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Raphaël Enthoven, Pierre Juston: «Pourquoi nous sommes favorables à l'euthanasie»

«L'euthanasie, au même titre que le droit à l'IVG ou le mariage pour tous, un 'combat laïque'».
«L'euthanasie, au même titre que le droit à l'IVG ou le mariage pour tous, un 'combat laïque'». Adobe Stcok

FIGAROVOX/TRIBUNE - Raphaël Enthoven, philosophe et essayiste et Pierre Juston, juriste et délégué de l'ADMD, répondent à la tribune de l'essayiste Erwan Le Morhedec publiée dans FigaroVox, qui les accusait de discréditer la parole des chrétiens dans le débat sur la fin de vie.

Raphaël Enthoven est agrégé de philosophie, essayiste et écrivain, et éditorialiste à Franc Tireur.

Pierre Juston est juriste et délégué de l'ADMD (Association pour le droit de mourir dans la dignité) pour la Haute-Garonne et pour le Gers.


Le débat contemporain est ainsi fait que le vainqueur n'est plus celui dont les arguments l'emportent, mais celui dont les blessures touchent le plus de gens. Au dolorisme rédempteur s'est substitué la complainte publique, qui a l'avantage d'être efficace dès ici-bas. Si la grenouille se déguise en bœuf, ce n'est plus pour impressionner l'adversaire, mais pour recevoir plus de flèches que lui. Ainsi de notre interlocuteur, l'essayiste Erwan Le Morhedec, qui, s'improvisant porte-parole de l'ensemble des chrétiens (alors que la majorité d'entre eux est aujourd'hui favorable à l'aide active à mourir), s'est senti directement visé par la tribune où, avec Elisabeth Badinter, Caroline Fourest, Jean-Marc Schiappa, Patrick Pelloux ou Henri Pena-Ruiz nous rappelions que le libre choix en matière de fin de vie était, au même titre que le droit à l'IVG ou le mariage pour tous, un « combat laïque ».

Qu'il nous soit permis, d'abord, au risque de priver de quelques flèches notre Saint-Sébastien, de dissiper un malentendu : l'objectif de ce texte n'est pas, comme il dit, « de discréditer par avance les oppositions en rejetant des citoyens hors du corps social » au nom de leurs « convictions religieuses ». Nous ne sommes pas des maccarthystes « cathophobes » qui voient dans les Français de telle confession une « menace pour les institutions » et qui livrent les chrétiens, comme on livrait les « rouges », à la vindicte populaire. Chacun croit ce qu'il veut. Chacun porte au débat le fruit de ses croyances. Dans un univers pluraliste, la limite au débat n'est pas la conviction religieuse, mais le sectarisme. Ou l'intégrisme. Le risque de sédition ne réside pas dans l'expression pacifique des croyances en vertu desquelles la mort volontaire paraît un crime. Mais dans les malédictions, qui n'ont plus rien de pacifique, que reçoivent les partisans de la thèse adverse. Là est le péril.

Le péril se trouve dans les propos de Michel Aupetit, ancien archevêque de Paris, par exemple, qui écrit que c'est « au prétexte d'une fausse compassion » que des médecins pratiquent l'euthanasie ou l'avortement. Dans les menaces que reçoivent les médecins, dans les insultes et les exécrations auxquelles s'abandonne une minorité vindicative (qui se moque d'être minoritaire puisqu'elle est certaine de détenir la vérité). Dans le magistère moral que les « défenseurs de la vie » s'auto-attribuent au point de tenir leurs adversaires pour des tenants de la « décadence ». Dans les paroles du prélat Michel Viot qui compare la mort volontaire à un meurtre. Dans le sentiment médiéval que la loi de Dieu est opposable à la loi des hommes, culminant dans l'érection d'une « ligne rouge » (mais laquelle ?) qui serait « franchie avec l'aide active à mourir » à en croire Eric de Moulins-Beaufort, Président de la Conférence des Evêques de France. Encore une fois, le danger n'est pas le débat, mais le droit exorbitant, incongru en République et tout à fait inopportun, que certains représentants de l'Eglise se donnent, dans ce débat, d'en fixer eux-mêmes les frontières et les lignes à ne pas franchir. La « rare agressivité » qui touche tant Monsieur Le Morhedec est celle de concitoyens qui, s'étant arrachés au prix du sang à la tutelle de l'Église depuis plus d'un siècle, ne souhaitent pas que les représentants de ce qui n'est désormais qu'une association civile et privée se prennent à nouveau pour des législateurs. On peut le comprendre.

Que votre mère se rassure néanmoins (et Dieu la préserve !), Monsieur Le Morhedec, vous ne menacez pas les institutions, bien au contraire. Vous en jouissez pleinement et y participez comme simple citoyen, souvent d'ailleurs avec intelligence, parfois aussi avec mauvaise foi, mais toujours, que ça vous plaise ou non, dans un cadre que vos croyances ne fixent pas. En tout cas, votre tribune ouvre le débat au lieu de le clore, et nous donne l'occasion d'en venir à l'essentiel : « Légaliser l'euthanasie, dites-vous, ne sera pas une loi de liberté. » Et pour quelle raison, s'il vous plaît ? Parce qu'à vous en croire, « la liberté, ça s'institue. N'en déplaise aux libertaires, c'est bien souvent l'interdit qui la garantit. » Jusqu'ici, tout va bien, nous sommes d'accord. Qui contesterait cela ? Qui contesterait que, comme dit Lacordaire, « entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit » ?

Le problème, c'est que vous dérivez insensiblement de l'évidence communément partagée selon laquelle la loi protège la liberté (du salarié ou du consommateur) à l'idée tout à fait différente selon laquelle « en fin de vie, c'est l'interdit qui a restauré la liberté de ce patient atteint de SLA que son médecin de soins palliatifs a logiquement refusé d'euthanasier, tout en puisant dans son engagement les ressources de créativité médicale nécessaires pour lui offrir dix-huit mois d'une fin de vie apaisée. » Autrement dit, vous mettez sur le même plan la loi qui interdit, par exemple, de maltraiter un salarié, et le refus d'exaucer le souhait de mourir d'un individu (qui respecte les conditions d'accès à un tel droit). Or, si la loi protège le salarié, c'est qu'elle lui donne aussi des droits. Dans le cas du refus d'aider à mourir, il s'agit à l'inverse d'un droit qu'on n'accorde toujours pas. Les deux ne sont pas comparables.

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En matière d'aide active à mourir, vous déniez à celui qui souhaite en finir (dans les conditions fixées par la loi) le fait que son désir soit l'expression de sa « liberté », parce le souhait de mourir ne peut pas, à vos yeux, exprimer une liberté. Avant d'examiner les raisons pour lesquelles vous le dites, attardons-nous sur ce point : la « liberté » ne dépend pas des souhaits qu'elle met en œuvre. Nul n'est (aux yeux de la loi) plus ou moins libre selon qu'il choisit de fumer, d'avorter ou de mettre un terme à ses jours. La liberté dont on dispose ne dépend pas du bon ou du mauvais usage qu'on en fait. La « liberté » que la loi garantit ne porte pas sur la nature de nos désirs, mais sur les droits dont nous disposons. Outre les questions délicate de l'abus de droit et de la conciliation des droits par le juge en cas de conflit, l'usage (délétère ou non selon vous) que nous faisons de notre liberté n'est pas l'affaire du cadre libéral de nos droits. Que nous soyons déterminés à vouloir mourir (par les circonstances, les conditions d'accueil ou l'état d'avancement d'une maladie) ne retire aucune liberté à la décision du moribond. Même quand on n'a plus le choix, on peut encore choisir cela.

Réduire le souhait de mourir au manque de soins palliatifs, à l'insuffisance des structures d'accueil ou bien au défaut de personnel, et considérer, par conséquent, qu'il suffirait de remédier à tout cela pour qu'aucun malade, jamais, n'exprime le souhait d'avancer l'heure de sa mort, c'est confondre l'explication et l'excuse.

Raphaël Enthoven et Pierre Juston

Allons plus loin et venons-en aux raisons pour lesquelles vous contestez qu'on puisse « librement » désirer mettre un terme à ses jours, ou bien qu'on nous y aide. Nous ne croyons pas trahir votre pensée en disant que votre raisonnement est le suivant : si nous investissions davantage dans les soins palliatifs, tant de gens qui ne voient que la mort comme issue à leur douleur ne demanderaient qu'à vivre encore. En somme, le système prive chacun de mourir dans des conditions acceptables, avant d'appeler « liberté » la demande d'en finir, faute de mieux. Est-ce bien cela que vous pensez ? Malheureusement (pour vous), ce raisonnement est trois fois faux.

1) Même si le combat contre la douleur est une cause sacrée, même si les aidants sont des saints et même si on ne donnera jamais assez aux institutions qui accompagnent les mourants, il arrive, hélas, que ce ne soit pas le défaut de soins palliatifs qui pousse les gens à vouloir mourir, mais la maladie elle-même. Car la douleur d'être prisonnier de son corps n'est pas toujours soluble dans la morphine. On ne guérit pas à coup de bienveillance le désespoir d'être aphasique ou impotent. Aucune lumière venue d'un autre ne rend l'envie de vivre à celui qui est l'ombre de lui-même. C'est d'ailleurs à cet instant-là que bien des chrétiens, abjurant leur foi, deviennent soudain romains et passent à l'acte. Quand ils en ont les moyens. Car si nous sommes égaux devant le fait de mourir, nous ne le sommes pas devant le droit de recevoir la mort. Sous l'actuelle législation, où le droit Français condamne le condamné (quand il le peut) à mourir ailleurs que chez lui, c'est un privilège de bourgeois. Il n'y aucune différence, de ce point de vue, entre les adversaires de l'euthanasie qui changent d'avis pour eux-mêmes quand ils n'en peuvent plus, et les adversaires de l'IVG qui allaient pudiquement voir des faiseuses d'anges, avant que la loi Veil n'y mît bon ordre.

2) Réduire le souhait de mourir au manque de soins palliatifs, à l'insuffisance des structures d'accueil ou bien au défaut de personnel, et considérer, par conséquent, qu'il suffirait de remédier à tout cela pour qu'aucun malade, jamais, n'exprime le souhait d'avancer l'heure de sa mort, c'est confondre l'explication et l'excuse. C'est faire comme si une décision était réductible à l'ensemble des déterminations qui la précèdent. Or, la souveraineté et la responsabilité d'une décision, quelle qu'elle soit, ne sont pas solubles dans les causes qu'on lui trouve (ou qu'elle se donne). Un individu qui décide d'en finir avec la vie a beau être contraint de le souhaiter, le choix qu'il fait relève de sa liberté. Mieux : c'est toute la liberté qui lui reste ! Si ce geste-là n'est pas libre, aucun geste ne l'est.

3) Enfin, vous opposez « soins palliatifs » et « aide à mourir », alors que les deux vont la main dans la main. Comment accorder le droit d'en finir sans augmenter les moyens d'accompagner celui qui ne fait pas ce choix ? Comment décider, en conscience, de mettre un terme à ses souffrances, sans avoir pris connaissance, des moyens de les apaiser ? Si l'équivalent de la loi Veil en matière d'IVG reste à concevoir en matière d'aide active à mourir, une telle chose est impensable sans un véritable plan de financement des soins palliatifs. Une loi complète accorde à chacun la possibilité de suivre un parcours de soins palliatifs. Ou bien de ne plus le faire et d'accéder à un suicide assisté, comme dans 50% des cas, en Belgique.

La différence entre vous et nous n'est pas une différence entre la « culture de la mort » et la « défense de la vie », c'est la différence entre le fait de se battre, comme nous, pour le choix de tous selon la conscience de chacun, et le fait de se battre, comme vous, pour que votre idée du Bien l'emporte sur la liberté des autres.

Raphaël Enthoven, Pierre Juston: «Pourquoi nous sommes favorables à l'euthanasie»

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7 commentaires
  • anonyme

    le

    Le débat est riche et intéressant. L'introduction est donc inutile et méprisante. Par ailleurs le retour d'expérience apporté par une haute personnalité des Pays-Bas, relaté il y a peu dans le Figaro, est à relire et montre que ce sujet ne doit pas être traité seulement à un niveau philosophique. Le Figaro pourrait-il faire dialoguer les rédacteurs de cette tribune avec ce Monsieur ?

  • anonyme 108096

    le

    "Une civilisationn qui légalise l'euthanasie perd tout droit au respect" MICHEL HOUELLEBECQ

  • France eternelle

    le

    Je trouve toujours curieux que les opposants à la peine de mort pour les coupables des pires crimes soient aussi les militants les plus acharnés pour l'euthanasie des malades et des vieillards, et pour l'avortement des enfants à naître.

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