désignant « chandail » en anglais est en fait un verbe, « mettre par-dessus ». Prenez slip, qui est le verbe « enfiler », parking, qui signifie « en train de se garer », planning qui est le verbe « en train de planifier ». Très fréquemment, les anglicismes sont en réalité des verbes d’action qui remplacent, en français, des noms communs. C’est comme si nous disions « le manger » pour la nourriture et « le boire » pour la boisson. L’anglicisme, pire qu’une chose étrangère, est la bannière d’un état d’esprit où toute chose, toute réalité, est ramenée à son utilité, à l’usage qu’on en fait : l’anglicisme refuse aux choses une valeur en soi. L’anglicisme est l’étendard du matérialisme et un symptôme de régression intellectuelle grave. Un peuple libre parle sa langue, un peuple soumis bredouille celle des autres. A savoir : l’office québécois de défense de la langue française fournit sur son site Internet un dictionnaire où il suffit de taper un anglicisme pour obtenir une liste d’alternatives.

L’enracinement doit être une entrée en religion : c’est un travail sur soi, une réforme intérieure, une série d’exercices quotidiens, l’adoption d’une règle de vie, le désir de porter la bonne nouvelle de l’identité, et sur ce terreau fécond, laisser fleurir l’amitié.

Julien Langella

Notes

  1. Francetvinfo.fr, « Agriculture : la France importe de plus en plus de denrées alimentaires », 10 juin 2019.
    Raymond Girardi, vice-président du Mouvement de défense des exploitants familiaux (MODEF) cité dans L’Humanité, « La France importe 40% de ses fruits et légumes », 10 octobre 2017. BFMTV, 5 juillet 2019.
  2. Voir les travaux de Jean-Marc Jancovici.
  3. Voir l’expérience de Charles Dauzet, président fondateur de La Boucle Verte et start-upeur repenti, cité par La Décroissance n°170, juin 2020, p.12.
  4. Les Échos, « La guerre mondiale du sable est déclarée », 24 février 2016.
  5. Organisation sociale traditionnelle en Europe : le politique ou le religieux domine (la tête, siège de la réflexion), le guerrier protège (le cœur, siège du courage) et le travail produit la subsistance (le ventre, siège de la consommation des denrées). Concept dégagé par l’historien, linguiste et anthropologue Georges Dumézil (1898-1986).

Ce texte a été publié dans le numéro spécial de la revue littéraire Livr’Arbitres, “Actes du VIIe colloque de l’Institut Iliade”. Pour acheter ce numéro ou s’abonner à la revue : livrarbitres.com

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