Une femme, portant des lunettes, assise à un bureau entourée de papiers, explore les œuvres poétiques de Claude Beausoleil.

Claude Beausoleil, poète, 1948-2020

Nous sommes en 1978 au Cégep de Longueuil. Mon professeur de poésie est Claude Beausoleil. Il a de longs cheveux blonds. Il est gros et efféminé, mais peu importe, c’est un poète qui parle à ses élèves de poésie d’une manière rythmée. Comme un chanteur rock. Il gesticule et surtout, il rit de nous. « Vous allez faire quoi ce soir? Regarder la télé? »

Quelle époque! C’est lui qui nous a parlé de Francoeur, le poète-rockeur qui aimait Jim Morrison et Kerouac. Il suffit d’une étincelle.

Mais qu’est-ce que la poésie? Au début, la sienne m’était incompréhensible. C’était fou, tout déconstruit. Pour moi, la poésie était synonyme de rêves, de romantisme… Je connaissais Rimbaud et Victor Hugoc’est tout. Je suis d’accord avec Dany Laferrière quand il dit qu’« il faut chercher les images à l’intérieur de soi. Des pépites qui nous attendent patiemment dans l’herbe haute de la mémoire » (1).

Beausoleil a été l’élève du célèbre romancier Hubert Aquin. Il parlait d’Émile Nelligan comme d’un « grand poète du Québec ». Il pensait tout haut. La liberté d’offrir une vision du monde. Il était aussi l’ami du grand Gaston Miron, le poète d’un seul et unique livre : «L’homme rapaillé ». Miron a eu l’audace de publier Lucien Francoeur, un geste de provocation.

Claude Beausoleil cherchait l’Apollon, le Spleen plus que la rébellion. Beausoleil a écrit des poèmes qui étaient à l’image du romantisme de Nelligan qu’il affectionnait de manière démesurée. Je lis et relis Le vaisseau d’or.

Que reste-t-il de lui dans la tempête brève?

Qu’est devenu mon cœur, navire déserté?

Hélas! Il a sombré dans l’abîme du Rêve!… (2)

Critique, Claude Beausoleil a été chroniqueur de poésie au journal Le Devoir de 1978 à 1985. Il a écrit pour Mainmisemais je n’en savais rien. En 1983, il devient directeur de la revue Lèvres urbaines. À partir de 1986, il voyage entre Montréal et Paris, se consacrant à l’écriture et donnant des conférences dans des universités. C’est en 1994, alors que j’étais étudiant à l’Université du Québec, que je redécouvre mon professeur qui parle de l’hiver québécois dans «La ville aux yeux d’hiver » (3) qui sera réédité deux fois.

Une ville d’enfance

Au corps de poudre blanche

De ruelles et de jeux

Les heures du meilleur

Et la rage du jour perdue

Au bout du temps en moi (p. 33)

À la fin de 1998, « Le chant du voyageur» (4) représente plus de quatre années d’écriture. Comment décrypter l’expérience du poète? Ses rencontres avec Alain Grandbois, Dante, Nelligan, Neruda, etc.? Le chant intimiste du poète? Une somme d’explorations, de funambulisme à travers le temps. Inventer ou réinventer le « Chant fauve ». Mission accomplie.

Le poète met en scène le chant

En chacun pour se perdre

Il chavire

Et n’a de mémoire que celle

Du papier

Des luisances fauves

Chutes en étapes terrestres. (p. 263)

Arrêt sur la méditation du créateur. Exploration du langage de l’écrivain? Le poète est romantique. Il n’est plus dans le monde des apparences. Il épouse d’autres lieux. La vie doit être transgressée. Un espace. Un épicentre.

En 2011, « De plus loin que le vent » (5) est un autre recueil que j’ai vraiment adoré. Le poète observe une nouvelle décennie. Ses mots tracés dans le vide existentiel au-dessus de l’analphabétisme de la nouvelle génération. L’essentiel de revenir à une clairière d’inspiration.

Le chaos façonne un commerce

Un atavisme archivé numérise

La mémoire rouge silencieuse

Tenace à l’écart résiste

Ce qui est apparaît entê(p46)

Apprendre ce qui nous reste de la vie. Mais qu’est-ce donc que la poésie? En 2017, il avait écrit un livre pour rendre hommage à Keats. Il le décrivait comme réservé et mystérieux, tout occupé à écrire sa poésie. Son contraire? Claude Beausoleil est dans la démesure : plus d’une trentaine de livres de poésie, quelques romans, des colloques, des traductions, etc. Intense dans tout. À travers l’histoire du Québec, on se souviendra de Nelligan, SaintDenys Garneau, Anne Hébert… Aurons-nous une place pour nos professeurs, témoins des générations antérieures? Et le Québec et ses créateurs? Ce grand peuple qui perd la mémoire.

Je salue le professeur et le poète Claude Beausoleil. Oui, je suis persuadé que tu laisseras ta marque dans la poésie québécoise.

Notes

1- Dany Laferrière, « Journal d’un écrivain en pyjama », Mémoire d’encrier, réédition, 2019.
2- Émile Nelligan, « Poésies complètes », Typo poésie, 2002, préface de Claude Beausoleil
3- Claude Beausoleil, « La ville aux yeux d’hiver », Écrits des Forges, réédition, 1998
4- Claude Beausoleil, « Le chant du voyageur », Les herbes rouges, 1998. Finaliste au prix du Gouverneur général
5- Claude Beausoleil, « De plus loin que le vent », Écrits des Forges, 2011.
Un don pour la liberté d’expression :
TAGS:
Las OlasMains Libres