POLITIQUE - C’était sans doute la plus grosse surprise de l’allocution d’Emmanuel Macron. Le président de la République a annoncé, dans son discours lundi 13 avril, que certains établissements scolaires commenceraient à rouvrir à partir du 11 mai prochain. C’est par le chemin de l’école que la France commencera d’ailleurs son retour à la vie normale, deux mois après la mise en place du confinement général pour lutter contre la propagation la pandémie de coronavirus.
Au final, seuls les étudiants de l’enseignement supérieur attendront la fin de l’été pour retourner à l’université selon les mots du chef de l’État. “L’école ne sera pas obligatoire le 11 mai, le retour sera progressif”, a précisé le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer ce mardi, soulignant que le 11 mai ne serait pas synonyme d’un retour à la normale. “Il est hors de question d’avoir des classes bondées. Il faudra réfléchir à des aménagements”, a-t-il affirmé.
Édouard Philippe a d’ailleurs tenu à indiquer, lors des questions au gouvernement de ce mardi, qu’il ne souhaitait “rien annoncer de définitif” sur cette question. “L’impact du confinement est probablement très élevé et très durable”, sur la scolarisation de certains enfants a expliqué le Premier ministre. C’est pourquoi il veut “ramener vers le chemin de l’école le plus grand nombre de nos enfants.” Un retour qui “ne peut bien entendu pas se faire au prix de la santé”, a-t-il lancé.
Autant de précautions qui visent à calmer l’inquiétude des professionnels de santé, comme de l’éducation. Aussitôt faite par Emmanuel Macron, l’annonce du président de la République a effectivement provoqué une réprobation quasi générale. “Tout sauf sérieux”, pour Francette Popineau, secrétaire générale du Snuipp-FSU. “Un risque inutile”, pour le président de la Fédération des médecins de France Jean-Paul Hamon.
Mais le chef de l’État comme son ministre de l’Éducation assument: cette décision, actuellement sur la table dans de nombreux pays à l’image de l’Allemagne, est pour eux nécessaire, surtout pour les élèves issus de milieux défavorisés.
Aplanir les inégalités
C’était effectivement un des nombreux désagréments liés à l’enseignement à distance. Décidée du jour au lendemain, la fermeture des écoles a provoqué de nombreuses disparités entre les élèves sur le territoire. Entre les étudiants issus de quartiers défavorisés ne possédant pas forcément tout le matériel adéquat ni l’environnement de travail le plus propice et l’inégalité des professeurs devant la technologie, la “continuité pédagogique” n’a pas eu grand-chose d’uniforme.
À tel point que Jean-Michel Blanquer déplorait, à la fin mars, “entre 5 et 8% des élèves perdus” dans les méandres de l’éducation à distance. Une “défaillance” de l’Éducation nationale pointée du doigt par les organisations syndicales de professeur. “Certains collègues ont été perdus face à l’absence d’outils institutionnels. On a été nombreux à ne pas savoir comment joindre nos élèves”, expliquait au HuffPost Sophie Vénétitay du SNES-FSU au début du mois d’avril.
C’est donc, entre autres, pour mettre fin à ces inégalités qu’Emmanuel Macron veut rouvrir les écoles avant l’été. “Trop d’enfants, notamment dans les quartiers populaires, dans nos campagnes, sont privés d’école sans avoir accès au numérique et ne peuvent être aidés de la même manière par les parents. C’est pourquoi nos enfants doivent pouvoir retrouver le chemin des classes”, a ainsi expliqué le chef de l’État lundi soir.
Même ton pour le ministre de l’Éducation nationale, qui assurait le service après-vente d’Emmanuel Macron sur franceinfo ce mardi. “Il faut sauver les élèves qui pourraient partir à la dérive du fait du confinement”, a expliqué Jean-Michel Blanquer. Avant d’insister: ce sont “les publics les plus fragiles que j’ai d’abord en tête pour assurer ce service public.”
Que disent les exemples étrangers?
Un argument qui ne convainc pas tout le monde. Le président de l’Assemblée de Corse a dit sa “surprise” devant la réouverture les écoles, quand le responsable local du Rassemblement national Julien Odoul a jugé la décision “trop précoce et trop risquée sans masques et sans tests suffisants.”
D’autres responsables politiques, à l’image du patron du Parti socialiste Olivier Faure, de l’ancienne ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud Belkacem ou du président des sénateurs Les Républicains exigent des précisions rapides. “Je ne la conteste pas, je veux simplement maintenant la comprendre”, a par exemple indiqué Bruno Retailleau sur RFI ce mardi.
Un étonnement, bien souvent couplé de critiques, qui trouve peut-être sa source dans les exemples étrangers. Certains pays sont déjà sortis du confinement... et la réouverture des écoles n’était visiblement pas la priorité.
Contacté par Le HuffPost, Antoine Bondaz, enseignant à Science Po et spécialiste de l’Asie, nous cite notamment les exemples de la Chine, du Japon ou de la Corée du Sud. “Le séquençage du déconfinement y est différent”, nous explique-t-il: “comme à Wuhan, où les restaurants réouvrent avant les écoles.”
“En Chine, certaines écoles ont ouvert leurs portes uniquement dans des provinces où il n’y avait plus aucun cas de coronavirus et alors que la circulation entre les régions était impossible”, nous explique-t-il.
La Corée du Sud, souvent citée en exemple pour sa gestion de l’épidémie, n’a de son côté pas mis en place de confinement généralisé. “Par contre, la rentrée scolaire a été décalée et les enfants ne vont toujours pas à l’école”, nous détaille encore Antoine Bondaz.
Une situation qui tranche avec la décision du gouvernement français et qui s’explique aussi, pour le spécialiste de l’Asie, par la qualité des outils numériques développés par les pays: “En Corée les outils digitaux sont plus performants qu’en France. Le taux de couverture est plus développé, le wifi beaucoup plus puisant donc les problèmes d’inégalité se posent moins.”
L’inquiétude des professeurs
Pour préparer la reprise, qui passera “forcément par de très grands aménagements”, Jean-Michel Blanquer a annoncé des consultations de deux semaines avec les organisations syndicales, lycéennes, ou fédérations de parents.
Et il n’en faudra pas moins pour rassurer. Car aussi “progressif” soit-il, ce semblant de retour à la normale dans les écoles provoque déjà des remous. Interrogé juste après l’allocution d’Emmanuel Macron lundi soir, le premier syndicat du primaire, le Snuipp-FSU, a exprimé une forte inquiétude: “on sait que l’école est un lieu de haute transmission, de haute contamination, ça paraît être en contradiction totale avec le reste”, a réagi sa secrétaire générale Francette Popineau.
Le président de la Fédération des médecins de France Jean-Paul Hamon, s’est de son côté dit “tracassé” mardi matin par cette annonce qui ferait courir “un risque inutile”, selon lui. “Les enfants n’obéissent pas forcément aux consignes, ils vont naturellement jouer ensemble et ils risquent de ramener le virus à la maison”, a-t-il rappelé dans un entretien sur le site de Franceinfo.
La reprise “doit être sécurisée, préparée et précisée”, a pour sa part mis en garde le syndicat Unsa Éducation. “Il est essentiel de ne pas se précipiter et de s’assurer d’une organisation qui garantisse la sécurité sanitaire des personnels et des élèves en prenant toutes les mesures nécessaires”.
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