De la gare au musée d’Orsay, histoire d’une métamorphose

De la gare au musée d’Orsay, histoire d’une métamorphose
Plongez dans l'histoire de cette gare parisienne devenue le musée d'Orsay. Photo ©PxHere

En février 1980, nous avions suivi au plus près et en exclusivité la transformation de la gare d'Orsay en musée du XIXe siècle. Pour rendre hommage à Valéry Giscard d'Estaing, Connaissance des Arts republie notre première visite du musée d'Orsay et partage avec vous la genèse de l'établissement.

Les peintres et les sculpteurs du Second Empire sortis de l’oubli, les impressionnistes décemment présentés, l’Art Nouveau extrait des réserves, les réalistes, de Courbet à Corot, les symbolistes, la peinture, la sculpture, les objets d’art, la photographie, bref, des collections d’une richesse et d’une diversité extraordinaires —comme le siècle qui les a vu naître — bientôt rassemblées en un même lieu, tel est le programme ambitieux du musée du 19e siècle qui ouvrira ses portes en 1983 dans l’ancienne gare d’Orsay.

Ambitieux et forcément coûteux. Aussi, l’opération n’a-t-elle pas manqué de soulever des polémiques. Sans vouloir y participer, il convient de faire remarquer que parmi les dépenses considérées parfois, à tort ou à raison, comme inutiles, la culture est loin d’occuper les premiers rangs. En outre, la dispersion actuelle des collections, l’inconfort de certaines d’entre elles, la difficulté ou l’impossibilité d’accéder aux réserves où d’autres se trouvent confinées de longue date, constituent autant de justifications du futur musée. C’est ainsi qu’au musée du Jeu de Paume, qui abrite les impressionnistes, jamais autant de chefs-d’œuvre n’ont été réunis en un si petit espace. Au second étage du musée du Louvre, d’autres chefs-d’œuvre, eux aussi disposés « bord à bord », sont offerts à l’admiration des foules, qui n’y viennent pas. Il y a là, pourtant, le Pauvre Pêcheur de Puvis de Chavannes, l’Angelus de Millet, quelque 70 Corot.

Un musée dans une gare

Au 19e siècle, le musée d’Art moderne se trouvait au Luxembourg. L’art moderne d’alors, du moins l’officiel, était représenté par Cabanel, Gérôme, Bonnat, Carolus-Duran et autres Meissonier. Puis le goût a évolué et les médailles d’or des salons ont été mises en réserves ou distribuées dans les sous-préfectures. Au Palais de Tokyo, une sélection remarquable de post-impressionnistes est actuellement présentée, des œuvres majeures de Vuillard, Bonnard, Signac, Seurat, Gauguin, Van Gogh ; personne, ou presque, ne s’y rend. Il ne s’agit là que de quelques exemples qui laissent augurer ce que sera le musée d’Orsay lorsque des collections aussi diverses que contradictoires parfois, y seront confrontées.

Alexandre Cabanel, La Naissance de Vénus, 1863, huile sur toile, 130 x 225 cm, musée d'Orsay

Alexandre Cabanel, La Naissance de Vénus, 1863, huile sur toile, 130 x 225 cm, musée d’Orsay

Un musée dans une gare ! Jusqu’alors, c’était plutôt des couvents et des églises désaffectés, voire d’anciens palais, qui se trouvaient ainsi reconvertis, non sans difficultés d’ailleurs. Cette fois, il s’agit d’un bâtiment industriel. Oui plus est, il ne sera pas adapté « au coup par coup » mais livré dans trois ans, clés en main, prêt à fonctionner, à l’équipe chargée de le faire vivre. Bâtie par Victor Laloux en 1900 dans un style plus proche de celui du Second Empire que de l’Art Nouveau, la gare d’Orsay revient de loin, très exactement de l’anéantissement. En 1961, elle était à vendre, et plusieurs projets avaient été proposés par des architectes en renom — dont Le Corbusier — pour remplacer un édifice dont on s’accordait à ne pas regretter la « laideur ». Puis, il y eut l’irrésistible retour en grâce du 19e siècle, la décision de conserver le bâtiment, devenu un « remarquable » témoin de son temps, son inscription partielle, en 1971, enfin son classement, au titre des Monuments Historiques, le 20 mars 1978.

Archive photographique de l'ancienne gare d'Orsay ©DR Archives photographiques, musée d'Orsay

Archive photographique de l’ancienne gare d’Orsay ©DR Archives photographiques, musée d’Orsay

En même temps s’était posé le problème de la réorganisation des musées nationaux et, plus particulièrement, celui d’un hiatus à combler entre le Louvre et le musée d’Art moderne du Centre Pompidou. La convergence de ces deux impératifs — un monument à conserver, un musée à créer — devait aboutir le 20 octobre 1977 à la naissance du musée du 19e siècle. Ce jour-là, sur l’initiative du Président de la République, un conseil interministériel lui donnait une existence légale. On sait que le projet de trois jeunes architectes, Pierre Colboc, Renaud Bardon et Jean-Paul Philippon, a été choisi parmi les six qui avaient été présentés. Ou, plus exactement, sollicités. Car il n’y a pas eu de concours. C’est M. Lachenaud, président de l’Établissement Public du Musée d’Orsay, qui en donne les raisons. « Un concours classique d’architecture, où chacun donne libre cours à son imagination, ne pouvait convenir à un programme aussi complexe, où il n’était pas question de créer mais d’adapter ». Il y a donc eu « consultation d’ingénierie », assortie de contraintes rigoureuses et d’études détaillées et chiffrées financièrement.

Un dilemme architectural

Respecter l’œuvre de Victor Laloux tout en y introduisant les espaces nécessaires aux collections considérables qu’elle est destinée à abriter, tel était le dilemme que les architectes se sont attachés à résoudre. L’immense vaisseau — 138 m de long, 40 m de large, 29 m de haut — ne pouvait être fractionné sans porter atteinte à l’ampleur et à l’harmonie de ses proportions. Des volumes longitudinaux devront malgré tout y être bâtis pour abriter d’indispensables salles d’exposition, mais, peu élevés, ils se déploieront de part et d’autre d’une rue centrale. Côté Seine, les deux nefs latérales, de dimensions inégales, seront en partie entresolées. Plusieurs travées, avec une entrée particulière, accueilleront les expositions temporaires. Les locaux de l’ancien hôtel d’Orsay se verront partagés entre le musée et ses différents services, les bureaux de la Direction des Musées de France et ceux de la Réunion des Musées Nationaux. Un restaurant occupera la monumentale salle à manger de l’hôtel. En sous-sol prendra place une salle de conférences.

Quelques idées maîtresses, ont présidé à la conception du futur musée, et permettent d’en définir l’esprit. Il sera à la fois structuré, souple et articulé, ouvert sur lui-même comme sur l’extérieur, vivant et didactique. Structuré, mais souple et articulé il se déploiera dans l’espace selon un déroulement chronologique rigoureux, mais, à l’inverse, le visiteur pourra, s’il le désire, gagner directement la salle de son choix ou passer d’un département à l’autre par une série de passages, passerelles, escaliers, escalators et ascenseurs. Ouvert sur lui-même comme sur l’extérieur : en de nombreux points, des vues seront ménagées aussi bien sur la grande nef centrale que sur le vaste et lumineux paysage de la Seine et des Tuileries. Comme le souligne M. Michel Laclotte : « Les liens verticaux et horizontaux entre les diverses parties du bâtiment resteront perceptibles ». Ainsi, à Orsay, à l’inverse de ce qui se produit dans certains musées, il sera toujours possible de se « situer ». Vivant et didactique, c’est-à-dire tout le contraire d’un musée nécropole.

Archive photographique de l'ancienne gare d'Orsay ©DR Archives photographiques, musée d'Orsay

Archive photographique de l’ancienne gare d’Orsay ©DR Archives photographiques, musée d’Orsay

Arts décoratifs, architecture, urbanisme, photographie, publicité et estampe

Indissociables des arts plastiques et de leur évolution, le contexte social et politique, la vie de société, les activités de tous ordres, littéraires et musicales en particulier, les arts décoratifs, l’architecture, l’urbanisme, la photographie, la publicité, l’estampe, seront évoqués dans des salles parallèles, soit à titre permanent soit sous forme d’expositions temporaires. La présentation des œuvres fera l’objet d’études très poussées. Elle évitera tout systématisme. C’est ainsi que dans certaines salles, celles du Second Empire et de la fin du siècle notamment, l’ambiance ne sera pas seulement évoquée par l’architecture de Laloux mais par une accumulation, bien dans l’esprit de l’époque, de tableaux, de meubles et d’objets, de tentures et de plantes vertes. En revanche, nul accompagnement ne semble nécessaire aux impressionnistes, qu’un éclairage zénithal et une muséographie discrète se contenteront de mettre en valeur. Musée du 19e siècle : il convient de prendre le terme dans son acception courante et quelque peu restrictive, qui veut qu’en langage artistique le « 19e » n’englobe pas l’Empire et la Restauration mais leur succède. Le musée couvrira donc approximativement la période s’étendant des alentours de 1830 aux environs de 1914.

L’incursion dans le 20e siècle ne concernera que les prolongements du siècle précédent, les mouvements « d’avant-garde », comme le fauvisme et le cubisme, restant en principe au musée d’Art moderne. L’entrée principale du musée se fera place Bellechasse par la vaste marquise actuelle, conservée, pourvue de vitres et transformée en une sorte de jardin d’hiver. Puis le visiteur descendra, par un escalier à double révolution, au niveau du sous-sol, c’est-à-dire des quais, d’où partaient naguère les trains de grandes lignes. Au pied de l’escalier, à l’entrée du cours central : l’immense vaisseau de fer et de verre apparaîtra dans toute son ampleur. A droite, à gauche : des salles et des « ateliers ».

Paul Gauguin, Femmes de Tahiti, 1891, huile sur toile, 69 x 91 cm, musée d'Orsay

Paul Gauguin, Femmes de Tahiti, 1891, huile sur toile, 69 x 91 cm, musée d’Orsay

Première visite du musée

La visite, que nous décrivons brièvement ici pour la première fois (sous réserves des modifications qui pourraient intervenir ultérieurement), commencera par le préambule du romantisme, auquel succédera le mouvement réaliste : Courbet, les paysagistes de l’école de Barbizon, Millet, Corot, jusqu’à l’aube de l’impressionnisme. Tandis que le cours central s’élèvera en pente douce, des salles attireront l’attention sur le prodigieux bouillonnement artistique et technique du Second Empire : l’Opéra, avec Garnier, Carpeaux et Baudry, le décor du Louvre de Napoléon III, l’œuvre du baron Haussmann, l’essor de l’architecture de fer, le Salon avec les peintres et les sculpteurs officiels, etc. Parvenu à l’extrémité du hall, le visiteur, s’il désire poursuivre son cheminement chronologique, s’envolera, via les escalators, vers les salles dites « des hauteurs », juchées sous les combles. Outre de spectaculaires vues plongeantes sur la Seine, il y découvrira le prestigieux ensemble des impressionnistes, l’un des points forts du musée, depuis Manet, Monet, Pissarro, jusqu’à Gauguin et Cézanne. Retour au premier niveau, le plus vaste, dont les salles et les galeries se déploieront tout autour du grand hall. Elles abriteront notamment les post-impressionnistes et les Nabis, les sculptures de Rodin, aussi bien que les œuvres académiques de la fin du 19e siècle. Enfin, l’Art Nouveau clôturera le circuit avec, peut-être, une évocation du Paris de 1900 dans la grande salle des fêtes de l’ancien hôtel d’Orsay.

Dans l’ensemble, et ce sera l’une de ses grandes forces, le musée du 19e siècle mettra en évidence les innombrables contrastes, les antagonismes et aussi les analogies qui, durant près d’un siècle, ont opposé et parfois rapproché ces deux mondes parallèles : l’art officiel, et l’avant-garde. Les collections du futur musée proviendront du musée du Louvre et de ses annexes, le Jeu de Paume et le Palais de Tokyo. Des dépôts seront également effectués par d’autres musées ainsi que par des administrations. Des dons et une campagne d’acquisitions activement conduite depuis 1978, ont déjà contribué à combler certaines lacunes, notamment dans le domaine de l’art étranger et de l’époque « 1900 ». La machine est en route.

Édouard Manet, Lola de Valence, 1862, huile sur toile, 123 x 192 cm, musée d'Orsay

Édouard Manet, Lola de Valence, 1862, huile sur toile, 123 x 192 cm, musée d’Orsay

Un immense chantier

Après le départ de l’hôtel des ventes et du théâtre d’Orsay, prévu pour le mois de mai 1980, l’immense chantier va entrer en action. Tout est à faire. Sur les 25 000 mètres carrés de plancher du seul musée, 15 000 sont à créer de toutes pièces. Parallèlement, les services d’urbanisme de la ville de Paris étudient avec les architectes un remodelage des abords. Un parvis légèrement surélevé, en contact avec les salles d’expositions temporaires et pouvant lui-même servir à des expositions de plein air, est prévu au pied de la façade du quai Anatole France. Le long de la rue de Lille, un portique doit être aménagé en rez-de-chaussée. La place Bellechasse sera « habillée » dans l’esprit du 19e siècle. Programme gigantesque, ambitieux disions-nous. En quelque sorte un véritable pari, celui de forger pour la capitale le maillon indispensable qui manquait encore à la chaîne prestigieuse de ses grands musées. On saura dans trois ans s’il a été gagné.

Photographie de l'ancienne gare d'Orsay. ©DR Archives photographiques, musée d'Orsay

Photographie de l’ancienne gare d’Orsay. ©DR Archives photographiques, musée d’Orsay

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