Comme toute étudiante en médecine, Michèle Temam* a dû, durant ses années de fac, ingurgiter une quantité faramineuse d’informations. Loin de se résoudre au bachotage, elle a mis au point une technique pour apprendre. Méthode qu’elle a ensuite affinée pendant une trentaine d’années, en particulier lorsqu‘elle aidait ses quatre filles à réviser. Autodidacte, elle est aujourd’hui coach en méthodologie de l’apprentissage auprès d’enfants et d’adolescents. Savoir apprendre, selon elle, c’est LA clé. Les adultes, parents ou managers, devraient s’en inspirer, tant cette qualité va devenir capitale dans les années à venir. Explications.

Apprendre par cœur, est-ce une ineptie ?

Michèle Teman : L’expression "apprendre par cœur" fait référence à une croyance de nos ancêtres qui pensaient que le cœur était le siège de la mémoire, ou plus précisément de la mise en mémoire. Ce qui n’est pas faux : on le sait maintenant, les émotions jouent un grand rôle dans notre capacité à retenir. Mais il y a un détournement de l’expression : elle signifie connaître mot à mot, à la virgule près. Certaines personnes brillantes apprennent ainsi par cœur leur discours, comme s’il s’agissait d’un extrait de poésie ou de théâtre. Elles pensent que cela les met en confiance. Or cette façon de faire est encore plus stressante car elle peut engendrer le trac de l’acteur.

La suite sous cette publicité
Publicité
La suite sous cette publicité
Publicité

Pourquoi est-il si important de savoir apprendre, en particulier pour des adultes ?

Dans le monde professionnel, il va désormais falloir se recycler en permanence : le renouvellement des savoirs et des techniques va nécessairement entraîner un apprentissage continu. Avec l’explosion des informations à notre disposition, il va devenir primordial de savoir sélectionner et retenir les données pertinentes. Et puis, au quotidien, les managers ont souvent des dossiers conséquents à synthétiser, en un temps souvent court. Ce qui peut se révéler très anxiogène pour certains. Comment aborder cette montagne ? Comment absorber une masse d’informations, pour la restituer de manière synthétique ? Beaucoup d’adultes sont démunis, car ils ne sont pas armés pour cela : on ne nous a jamais appris à apprendre ! Demain les entreprises ne chercheront pas des experts incollables sur tout, mais des personnes capables d’apprendre, disposant d’un socle de connaissances suffisamment solide pour être réussir à étendre leur savoir, en faisant le tri entre l’essentiel et ce qui ne l’est pas.

La suite sous cette publicité
Publicité

>> A lire aussi - 5 formations au top pour (mieux) gérer la pression

Les freins à l’apprentissage sont-ils les mêmes chez un adulte et un enfant ?

D’après moi, cela ne dépend pas de l’âge : c’est plutôt une question de personnalité et de curiosité. Donnez une liste de dix personnages de Star Wars à mémoriser à un enfant passionné par le sujet, il restituera les noms sans aucun problème. Ce sera beaucoup plus difficile pour un adulte… Plus on est expert dans un domaine, moins on est angoissé et plus on apprend facilement. Je recommande donc de devenir de "petits" experts, même sur des thèmes qui ne nous sont pas familiers. Pour cela, deux façons de procéder. Vous pouvez aborder le sujet dans son ensemble, d’un bloc. Cette première lecture effectuée d’une traite donne les grandes lignes. Un débroussaillage, en quelque sorte, avant de revenir sur le texte par des lectures plus détaillées. Il faut se faire confiance.

Vous pouvez aussi commencer par un aspect du sujet, celui qui vous intéresse le plus par exemple, ou celui qui vous semble le plus simple… Il faut découper l’éléphant en morceaux ! L’idée est de dépasser la phobie du non-savoir, la peur que nous pouvons ressentir face à l’inconnu, surtout quand le nombre d’informations est important. En prenant un angle d’attaque, on dédramatise et on enclenche une dynamique vertueuse. Il faut trouver l’essence de l’ouvrage ou du document, et en parler. En verbalisant, on apprend à organiser et à structurer une pensée, à hiérarchiser les informations, à les compartimenter. Le savoir, c’est coopératif.

La suite sous cette publicité
Publicité
La suite sous cette publicité
Publicité

En quoi les neurones miroirs peuvent-ils jouer un rôle dans le management ?

Les neurones miroirs ont été découverts chez le singe par le chercheur italien Giacomo Rizzolatti dans les années 1990, puis étudiés chez l’homme grâce à l’imagerie par résonance magnétique. Ils s’activent lorsque nous observons une personne en action, et que nous faisons les mêmes gestes qu’elle. Ils sont également sensibles aux signaux émotionnels. Le système miroir limbique permettrait donc d’influencer notre état émotionnel par résonance avec celui d’autrui. Un enseignant, comme un manager, peut donc stimuler le plaisir de ses élèves, ou de ses collaborateurs, en manifestant son goût pour une action. L’enthousiasme de l’interlocuteur est communicatif et stimule notre propre intérêt. Le désir mimétique constitue ainsi un axe extrêmement intéressant dans le travail d’équipe.

>> A lire aussi - Managers, voici 5 conseils pour motiver vos équipes

Que pensez-vous du "mind mapping" ?

Le psychologue anglais Tony Buzan a popularisé cette technique des cartes heuristiques (ou cartes mentales) dans les années 1970, partant du principe que le cerveau retient mieux par associations d’idées et grâce aux images. Synthétiser un sujet grâce à un arborescence, parfait. Mais choisir des couleurs différentes pour les sous-thèmes, varier l’épaisseur des traits qui les relie… Je trouve cet outil trop rigide et trop long à mettre en œuvre. Tout cela manque de spontanéité. Il ne faut pas utiliser les codes des autres, c’est contre-productif. Mieux vaut s’approprier une façon de faire personnelle. Aborder un sujet du simple au complexe ou du détail au global, selon ses préférences. Chacun fait son chemin.

La suite sous cette publicité
Publicité

Vous n’êtes pas convaincue non plus par le "palais de la mémoire", une technique de mémorisation pratiquée sous l’Antiquité ?

Les orateurs l’utilisaient pour se rappeler les grandes étapes de leurs discours. Le principe est d’imaginer un lieu connu – sa maison ou son appartement, par exemple – et de placer dans chaque pièce des images visuelles en lien avec ce qu’on doit retenir. Ces objets ou chiffres sont stockés selon un parcours mental logique. En imaginant à nouveau ce parcours, on est censé voir mentalement les images et les concepts associés. Cette méthode est certainement utile pour certaines personnes ou dans certaines disciplines, mais je ne recommande pas son utilisation systématique. Idem pour les phrases mnémotechniques. Ce sont des astuces parmi d’autres. Il faut choisir les recettes qui sont pertinentes pour nous. L’important, c’est d’être actif dans un apprentissage.

Aimer apprendre, est-ce la clé ?

On aime ce qu’on connaît et on connaît ce qu’on aime. Le problème survient quand on n’aime pas spécialement le domaine. C’est là qu’il faut aimer apprendre tout simplement. Comme un sportif qui fait un effort pendant l’entraînement, mais qui finit par apprécier cet effort, ce challenge. L’apprentissage est un jeu intellectuel qui peut procurer du plaisir. Je voulais initialement intituler mon livre Le Gai Apprendre, en référence au Gai savoir de Nietzsche. Il faut se mettre dans ce gai apprendre. Dans Dessiner grâce au cerveau droit**, la professeure d’art américaine Betty Edwards décrit un processus cérébral très intéressant. L’hémisphère gauche est celui de la raison. La notion du temps y est importante, alors que, dans l’hémisphère droit, le temps ne compte pas.

La suite sous cette publicité
Publicité
La suite sous cette publicité
Publicité

Lorsque nous nous mettons au travail, nous faisons le plus souvent appel à la raison, donc au cerveau gauche. Si nous commençons à nous détendre, comme l’artiste, nous perdons progressivement toute notion d’horaire. Nous avons tous expérimenté un jour ce passage en hémisphère droit, qui nous rend zen et heureux de travailler. La sécrétion de sérotonine nous met chimiquement dans cet état de sérénité. J’ai vu des gens réticents à l’idée de se mettre au travail, qui, après un moment, ne s’arrêtaient plus. J’incite chacun à essayer d’identifier ce passage, à repérer les circonstances qui le favorisent et le temps nécessaire pour y parvenir. Il faut chercher à accéder à ce graal : travailler et apprendre dans le plaisir est une bénédiction.

>> Test psycho - Que devriez-vous apprendre sans plus attendre ?

*Radiologue de formation, passionnée par la transmission du savoir, elle intervient depuis des années auprès d’élèves pour les aider dans leurs apprentissages. Elle a publié récemment "Savoir par cœur sans apprendre par cœur", un guide pratique destiné à ceux qui veulent apprendre avec plus de facilité et de plaisir (Odile Jacob).

**Editions Mardaga, 2014.