Qui dit fin d’année, dit rétrospectives, best of et autres retours sur les faits marquants de l’année. Le Copyright Madness n’échappe pas à la règle et vous propose une sélection des dérives les plus gratinées que nous avons épinglées en 2019. 

Le droit d’auteur contre la création

Si théoriquement le droit d’auteur et le copyright sont conçus pour protéger les créateurs, on s’aperçoit rapidement que l’idée de base est souvent distordue. En effet, la propriété intellectuelle est régulièrement utilisée contre les auteurs, à des fins de censure ou bien pour écarter la concurrence.

Let it be. On en a parlé plusieurs fois dans les colonnes du Copyright Madness et Paul McCartney en a gros sur la patate ! Le chanteur des Beatles qui a coécrit un paquet de titres avec John Lennon a décidé d’attaquer et de porter plainte contre Sony. Le label détient en effet les droits sur des chansons qu’il a écrites. À chaque fois qu’il fait un concert, il doit payer des droits pour pouvoir chanter ses propres chansons. Cette situation est totalement ubuesque et montre que le mythe de la propriété intellectuelle supposée défendre les intérêts des créateurs est à géométrie variable. D’ailleurs, il n’est pas la seule victime de ce racket, car Sony possède également les droits sur les chansons de Michael Jackson ou du groupe Duran Duran.

Beatles

Les Beatles.

Source : Sarah Elizabeth C

Carton rouge. Le Copyright Madness peut parfois recouper la violation de la vie privée et cela donne un cocktail explosif ! C’est ce qui s’est passé en Espagne où l’équivalent de la CNIL a dû infliger 250 000 euros d’amendes à la Ligua (la ligue professionnelle de football). Cette dernière avait en effet conçu une application pour les fans comportant une fonctionnalité assez surprenante. Elle utilisait le micro des smartphones pour écouter les alentours et détecter automatiquement si des retransmissions interdites de matches étaient diffusées… La CNIL espagnole n’a pas trop apprécié et elle a estimé qu’il y avait violation du RGPD. La Ligua conteste, car elle ne voit pas où est le problème, les utilisateurs ayant donné leur consentement en téléchargeant l’application ! Pas besoin de demander un arbitrage vidéo pour voir que cela ne tient pas debout…

La gloire de mon père. La propriété intellectuelle fait parfois fi de toute morale. Ou plus précisément, certains titulaires de droits. C’est le cas de la maison d’édition Les Éditions de l’Atelier, qui a poursuivi en justice l’humoriste Kheiron pour plagiat. Kheiron a réalisé le film Nous trois ou rien qui retrace la vie de son père, réfugié politique iranien ayant fui son pays pour venir s’installer en France. Ce film hommage a naturellement été inspiré de la vie de son père et ce projet a vu le jour notamment après la lecture du livre écrit par le père de Kheiron. Certains passages de l’autobiographie ont été adaptés puis mis en scène dans le film. Et c’est précisément pour cette raison que la maison d’édition a attaqué l’humoriste pour contrefaçon. Mais ce n’est pas tout, elle s’en est pris aussi au père lui-même, autrement dit l’auteur du livre ! Kheiron aurait demandé l’autorisation à l’éditeur qui n’aurait jamais répondu. Le plus triste, c’est que la justice a donné raison à l’éditeur qui lui donne le droit de s’accaparer des moments de la vie d’un individu…

Kheiron aux Césars 2016 // Source : Wikimedia

Kheiron aux Césars 2016

Source : Wikimedia

Bande de bachibouzouks. Cette année, nous avons eu le droit à plusieurs dérives de la part de la société Moulinsart réputée pour être vigilante en matière de droit d’auteur. Avec ce lot de dérives, Moulinsart nous a prouvé son incapacité à comprendre le concept d’hommage. L’illustrateur Emmanuel Lepage a publié sur son compte Instagram le visuel de l’affiche des trente ans du Centre Belge de la Bande Dessinée. Un grand événement qui a été organisé au mois d’octobre dernier. Afin de célébrer le 9ème art, Emmanuel Lepage avait glissé plusieurs clins d’œil au monde de la BD et notamment la fusée de Tintin de l’album Objectif Lune. Moulinsart a aussitôt dégainé la carte propriété intellectuelle et demandé à l’auteur de retirer la célèbre fusée à damiers. Afin d’éviter l’objectif procès, l’auteur s’est exécuté et a produit une nouvelle affiche. Mais de façon habile, cette affiche est un beau pied de nez à Moulinsart.

Tintin Lune

On a marché sur la Lune

Source : Hergé

Robocopyright

Réaliser un best of des pires dérives de l’année de la propriété intellectuelle sans parler de YouTube et de son robocopyright ContentID est un exercice impossible. À plusieurs reprises l’algorithme de YouTube a ciblé des vidéos tout à fait légitimes. Mais la politique de YouTube, c’est « On agit et on discute ensuite ».

E=mc². TF1 doit avoir de mauvais souvenirs en mathématiques à l’école. La chaîne a fait retirer une vidéo d’un prof de maths qui anime une chaîne YouTube parce qu’il a réutilisé un extrait de la série Demain nous appartient. La séquence qu’il a utilisée met en scène un cours de maths qui contient 3 erreurs. En bon pédagogue, le prof a voulu se servir de ladite séquence pour les expliquer, d’autant plus que le sujet est au programme de première. C’était donc une occasion en or. Mais TF1 ne tolère pas l’exception pédagogique et a effectué une demande de retrait manuel. Pour une fois, ce n’est même pas le robocopyright de YouTube qui a dégainé. Avec cette demande de retrait abusive, TF1 passe vraiment pour le mauvais élève…

Centre de mathématiques Laurent Schwartz. // Source : Ecole polytechnique

Centre de mathématiques Laurent Schwartz.

Source : Ecole polytechnique

Cacophonie. L’application de playback Tik Tok a beaucoup de succès, ce qui a donné l’idée à des vidéastes de reprendre des séquences pour en faire des commentaires humoristiques. Mais ce n’est pas si simple, car le robot de YouTube détecte les musiques qui passent en fond et bloque les vidéos. Du coup, certains usagers ont trouvé une parade originale : ils interprètent eux-mêmes les morceaux, mais en chantant le plus faux possible. Et ça suffit visiblement pour duper ContentID… On en arrive donc à l’absurdité où pour arriver à diffuser une musique, il faut la massacrer. On n’arrête pas le progrès…

Sans voix. Une année supplémentaire se termine, mais la gestion des droits sur YouTube n’a toujours pas l’air d’aller beaucoup mieux. Le vidéaste SmellyOctopus, spécialisé dans les jeux vidéo, qui en fait les frais. D’une manière assez originale, d’ailleurs. Pour tester son nouveau micro, il avait effectué une diffusion en direct et en privé de neuf minutes dans lequel il se contentait de parler. Bim ! Le robocopyright a estimé qu’il y avait une violation du droit d’auteur et c’est une compagnie dénommée CD Baby qui serait la victime de cette infraction. Sauf que cela revenait tout simplement à dire que la voix du vidéaste était sous copyright… de quelqu’un d’autre ! Alors, certes, CD Baby a ensuite très vite retiré sa réclamation, mais c’est YouTube qui ferait mieux d’écouter la voix de la sagesse et de débrancher sa machine à gaffes…

micro

On en reste sans voix. // Source : Freestocks

Copyfraud

La force du domaine public réside dans la liberté qu’il offre à chacun pour se le réapproprier et  servir de terreau pour la création de nouvelles œuvres. Les œuvres relevant du domaine public appartiennent à tous. Nous en sommes toutes et tous les héritiers et les protecteurs pour pouvoir les sauvegarder et les transmettre aux générations futures. Cependant, il arrive parfois que certains se sentent un peu trop libres et essaient de rajouter des droits sur des œuvres du domaine public. Et ça donne lieu à de sacrées dérives…

Scan Like an Egyptian. En 2016, une histoire étrange était arrivée à propos d’un célèbre buste de Néfertiti, conservé au Neues Museum de Berlin. On avait en effet vu apparaître sur Internet des fichiers numériques 3D si précis de cette œuvre que les experts avaient conclu qu’ils n’avaient pu être réalisés qu’à partir de l’original. La copie avait été faite par des activistes qui ont sans doute utilisé des Kinects pour réaliser discrètement cette capture dans le but de « libérer » le buste de Néfertiti en le rendant imprimable par quiconque. Le musée n’avait pas du tout apprécié cette initiative, car il estimait avoir un copyright sur l’image de l’œuvre. Finalement, l’établissement a un peu changé sa position : il diffuse à présent des fichiers pour l’impression 3D, mais avec une licence en Creative Commons qui interdit tout usage commercial. Bien tenté, mais cela ne va toujours pas ! L’œuvre a 3 000 ans et appartient au domaine public et ce n’est pas faire un scan 3D fidèle qui permet de générer une nouvelle œuvre protégeable. Il serait temps de laisser Néfertiti vivre sa vie sur Internet…

Néfertiti égypte

Le buste de Néfertiti.

Source : Paul Mannix

Gonflé ! La première image d’un trou noir publiée mi-avril a émerveillé le monde entier, mais elle a aussi attiré les convoitises. La société Visual China Group (VCG), qui détient le site 500px, n’a pas hésité à intégrer la photo à sa banque d’images et à la proposer à la vente, en rajoutant son copyright dessus. Le problème, c’est que la photo a été placée à l’origine sous licence Creative Commons par les chercheurs qui l’ont générée, pour qu’elle soit librement réutilisable. Les internautes chinois ont protesté contre ces pratiques de VCG et ils ont remarqué que la société vendait en réalité tout et n’importe quoi, y compris des emblèmes officiels des institutions du pays et jusqu’au drapeau de la Chine !  Les autorités chinoises ont fini par envoyer une injonction à l’entreprise pour qu’elle cesse ses activités illicites. On lui recommande aussi d’aller se cacher dans le trou noir de la honte et de s’y faire oublier…

Fausse note. Les dérives du robocopyright de YouTube peuvent presque déclencher des incidents diplomatiques ! Cette année, une des chaînes YouTube les plus importantes d’Afrique a été frappée d’une plainte pour avoir posté une vidéo comportant l’hymne national du Kenya. La demande de retrait émanait étrangement d’une société basée en Angleterre. Le département de la justice du Kenya a publié une réaction officielle expliquant que l’hymne national appartenait au domaine public et qu’il désapprouvait ce qui s’apparente à ses yeux à une appropriation indue du patrimoine du pays. Le plus cocasse, c’est que cet hymne a été composé, il y a 50 ans, lorsque le Kenya a gagné son indépendance face à l’Angleterre !

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Scène au Kenya.

Source : ViktorDobai

Les marques, elles nous marquent

Le droit des marques est censé protéger les consommateurs des contrefaçons et autres imitations frauduleuses. Mais de petits malins arrivent très souvent à en détourner la finalité et 2019 n’a pas été avare en dérives carabinées…

Sang d’encre. Connaissez-vous l’inktober ? Il s’agit d’un défi imaginé en 2009 par le dessinateur américain Jake Parker, consistant à réaliser tous les jours du mois d’octobre un dessin à l’encre et à le poster sur les réseaux sociaux. Jusqu’ici, une initiative plutôt sympathique pour développer la passion du dessin, mais les choses ont pris un tournant plus mercantile. Jake Parker, qui avait donc proposé à l’origine le hashtag #inktober, a déposé une marque sur ce terme et annoncé son intention d’interdire son usage commercial. Les personnes qui auraient par exemple voulu vendre leurs dessins réalisés durant le mois d’octobre ne pourront le faire en utilisant le mot « inktober ». On n’a pas besoin de vous faire un dessin pour expliquer qu’on trouve ça un peu abusif…

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L’inktober est un évènement créatif autour de l’usage de l’encre. // Source : Ben Collins-Sussman

Absurde. À la surprise générale, l’artiste de rue Banksy a ouvert dans les rues de Londres un pop-up store dans lequel il vend des objets plus étranges les uns que les autres, comme des paillassons confectionnés à partir de gilets de sauvetage récupérés dans des camps de migrants en Grèce. Cette décision pourrait paraître assez contradictoire pour un artiste connu pour s’opposer à la marchandisation de l’art. Mais la raison est à trouver dans le droit des marques et ses absurdités. En effet, Banksy a déposé une marque sur son nom pour empêcher que d’autres ne vendent des produits dérivés réalisés à partir de ses oeuvres. Mais un marchand de cartes postales conteste la validité de cette marque, en faisant valoir que Banksy ne l’utilise pas. Et d’après la loi, cela peut effectivement conduire à son annulation, voire même à son transfert au profit de ce petit malin. Pour éviter cela, Banksy est obligé d’ouvrir une boutique pour prouver qu’il exploite bien la marque. Au royaume de la propriété intellectuelle, c’est toujours la marchandise qui gagne à la fin…

Banksy tag pochoir

L'un des graffitis réputés de Banksy.

Source : Diego Fornero

Caprices de stars

Plusieurs célébrités ont décroché leur ticket d’entrée dans le Copyright Madness. Leurs dérives particulièrement gratinées révèlent un égo démesuré et un usage excessif du droit des marques.

Baby Blues. Kylie Jenner a le sens des affaires : elle est devenue la plus jeune milliardaire des États-Unis. Mais elle est allée un peu loin cette année, ce qui lui a valu de devenir la risée des internautes sur Twitter. Elle a posté une vidéo sur TikTok la montrant en train de réveiller sa fille de la sieste en lui chantant les mots « Rise and Shine ». Le côté mignon de la chose a fait que la vidéo a atteint le milliard de vues. Flairant la bonne affaire, Kylie Jenner a immédiatement commencé à mettre en vente des pulls avec les mots « Rise and Shine » pour la modique somme de 65 dollars. Elle est allée plus loin en déposant la marque « Rise and Shine », mais aussi « Riiise and Shiiine »… Les internautes se sont déchaînés lorsqu’ils l’ont su sur Twitter, en dénonçant le narcissisme et la cupidité qui ont motivé cette idée. On ajoutera que c’est quand même aussi un moment intime avec sa fille qu’elle essaie de marchandiser de la sorte…

Kylie Jenner

Kylie Jenner.

Source : ABC/Image Group LA

Initiales. Kim Kardashian, alias la reine du Trademark Madness, est apparue de nombreuses fois cette année dans cette catégorie. Elle a déposé plainte contre une société chinoise qui a déposé la marque KKW pour vendre des articles, comme des étuis pour téléphones portables, des enceintes, des écouteurs ou des lunettes de soleil. Or, KKW fait référence, selon elle, à Kim Kardashian West, son nom complet, et elle a déjà déposé comme marque ces trois lettres pour une ligne de maquillage et des objets comme… des lunettes de soleil. Très modeste, Kim Kardashian ajoute que sa renommée mondiale lui permet de s’opposer à cet usage à l’autre bout du globe. Attention si vous avez l’intention d’utiliser les lettres K et W pour quoi que ce soit, Kim pourrait vous attaquer pour dilution de sa glorieuse réputation.

Kim Kardashian

Kim Kardashian, à droite. // Source : Eva Rinaldi

Karaté. Kim Kardashian méritait de figurer deux fois dans ce Worst of 2019, car elle a fait preuve d’une créativité édifiante dans le dépôt de marques abusives. Elle a créé cette année une marque de lingerie qui se veut inclusive et adaptée à toutes les morphologies et dans toutes les teintes de peau. Kim Kardashian a baptisé sa marque… Kimono ! Vous l’avez ? Elle joue sur la sonorité de son prénom et le vêtement traditionnel japonais. Problème : cette marque a été dénoncée comme une appropriation culturelle par de nombreux Japonais qui l’ont fait savoir sur les réseaux sociaux avec le hashtag #KimOhNo !

Brevets

Surpuissance. Un ingénieur travaillant pour l’US Navy a effectué un dépôt de brevet qui a soulevé pas mal de questions. La machine qu’il y présente est un microréacteur à fusion, capable de générer une puissance de plus d’un milliard de watts, ce qui est bien plus que les centrales nucléaires actuelles. Des commentateurs ont fait remarquer que ce réacteur semble impossible à construire avec les technologies connues, mais cela n’a pas empêché l’attribution du brevet… Si on va par là, pourquoi ne pas autoriser le brevetage de la machine à remonter le temps ou celui des modules d’hyperespace ? Les auteurs de science-fiction trouveraient là un nouveau débouché pour leur imagination débordante…

startrek

Et pourquoi pas un vaisseau spatial futuriste, tant qu’on y est ?

Santé. La générosité des Français permet de faire avancer la recherche grâce aux dons. Les sommes récoltées aboutissent parfois à des découvertes qui offrent une amélioration de la santé des malades. Ainsi, la laboratoire de recherche Généthon a pu développer des traitements de thérapie génique. Le financement de cette recherche provient en partie des dons du Téléthon et du CNRS. Généthon est parvenu a élaborer un médicament pour les enfants atteints d’amyotrophie spinale. Mais grâce à la magie des brevets, Généthon ne commercialise pas ce médicament. En effet, le laboratoire détient un brevet sur ce traitement, mais c’est une startup américaine qui a transformé la découverte en traitement. Cette même startup a été rachetée par Novartis pour la somme de 8 milliards de dollars. Pour rentabiliser son investissement, Novartis a décidé de commercialiser le médicament à 2,15 millions de dollars. Grâce à un subtil jeu de rachat, Novartis va pouvoir satisfaire ses actionnaires en vendant un médicament financé initialement par des dons et de l’argent public. Évidemment le prix exorbitant pose la question de l’accès aux soins. Et Généthon a pris soin de prévoir une clause dans la licence d’utilisation du brevet qui stipule que le prix ne doit pas être une barrière. Mais visiblement, Novartis n’a pas dû lire cette clause…

Échantillons en laboratoire. // Source : Pixabay (photo recadrée)

Échantillons en laboratoire.

Source : Pixabay (photo recadrée)

Désorienté. Pour conclure cette catégorie Brevets du Worst of Copyright Madness 2019, nous vous proposons un litige qui oppose Apple à la société Location Based Technologies qui commercialise le produit PocketFinder permettant de géolocaliser ses clés. Ce dispositif intègre différentes technologies qui sont protégées par des brevets détenus par l’entreprise. Elle accuse Apple d’avoir utilisé sans son accord un brevet intitulé Appareil et procédé de détermination de la position et des coordonnées de suivi d’un dispositif de repérage. Le brevet en question concerne une méthode de réception des signaux sur l’appareil, afin de  pouvoir identifier la position grâce aux coordonnées géographiques. Location Based Technologies devrait élargir son investigation. Il est fort à parier que plein d’autres fabricants d’objets connectés utilisent… le GPS !

GPS embarqué boîtier

Un appareil GPS dans une voiture. // Source : Andrew

Le petit Robert

L’année 2019 a été riche en dérives en matière du droit des marques. À plusieurs reprises, nous avons épinglé des titulaires de droits prêts à tout pour défendre leurs intérêts y compris en tentant de s’approprier des lettres, des mots ou des syllabes.

N pour Nul. Depuis que nous écrivons cette chronique, nous avons vu des sociétés revendiquer des marques sur à peu près toutes les lettres de l’alphabet. Cette fois, c’est la lettre N qui se fait privatiser. Le fabricant américain de chaussures New Balance a réussi à faire condamner en justice une société chinoise qui utilisait comme lui le N sur des chaussures de sport. Il s’agit pourtant d’un N complètement banal, en blanc avec un simple trait noir pour détourer la lettre. En 2017, New Balance avait déjà réussi à faire reconnaître par la justice chinoise une violation similaire de sa marque, avec un dédommagement record d’un million et demi de dollars. C’était la première fois que la Chine, qui fut longtemps le paradis de la contrefaçon, accordait une telle somme à une société étrangère. C’est formidable de voir la mondialisation en marche du Trademark Madness !

new balance basket chaussure

Une paire de New Balance.

Source : Bart Booms

Cannibalisme. Certains patrons peuvent s’avérer particulièrement cupides au point de plomber leur propre entreprise. En la matière, Adam Neumann mérite sans doute qu’on lui décerne un prix. Cofondateur de la société WeWork, il s’est fait verser par celle-ci près de 6 millions de dollars par an, car il détient à titre personnel une marque de commerce sur le terme « We ». Outre que cette marque a pour effet de privatiser un mot du langage courant, elle est utilisée par un PDG pour extorquer sa propre entreprise… Cerise sur le gâteau, le même Adam Neumann est parti avec un parachute doré de WeWork, après que la société a raté son introduction en bourse.

WeWork

Des locaux WeWork.

Source : Phillip Pessar

No Limit. Aux États-Unis, le football américain est un énorme business, y compris au niveau des universités. Ces établissements engrangent de grosses sommes grâce au merchandising et cela peut les pousser à déposer des marques fantaisistes. L’Ohio State University a néanmoins repoussé toutes les limites, avec une tentative de dépôt de marque sur le mot « THE ». Oui, vous avez bien lu. L’idée consiste à imprimer ce mot sur des t-shirts ou des casquettes pour les vendre. On rappelle qu’une marque est censée avoir un pouvoir distinctif pour désigner spécifiquement des produits et « THE » est sans doute le mot le moins distinctif au monde ! Quelle sera la prochaine frontière ? Déposer des demandes sur les lettres de l’alphabet et les signes de ponctuation ?

lettre-alphabet

Il existe un risque d’appropriation des mots du langage par le truchement du droit des marques. // Source : Neil Conway

DRM

Pour empêcher la contrefaçon, les maximalistes du droit d’auteur n’hésitent pas à recourir aux pires méthodes. Généralement, la solution miracle passe par l’implémentation de verrous numériques qui dysfonctionnent assez rapidement. Gardons en tête qu’un bon DRM, c’est un DRM cassé !

Touché-coulé. Les DRM gangrènent de plus en plus la société. Des capsules de café aux livres numériques, en passant par les batteries de voiture, on retrouve ces menottes numériques dans tous les secteurs, y compris dans les jouets. En effet, le fabricant de jouets Hasbro commercialise le Nerf, un pistolet lanceur de fléchettes en mousse. Si ce jouet s’adresse aux enfants, il est aussi apprécié des adultes qui s’en servent pour faire de l’airsoft vraiment soft. Les organisateurs de « Nerf Wars » utilisent souvent des munitions officieuses pour leurs événements, car elles coûtent moins cher que les fléchettes vendues par Hasbro. Face à ce manque à gagner, l’entreprisea eu la merveilleuse idée d’implémenter un DRM pour que l’appareil ne puisse fonctionner qu’avec les siennes. Si jamais l’utilisateur charge son arme avec des fléchettes contrefaites, le pistolet bloque l’envoi et passe à la munition suivante. Bravo à Hasbro qui réussit le combo de rendre la guerre fun et de faire la guerre à la contrefaçon…

Nerf arme gun hasbro

Un pistolet Nerf. // Source : thelittleone417

Lecture. L’annonce de la fermeture du magasin de livres numériques de Microsoft a fait couler beaucoup d’encre. En effet, le géant américain a pris la décision de fermer sa boutique pour des raisons de rentabilité. Cette fermeture se traduit par la mise à l’arrêt des serveurs qui gèrent les DRM implémentés dans les livres numériques. Par conséquent, « les livres cesseront de fonctionner » selon les mots de Microsoft. En cette fin d’année 2019, des livres peuvent ne plus être lus à cause de la dépendance d’un tiers qui fait la pluie et le beau temps. Si les ebooks vendus par Microsoft sur son store n’étaient pas bardés de verrous numériques, les livres seraient encore accessibles et pourraient être lus par les personnes qui les ont achetés. Imaginez si quelqu’un venait chez vous récupérer les livres de votre bibliothèque, au prétexte que le libraire chez lequel vous les avez achetés a mis la clé sous la porte. Ce serait inimaginable, mais c’est pourtant ce qu’il s’est passé…

Rayon X. UltraViolet est un service dont l’objectif est de permettre aux personnes qui ont acheté un DVD d’obtenir une copie numérique du film conservée dans un coffre-fort numérique. Ce système de DRM fonctionne avec un code que l’utilisateur acquiert avec le support physique et le renseigne sur la plateforme en ligne. Mais UltraViolet a annoncé à ses utilisateurs sa fermeture pour fin juillet. Évidemment, on devine les dommages collatéraux, avec des utilisateurs incapables d’accéder à leur copie numérique légalement achetée, parce que ce service est un DRM géant. C’est bien connu, les UV sont dangereux pour la santé !

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Présentés comme un outil contre le piratage, les DRM sont aussi des menottes numériques qui lient les utilisateurs. // Source : Flo

Sagesse

Les décisions qui mettent un coup d’arrêt aux dérives de la propriété intellectuelle sont malheureusement rares. Il en existe fort heureusement et nous tenions à le rappeler en conclusion de ce Worst of Copyright Madness 2019 afin de ne pas sombrer collectivement dans le désespoir.

Géométrie. Toutes les dérives que nous compilons chaque semaine ont de quoi donner le tournis. Mais parfois, des juges font preuve de sagesse et sont un rempart à certaines dérives de la propriété intellectuelle. En 2019, la Cour de justice de l’Union européenne a remis l’équipementier Adidas à sa place. Plus précisément, le tribunal a confirmé la nullité de la marque, au niveau de l’Union, qui se présente sous la forme de trois bandes parallèles dans n’importe quelle direction. L’entreprise pensait que son logo à trois bandes était suffisamment distinctif pour bénéficier d’une protection. Mais elle n’a pas réussi à acquérir un caractère distinctif par l’usage dans suffisamment de pays membres. On peut dire qu’Adidas s’est fait battre à plate couture !

adidas-basket

Des baskets Adidas, avec un design faisant ressortir des bandes parallèles sur le côté. // Source : Athul Adhu

Ô Canada. Les dérives du copyright semblent gagner peu à peu tous les pays du monde. Vraiment tous ? Non ! Il y a encore un pays qui résiste encore et toujours et il s’appelle le Canada. Les Canadiens travaillent sur une réforme de leur loi sur le droit d’auteur, qui a donné lieu à l’élaboration d’un rapport par des experts. Or, surprise, celui-ci préconise un certain nombre de mesures relativement sages, comme le rejet du blocage de sites web ou la préservation les exceptions au droit d’auteur en faveur des usages pédagogiques. Le Canada est obligé de prolonger la durée des droits de 50 à 70 ans après la mort d’un auteur, mais le rapport propose de limiter les dégâts en imposant un enregistrement obligatoire aux titulaires qui voudraient bénéficier de l’extension. Bref, que des propositions aussi douces que du sirop d’érable !

Canada drapeau

Jeux d'eau et de lumière.

Source : Jamie McCaffrey

Réalisme. Le piratage est présenté partout comme un fléau pour la culture, mais il arrive que certaines voix s’élèvent pour faire entendre un son de cloche différent, y compris parmi les créateurs. Le réalisateur allemand Werner Herzog s’est ainsi laissé aller à faire quelques confidences récemment lors d’une master class. Il a admis qu’il était important pour lui d’être payé pour son travail, mais il a aussi reconnu que l’offre légale en matière de films était encore lacunaire et qu’il trouvait légitime de se tourner vers le piratage devant ces défaillances. Pour lui, le piratage est même « le meilleur moyen de distribuer les films à travers le monde ». Une position qui rejoint des propos déjà tenus dans le passé par les producteurs de la série Game of Thrones dont le premier épisode de la saison huit a été téléchargé illégalement 55 millions de fois en 24 heures !

Le Copyright Madness vous est offert par :

Lionel Maurel

Thomas Fourmeux

Merci à celles et ceux qui nous aident à réaliser cette chronique, publiée sous licence Creative Commons Zéro, notamment en nous signalant des cas de dérives sur Twitter avec le hashtag #CopyrightMadness !

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