Le beau pour tous au quotidien : qui sont les peintres nabis ?

Le beau pour tous au quotidien : qui sont les peintres nabis ?
Maurice Denis, L'Echelle dans le feuillage (détail), 1892, huile sur toile montée sur panneau de bois, 235 x 172 cm, Saint-Germain-en-Laye, musée départemental Maurice Denis ©Jean-Pierre Dalbéra from Paris, France, CC BY 2.0, via Wikimedia Commons

Pour les Nabis, la peinture est un au-delà de la réalité. Le chevalet ne leur suffit pas. Héritiers de Gauguin, inspirés par l'estampe japonaise et l'art médiéval, ils aspirent à un renouveau esthétique qui passe par la libération de l'espace et des couleurs et les conduit à abolir la frontière entre les beaux-arts et les arts appliqués. Mais qui sont les prophètes de cet art d'avant-garde, éminemment spirituel ?

« Se rappeler qu’un tableau […] est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées. »
Maurice Denis

Acteurs d’un XIXe siècle trépidant, prophètes de son possible avenir, les peintres nabis veulent du neuf. La vie moderne les y incite, induisant, au fil des innovations et des progrès techniques, conforts, rythmes, usages et goûts inédits. Âgés pour la plupart d’une vingtaine d’années, les artistes qui constituent dès 1888 le groupe des Nabis (« prophètes » en hébreu), se sont affranchis du réalisme, de l’impressionnisme et d’une propension à idéaliser l’histoire et le passé. Ils ne cherchent plus à imiter la nature ni à saisir l’instant et entendent se démarquer de leurs contemporains en expérimentant de nouvelles voies.
Joindre le beau et l’utile est leur point de départ, et ils s’inscrivent en cela dans un courant qui, de l’Arts and Crafts à la Sécession viennoise, traverse alors le monde occidental. Soucieux d’introduire du beau pour tous au quotidien, les Nabis vont travailler à régénérer l’art de peindre par une production artisanale, abolissant ainsi les frontières entre arts majeurs et arts mineurs, et s’affirmant en tant qu’artistes décorateurs. Découvrez sept peintres emblématiques de ce mouvement artistique.

Pierre Bonnard : le Nabi très japonard

Pierre Bonnard (1867-1947) s’inscrit à l’Académie Julian après avoir entrepris des études de droit. Il y rencontre Sérusier et Ranson puis, admis aux Beaux-Arts en 1889, il fait la connaissance de Vuillard et de Roussel. Bonnard est passionné par les estampes japonaises, ce qui lui vaut son surnom. Son style n’est pas sans rappeler les kakemonos nippons. En 1896, ses œuvres sont exposées pour la première fois chez Durand-Ruel. La même année, il réalise les décors de la pièce Ubu Roi, jouée au Théâtre de l’Œuvre. En 1910, Bonnard expose au Salon d’automne quatre panneaux décoratifs destinés à l’appartement de Misia Natanson, épouse du directeur de La Revue blanche. En 1916, c’est son galeriste Bernheim-Jeune qui lui commande le panneau La Symphonie pastorale.

Pierre Bonnard, Femmes au jardin, 1891, détrempe à la colle sur toile, 160,5 x 48 cm ©Pierre Bonnard, CC BY-SA via Wikimedia Commons

Pierre Bonnard, Femmes au jardin, 1891, détrempe à la colle sur toile, 160,5 x 48 cm ©Pierre Bonnard, CC BY-SA via Wikimedia Commons

Paul Sérusier : le Nabi à la barde rutilante

Avec Maurice Denis, Paul Sérusier (1864-1927) est l’un des fondateurs et théoriciens du groupe des Nabis. Il rencontre Paul Gauguin en 1888 et c’est sous son influence qu’il peint Le Talisman, point de départ du mouvement. En 1891 il participe à la première exposition des peintres impressionnistes et symbolistes. Il participe régulièrement au Salon des indépendants et expose en galerie. Inspiré par l’art médiéval et italien, Sérusier s’illustre également dans les arts décoratifs. Il peint ainsi en 1897 près d’Alençon un ensemble pour la salle à manger de son ami le sculpteur Georges Lacombe, dont il avait auparavant décoré l’atelier versaillais. Poursuivant ses recherches esthétiques, il enseigne à l’Académie Ranson à partir de 1908 et publie L’ABC de la peinture en 1921.

Paul Sérusier, Le Talisman, 1888, huile sur bois, 27 x 21 cm, Musée d'Orsay, Paris ©Paul Sérusier, Public domain, via Wikimedia Commons

Paul Sérusier, Le Talisman, 1888, huile sur bois, 27 x 21 cm, Musée d’Orsay, Paris ©Paul Sérusier, Public domain, via Wikimedia Commons

Ker-Xavier Roussel : le Nabi bucolique

Dès son adolescence en 1876, Ker-Xavier Roussel (1867-1944) rencontre au lycée Condorcet Édouard Vuillard qui deviendra par ailleurs son beau-frère. Il entre aux Beaux-Arts en 188G et intègre l’Académie Julian deux ans plus tard. En 1893, avec d’autres Nabis, Roussel expose dans les locaux de La Revue blanche puis régulièrement au Salon des indépendants. Par la suite il recevra de nombreuses commandes de décors privés et publics. Il réalise des panneaux pour des particuliers mais aussi le rideau de scène du Théâtre des Champs-Élysées (1912), des décors pour l’escalier du musée de Winterthur en Suisse (1926), ou La Danse pour le palais de Chaillot (1937). Avec Bonnard et Denis, il se voit confier en 1938 le décor du palais de la Société des nations de Genève.

Ker-Xavier Roussel, La Terrasse, 1893, huile sur toile, 36 x 75 cm, Paris, Musée d'orsay ©musée d'Orsay , CC BY 3.0, via Wikimedia Commons

Ker-Xavier Roussel, La Terrasse, 1893, huile sur toile, 36 x 75 cm, Paris, Musée d’orsay ©musée d’Orsay , CC BY 3.0, via Wikimedia Commons

Paul-Élie Ranson : le Nabi plus japonard que le « Nabi japonard »

Paul-Élie Ranson (1861-1909) a étudié à l’école des Arts décoratifs de Limoges avant d’intégrer l’Académie Julian en 1886. C’est dans son appartement du boulevard du Montparnasse, baptisé « Le Temple », que le groupe des Nabis tient ses réunions. Ranson dessine de nombreux cartons de tapisseries, notamment pour son cycle Femmes en blanc (1895). Les pièces sont tissées par son épouse, France. Paul Ranson est aussi l’un des artistes nabis à avoir le plus exposé. Il présente régulièrement ses œuvres au Salon du Champ-de-Mars à partir de 1894. À la fin de sa vie, Ranson a eu à coeur de faire rayonner la peinture et les arts décoratifs en créant deux institutions : la Société des artistes décorateurs en 1901 et l’Académie Ranson en 1908.

Paul-Élie Ranson, Printemps, femmes sous les arbres en fleurs, 1895, tapisserie à l'aiguille en laine sur toile à canevas, 167 x 132 cm, Paris Musée d'Orsay © Sailko, CC BY 3.0, via Wikimedia Commons

Paul-Élie Ranson, Printemps, femmes sous les arbres en fleurs, 1895, tapisserie à l’aiguille en laine sur toile à canevas, 167 x 132 cm, Paris Musée d’Orsay ©
Sailko, CC BY 3.0, via Wikimedia Commons

​Maurice Denis : le Nabi aux belles icônes

Maurice Denis (1870-1943) est l’un des membres fondateurs du mouvement nabi. En 1888,11 entre à l’Académie Julian où il rencontre les autres créateurs du groupe. Théoricien du mouvement, il publie en 1890 un article intitulé Définition du né-traditionnisme dans la revue Art et Critique. Dès 1894, il s’illustre dans le décor monumental et les arts décoratifs : il peint cette année-là le plafond de l’hôtel particulier d’Ernest Chausson et élabore des cartons de vitraux pour le marchand d’art Siegfried Bing. En 1897, il crée Le Cycle de saint Hubert pour le baron Cochin. Outre ces commandes privées, Denis réalise de nombreux décors pour des édifices civils et religieux. 1.1 a entre autres travaillé pour l’église Saint-Nicaise de Reims (1926) et orné le déambulatoire du Théâtre de Chaillot à Paris (1937).

Maurice Denis, L'Echelle dans le feuillage, 1892, huile sur toile montée sur panneau de bois, 235 x 172 cm, Saint-Germain-en-Laye, musée départemental Maurice Denis ©Jean-Pierre Dalbéra from Paris, France, CC BY 2.0, via Wikimedia Commons

Maurice Denis, L’Echelle dans le feuillage, 1892, huile sur toile montée sur panneau de bois, 235 x 172 cm, Saint-Germain-en-Laye, musée départemental Maurice Denis ©Jean-Pierre Dalbéra from Paris, France, CC BY 2.0, via Wikimedia Commons

Édouard Vuillard : le Nabi zouave

Édouard Vuillard (1868-1940) est ainsi nommé en raison de sa barbe rousse taillée à la mode militaire. Étudiant à l’Académie Julian., il est accepté à l’École des beaux-arts de Paris en 1887. Après la première exposition des Nabis en 1891 à la galerie Le Barc de Boutteville, il réalise plusieurs décors pour des commandes aussi bien publiques que privées. Son premier cycle décoratif lui a été commandé par Paul Desmarais en 1892, Il réalise ensuite les neuf panneaux de jardins publics pour la salle à manger d’Alexandre Natanson (1894). En 1912 on lui confie aussi la décoration du foyer du Théâtre des Champs-Élysées puis, en 1936, celle du Théâtre de Chaillot. À la fin de sa vie, en 1938, il est élu à l’Académie des beaux-arts de Paris.

Edouard Vuillard, Le Corsage rayé, 1895, huile sur toile, 65,7 x 58,7 cm, Washington, National Gallery of Art ©Édouard Vuillard, Public domain, via Wikimedia Commons

Edouard Vuillard, Le Corsage rayé, 1895, huile sur toile, 65,7 x 58,7 cm, Washington, National Gallery of Art ©Édouard Vuillard, Public domain, via Wikimedia Commons

Félix Vallotton : le Nabi helvète

D’origine suisse, Félix Vallotton (1865-1925) est naturalisé Français en 1900. Il s’installe à Paris en 1882 pour intégrer l’Académie Julian. Il y rencontre le groupe des Nabis qu’il rejoint en 1893. Vallotton commence une production de décors et objets d’art dans les années 1890. Il dessine par exemple des objets en marqueterie qui seront vendus chez l’Artisan Moderne. Il réalise également pour lui-même sept abat-jour illustrés de scènes de la vie quotidienne. En 1891, il débute une production de gravures sur bois et de lithographies. Il publie ces illustrations dans L’Assiette au beurre et La Revue blanche, dont il sera le directeur artistique de 1895 à 1902. C’est seulement à partir de 1902 qu’il se consacre davantage à la peinture.

Felix Vallotton, La Paresse, 1896, gravure sur bois, Washington, National Gallery of Art ©National Gallery of Art , CC0, via Wikimedia Commons

Felix Vallotton, La Paresse, 1896, gravure sur bois, Washington, National Gallery of Art ©National Gallery of Art , CC0, via Wikimedia Commons


Pour en savoir plus découvrez notre hors-série « Les Nabis et le décor »


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