L’histoire antique serait-elle toxique ?

La mort de Caton d’Utique, Jean-Paul Laurens, 1863. Musée des Augustins de Toulouse. (Wikipédia).
La mort de Caton d’Utique, Jean-Paul Laurens, 1863. Musée des Augustins de Toulouse. (Wikipédia).
La mort de Caton d’Utique, Jean-Paul Laurens, 1863. Musée des Augustins de Toulouse. (Wikipédia).
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Un professeur d'histoire antique qui souhaite la mort de l'enseignement de sa discipline ? Il n'en fallait pas plus pour que la polémique qui prend racine en Amérique se répande comme une traînée de feu.

Faut-il se débarrasser de l’Antiquité et du Moyen Age ? La question fait débat au Québec autour de la réforme des programmes du Cégep, le cursus intermédiaire qui correspondrait dans notre système éducatif à des classes préparatoires aux études supérieures, qu’elles soient professionnelles ou universitaires. Une réforme qui défend l’abandon de l’histoire occidentale d’avant la découverte européenne du continent américain au profit d’une histoire mondiale des siècles plus récents. Autrement dit, remonter moins loin dans le temps mais élargir la focale de l’histoire transmise.  

Mathieu Bock-Côté dans le Journal de Montréal s’indigne de ce raccourcissement des temps enseignés : « Comment comprendre l’histoire de la philosophie, de la démocratie, de la science, ou simplement celle de notre conception de l’être humain si nous nous coupons des sources de notre civilisation, de ses textes fondateurs ? » 

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Au-delà du débat québécois, en Amérique du Nord la polémique fait rage sur le caractère euro-centrée de l’histoire des périodes les plus anciennes, les classics dans la dénomination académique anglo-saxonne. 

Les critiques sont formulées par certains spécialistes de l’Antiquité européenne eux-mêmes à commencer par Dan-el Paddilla Peralta, professeur d’histoire romaine au sein de la prestigieuse université de Princeton.  Peralta porte un regard acéré sur sa propre discipline, à laquelle il reproche d’être nourrie de préjugés de races, d’ailleurs largement instrumentalisés dans le passé par le goût immodéré du fascisme italien et du nazisme allemand pour l’antiquité gréco-romaine. En réaction, l’historien Raphaël Doan a signé une tribune, elle aussi indignée, dans les pages du Figaro sur « ces historiens de l’Antiquité qui haïssent l’Antiquité ». L’histoire ancienne serait-elle victime de la trahison de ses enfants tel César poignardé par Brutus ? Il faut dire que Padilla ne modère pas ses propos en incriminant la nécrose de sa période de prédilection et le rôle fondateur de l’Antiquité dans l’établissement et la culture d’une hiérarchie raciale, socle de la suprématie blanche. Il serait allé jusqu’à conclure une de ses conférences en déclarant : « j’espère que la matière va mourir, et le plus tôt possible ». Une déstabilisation radicale et inattendue d’un champ historique en apparence sans histoire qui retrouve à travers cette controverse un puissant potentiel de subversion.  

Normand Baillargeon, ancien professeur de sciences de l’éducation et chroniqueur dans le quotidien québécois  Le Devoir tente de retrouver un peu d’équilibre dans cette discussion en rappelant que « si des fascistes se sont réclamés des classiques, des esclaves en lutte se sont aussi inspirés de Spartacus (…) d’autre part, (…) il n’est que juste et souhaitable que notre lecture de l’Antiquité s’enrichisse de préoccupations actuelles et de travaux nouveaux, justement comme ceux de Padilla sur l’esclavage dans l’Empire romain ». Reste à se pencher sur les manières dont sont formés les enseignants à ces ères chronologiques et sur l’actualisation des connaissances historiques qui dépassent les interprétations enracinées par les adorateurs de mythes racistes à la mode antique.  

L’Antiquité comme les autres périodes de l’histoire n’est pas réduite à l’immobilité de la connaissance et sa robustesse pourrait très probablement soutenir une introspection salutaire et un débat stimulant pour redynamiser son histoire telle qu’elle se fait et le goût de ces périodes historiques lointaines dans nos sociétés contemporaines.  

Liens : 

  • Mathieu Bock-Côté, Il faut sauver le cours d’histoire occidentale, Le Journal de Montréal, 16/03/2021. 
  • Normand Baillargeon, L’éducation et le passé, Le Devoir, 20/03/2020. 
  • Raphaël Doan, «Ces historiens de l’Antiquité qui haissent l’Antiquité», Figaro Vox, 11/03/2021. 

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