Le Jazz de Joe : Stéphane Édouard

Pochette de l'album "Pondicergy Airlines" de Stéphane Édouard. © CJazz Productions

Cela paraît tellement facile… Pourtant, marier rythmes et harmonies est un exercice exigeant qui demande une maîtrise éprouvée par de longues années de pratique instrumentale intensive. Stéphane Édouard est percussionniste, batteur, gardien du temps. Ses racines indiennes lui ont appris à jouer avec les cadences. C’est là la force et l'originalité de son premier album Pondicergy airlines.

Né en France de parents originaires de Pondichery, au sud de l’Inde, Stéphane Édouard a grandi à Cergy Saint-Christophe, au nord de Paris. Sa double culture lui offre une lecture du monde ouverte et altruiste. Il saura d’ailleurs mettre à profit cette richesse personnelle en multipliant les projets et collaborations. Son touché si distinctif séduira nombre d’artistes issus d’horizons musicaux très divers.

Ainsi, au fil des années, Michel Jonasz, Daby Touré, Frank McComb, Julia Sarr, Rajery ou Karim Ziad, entre autres, se laisseront griser par la transe rythmique de ce virtuose inspiré. Le tempo est, certes, la colonne vertébrale d’une œuvre mais ne doit pas en être le seul pilier. Il faut la finesse et l’intelligence d’une frappe mélodique pour que la magie opère. Une composition, si sophistiquée ou simpliste soit-elle, mérite la clairvoyance d’un rythmicien aguerri. Stéphane Édouard l’est devenu au contact de ses comparses, acolytes et complices. Il peut, à présent, nous emmener en voyage et prendre les commandes.

Dépaysement garanti grâce à la Pondicergy Airlines

Alors que les échanges intercontinentaux souffrent d’une pandémie qui tarde à se résorber, Pondicergy Airlines parvient à déconfiner nos émotions. Instantanément plongées dans l’univers sonore indien, nos oreilles découvrent peu à peu les autres sources de ce répertoire métisse assumé. Il est évident que le jazz nourrit également l’inventivité du musicien. Si l’on se laisse aisément emporter par les essences indiennes de souvenirs d’enfance, les audacieuses ornementations syncopées actualisent immédiatement l’humeur de cet album enthousiasmant. Le titre Full Metal en est un bon exemple.

L’empreinte originelle est toujours là mais une guitare sauvage vient bousculer la tradition sans la trahir. Joli coup de maître ! Soudain, on se souvient de John McLaughlin invitant le percussionniste indien Trilok Gurtu à le rejoindre sur scène au Royal Festival Hall de Londres en novembre 1989. Les circonvolutions entremêlées des deux maestros résonnent encore, 30 ans plus tard, tant cette hardiesse a développé notre acuité pour les expériences multiculturelles.

Rythmes indiens et jazz fusion 

Stéphane Édouard a nécessairement entendu ses prestigieux aînés et, inconsciemment ou non, prolonge ces dialogues entre idiomes musicaux que rien ne semblait pouvoir rapprocher. Il va même plus loin en se jouant des rites et codes ancrés dans sa mémoire. Le rythme lui permet toutes les folies. Comment résister à la frénésie d’une composition comme Oh My Gosh !.

Alors oui, le novice ne saura peut-être pas décrypter les différents "tal" (rythmes indiens) de ce disque trépidant mais il sera immédiatement fasciné par la multiplicité des couleurs. Alors oui, certaines histoires lui échapperont mais chaque escale de ce périple suffira à l’emmener loin, très loin, dans ses rêves, ses pensées, ses vibrations. Il faut dire que l’hôte de cette invitation sensorielle a su s’entourer. Réunir des partenaires comme Michel Alibo, Étienne Mbappé, Nguyen Lê, Varijashree Venugopal, Vincent Peirani, Anthony Jambon, notamment, stimule notre curiosité et démontre combien la camaraderie dépasse largement les réflexes identitaires.

Il y a tant de sentiments, d’évocations, dans ce disque qu’il fallait bien une dizaine d’invités pour les exprimer avec sensibilité et conviction. Curieusement, cette propension à additionner les prestations ne noie pas l’intention du projet dans un maelström indigeste. Bien au contraire ! L’homogénéité de cette musique démontre que la direction artistique a été pensée, mûrie.

Après tout, un premier album est toujours le fruit de nombreuses années de réflexions, d’interrogations, de remises en question perpétuelles qui accouchent finalement d’un choix confiant propice aux acclamations du public. Gageons que les passagers de la Pondicergy Airlines sauront apprécier à sa juste valeur cet envol fort prometteur ! En attendant la réouverture des salles de spectacles (et des aéroports), l’ouverture d’esprit des amateurs de musique authentique devrait suffire… Le voyage intérieur peut commencer. Stéphane Édouard est votre guide ! Et si vous n’êtes pas rassasiés, écoutez donc ses nombreuses autres prouesses en compagnie du groupe Sixun, de Kellylee Evans ou même de Peter Gabriel…

Stéphane Édouard Pondicergy Airlines (CJazz Productions/Absilone) 2021

Site officielFacebook / Instagram / YouTube