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Après un faux départ au printemps, la couronne du dais de la dernière reine de Madagascar, Ranavalona III (1861-1917), s’est finalement envolée de Paris pour Antananarivo, où elle devait atterrir jeudi 5 novembre. L’événement, qualifié d’« historique » par le président Andry Rajoelina, coïncide avec l’inauguration, vendredi, d’un controversé colisée et du palais rénové de la reine, situés sur les hauteurs de la capitale malgache. C’est dans ce palais – le Rova – que le morceau de dais sera exposé.
La coiffe de zinc doré garnie de tissu ocre et grenat, haute de 70 cm et de 35 cm de diamètre, séjournait depuis 1910 au Musée de l’armée, aux Invalides, à Paris, à la suite d’un don fait par Georges Richard, « magistrat à la retraite, originaire de La Réunion », comme il est précisé dans la note de huit pages rédigée par les experts du musée pour décrire l’objet et sa provenance.
Le président malgache avait officiellement adressé une lettre à Emmanuel Macron en février pour lui demander la restitution de la « couronne de la reine ». Avec l’espoir que celle-ci puisse aboutir pour les commémorations du 60e anniversaire de l’indépendance de l’ancienne colonie française, le 26 juin.
Prêt simple
Les exigences juridiques qui encadrent la restitution du patrimoine africain souhaitée par le président français ont contrarié ce calendrier. Après avoir refusé que l’objet ne revienne sur la Grande Ile à la faveur d’un prêt simple – ce qui avait, au dernier moment, conduit à annuler l’expédition –, le président malgache semble s’être résolu à cette solution, en attendant que soit votée en France une loi qui seule peut autoriser à déroger au caractère inaliénable et incessible des collections nationales.
Comme cela vient d’être décidé par l’Assemblée nationale et le Sénat pour vingt-six pièces du « Trésor de Béhanzin » au bénéfice du Bénin et pour un sabre attribué au chef de guerre El Hadj Omar Tall pour le Sénégal.
« Il s’agit d’une mise en dépôt, de la France à Madagascar, dans le cadre d’une convention signée entre les deux pays, précise ainsi le ministère français de la culture. Cette convention s’inscrit dans le processus de retour à Madagascar de ce bien culturel, symbole de l’histoire malgache, au titre duquel la France s’engage à initier, dans les meilleurs délais, les mesures préalables à la procédure législative pouvant permettre le transfert de propriété de ce bien à Madagascar. »
« Cent vingt-trois ans après son enlèvement, nous accueillerons ce symbole de notre souveraineté nationale », s’est félicité Andry Rajoelina.
L’expertise rédigée par les experts des Invalides se montre toutefois formelle : le « trésor » de Georges Richard n’est pas une prise de guerre
La note du Musée de l’armée pose pourtant davantage de questions qu’elle n’apporte de certitudes sur l’histoire de cet « élément décoratif » surmontant le dais sous lequel la reine s’installait pour s’adresser à la population lors d’événements solennels appelés Grand Kabary.
Dans quelles conditions son donateur se l’est-il approprié ? Georges Richard a séjourné à plusieurs reprises sur la Grande Ile. Une première fois en tant qu’engagé dans le corps expéditionnaire de Madagascar (1883-1885), puis dans le cadre de l’administration coloniale, en tant que délégué pour le recrutement de la main-d’œuvre malgache pour l’île de La Réunion (1895-1897). Mais il est aussi possible qu’il y soit demeuré plus longtemps, « après avoir obtenu la concession d’un terrain afin de développer un élevage ».
En remettant l’objet au Musée de l’armée en 1910, Georges Richard y joignit une photo montrant le Grand Kabary au cours duquel la reine exhorta le peuple à prendre les armes contre les Français en 1895. Un cliché presque similaire fut pris le jour où elle dut annoncer la défaite. L’étude rédigée par les experts des Invalides se montre toutefois formelle : le « trésor » du Réunionnais n’est pas une prise de guerre.
Unité nationale
Faute d’avoir, jusqu’à présent, retrouvé les inventaires des biens du palais de la reine établis au moment de sa destitution, en 1897, les hypothèses restent aussi ouvertes sur l’importance de ce dais. Figurait-il sur la liste des biens destinés à être conservés dans le palais, transformé en musée par Joseph Gallieni (1849-1916), alors gouverneur général de Madagascar ? Ou était-il destiné à la vente de septembre 1897, parmi les biens présentant « peu de valeur artistique ou d’intérêt historique » ?
Le puzzle est loin d’être complet mais, quitte à se répéter, la note du Musée de l’armée conclut : « Rappelons-le à nouveau, il ne s’agit en aucun cas de la couronne de la reine. » Celle-ci, en vermeil orné de sept fers de lance représentant les sept maisons princières et surmontée d’un aigle, a été dérobée dans le palais d’Andafiavaratra en 2011. La précaution n’est pas inutile, alors que, mercredi, le quotidien La Tribune de Madagascar affichait ladite couronne à sa « une », en titrant : « Restituée. »
Alors que le pays est politiquement divisé et que la récession s’installe dans le sillon de l’épidémie de coronavirus, Andry Rajoelina espère faire de cette « victoire » un moment d’unité nationale. Et éteindre, au passage, la polémique sur la construction dans l’enceinte royale du Rova d’un colisée en béton qui, au-delà des frontières, a soulevé les critiques du comité du Patrimoine mondial de l’Unesco.
Ce calcul est loin d’être gagné. D’éminents représentants des familles princières ont fait savoir qu’ils n’assisteraient pas aux célébrations auxquelles ont été conviés vendredi les dignitaires du pays. Ce serait cautionner une profanation du Rova, à leurs yeux impardonnable.
Le Sénat a donné son feu vert, mercredi 4 novembre, à l’unanimité, après l’Assemblée nationale, à la restitution de biens culturels au Sénégal et au Bénin, malgré des critiques sur la « méthode », pointée comme « un fait du prince ». Pour « mieux encadrer scientifiquement », dans le futur, ce type de procédures, le Sénat a introduit dans le projet de loi la création d’un « Conseil national chargé de réfléchir aux questions de circulation et de retour de biens culturels extra-européens ». Une initiative à laquelle le gouvernement est opposé, et qui a donc peu de chance de voir le jour. Le projet de loi répond à une volonté de refonder les relations culturelles avec l’Afrique, exprimée par le président Emmanuel Macron en novembre 2017 à Ouagadougou. Ces œuvres sont « devenues de véritables lieux de mémoire », a affirmé la ministre de la culture, Roselyne Bachelot, tandis que plusieurs orateurs soulignaient leur « forte charge symbolique ».
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