Le 28 décembre dernier, la loi portée par le député LREM Aurélien Pradié prévoyait de réduire le délai d'obtention des ordonnances de protection pour les femmes victimes de violences conjugales à 6 jours, contre 42 actuellement. Elle avait été adoptée par l'Assemblée nationale.

Imaginée peu de temps après la clôture du Grenelle contre les violences conjugales, elle devait permettre de rendre ce dispositif de protection des victimes plus accessible, puisqu'il était jusqu'alors sous-utilisé. En effet, selon le Journal du Dimanche, seulement 4.000 ordonnances de protection ont été délivrées en France en 2019, un chiffre pourtant en nette augmentation, contre dix fois plus pour son voisin l'Espagne, la même année. 

24 heures pour signaler la demande d'ordonnance

Cependant, un décret paru au Journal Officiel le 27 mai dernier est venu mettre à mal cette nouvelle initiative. Il impose un délai de 24 heures à la victime pour qu'elle prévienne elle-même, par voie de huissier, son compagnon ou ex-compagnon, qu'une ordonnance de protection a été demandée contre lui. Si elle ne le fait pas, l'ordonnance devient caduque, et est donc, annulée. 

Outre le fait que la victime doit elle-même, dans un laps de temps très court, informer son bourreau d'une telle demande, ce décret initié par Nicole Belloubet, ministre de la Justice, contraint les femmes désirant cette ordonnance de payer un huissier de justice, ce qui peut s'avérer onéreux pour certaines. Au moins 90 euros, selon les estimations.

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L'alerte de militantes féministes et avocats

Dans un premier temps, ce décret est passé inaperçu. Le gouvernement n'a pas communiqué sur cette nouvelle disposition, désormais indispensable pour obtenir une ordonnance de protection. Mais certaines militantes féministes et avocats spécialisés l'ont découvert la semaine dernière. Ils dénoncent un "retour en arrière".

Dix jours après sa parution, c'est donc Caroline de Haas, créatrice du Collectif #NousToutes, via Twitter, puis sur Mediapart, qui a mis en lumière les problèmes posés par ce délai "intenable". Elle a ainsi expliqué en quoi ce nouveau décret venait rendre l'ordonnance de protection "quasiment impossible", de ses propres termes. "Si la loi ne change pas, on risque de voir les ordonnances de protection - déjà insuffisantes - disparaître", a-t-elle assuré sur le média social.

Lundi 7 juin, l'avocate spécialisée dans les affaires de violences conjugales Maître Fatiha Belkacem, a qualifié ce décret de "recul stupéfiant des droits des victimes" auprès du Parisien. Pour elle, ce nouveau délai tombera "comme un couperet, et exposera encore plus les victimes à leurs bourreaux", a-t-elle alerté.

Beaucoup d'autres avocats comme Jean-Michel Garry et Aurore Boyard, ont estimé que cela vient "mettre à néant toutes les avancées obtenues de haute lutte par les défenseurs des femmes victimes de violences", ont-ils déclaré sur Dalloz Actualité.

"Madame la Ministre, j'ai honte"

C'est enfin le député Aurélien Pradié lui-même qui a pris la parole à son tour, ce mardi 8 juin, dénonçant à son tour cette nouvelle condition d'obtention apparue dans le décret, qu'il estime "passée en catimini". "Madame la Ministre, j'ai honte. Votre décret détruit une avancée majeure de notre loi contre les violences conjugales", a-t-il accusé.

Il a poursuivi : "Vous imposez aux femmes victimes de payer la procédure et de convoquer elles-mêmes leurs bourreaux en 24h. Vous tuez l'ordonnance de protection ! (...) Ma colère je ne la retiendrai pas, c'est celle de milliers de femmes en danger qui vous entendent dire blanc et vous voient faire noir, qui voient une secrétaire d'État, encore absente aujourd'hui, bavasser sur les plateaux de télévision, alors que l'essentiel n'est jamais fait."

Mais Nicole Belloubet ne semble pas vouloir revenir sur sa décision contestée, puisqu'elle lui a répondu : "Nous avons prévu de tout mettre en œuvre pour que ces ordonnances soient délivrées, si le comité de pilotage et les associations nous disent que ce n'est pas réalisable, je n'aurais aucune hésitation à modifier ce texte".

Pour autant, selon Caroline de Haas, il faut agir, et vite : "Soit on allonge le délai pour prévenir le conjoint, soit on systématise le fait que c’est l’État qui prévient monsieur."

Agir rapidement, c'est ce qu'a fait le Sénat, toujours ce mardi 9 juin, en votant un amendement à la loi contre les violences conjugales. L'amendement demande la suppression de l'article 12, concernant l'aide juridictionnelle ainsi que l'adoption d'une organisation souple autour des ordonnances de protection. De ce fait si l'Assemblée Nationale décide à son tour d'adopter cet amendement, les effets du décret du 27 mais seront annulés.