Récit d’une vie : Léonard de Vinci, un génie universel

Récit d’une vie : Léonard de Vinci, un génie universel
Leonard de Vinci, Portrait de vieillard (Autoportrait ?) (détail), vers 1515, sanguine, 33,3 x 21,4 cm, Turin, Biblioteca Reale (Wikimedia Commons)

Léonard de Vinci, l’auteur du tableau le plus célèbre du monde apparaît comme un véritable mythe, un homme au savoir encyclopédique et à l’invention illimitée, ayant excellé dans toutes les disciplines. Il était pourtant un homme de son temps. Retour sur la carrière d’une personnalité tout à la fois exceptionnelle et appartenant pleinement à son époque.

Léonard de Vinci est « l’homme le plus inlassablement curieux de l’histoire », notait l’historien de l’art Kenneth Clark. Cette curiosité insatiable constitue le fil rouge d’une existence mouvementée, vouée à explorer tous les champs du savoir. Destin paradoxal pour celui qui se qualifiait d’« uomo senza lettere », c’est-à-dire d’homme sans culture.
En effet, fils naturel d’un notaire et d’une jeune fille modeste de Vinci, Léonard n’avait reçu qu’une éducation élémentaire. Aussi ne connaissait-il pas le latin, pas plus qu’il n’avait étudié les sept arts libéraux, comme la grammaire ou la rhétorique. Il n’avait donc pas accès aux grands textes littéraires et scientifiques, généralement écrits dans la langue de Cicéron. Mais cette faiblesse devait se muer en atout pour Léonard, en l’affranchissant de l’autorité de la chose écrite pour faire de l’expérience la source de la connaissance.

L’apprentissage

De façon significative, l’artiste a signé sur un feuillet « Léonard de Vinci, disciple de l’expérience ». Dans cette nouvelle configuration cognitive, l’oeil devient l’organe essentiel : « Il est le premier à faire de la vue – et non de l’ouïe – un support privilégié pour l’acquisition et la transmission du savoir », soulignait Daniel Arasse.  Cet oeil, c’est d’abord celui de l’artiste puisque, vers le milieu des années 1460, Léonard entre en apprentissage auprès du sculpteur Andrea del Verrocchio, à Florence. Plus qu’un atelier, la bottega est une véritable petite entreprise, produisant aussi bien des tableaux que des sculptures en tous matériaux, des objets d’art, des bannières, des coffres de mariage, des armures et autres décors de théâtre.

Andrea del Verrocchio et Leonard de Vinci, Le Baptême du Christ, vers 1470-1480, huile et tempera sur panneau, 180 x 152 cm, Musée des Offices, Florence (Wikimedia Commons)

Andrea del Verrocchio et Leonard de Vinci, Le Baptême du Christ, vers 1470-1480, huile et tempera sur panneau, 180 x 152 cm, Musée des Offices, Florence (Wikimedia Commons)

Orfèvre de formation, Verrocchio est alors l’un des meilleurs dessinateurs de Florence. Auprès de lui, le jeune Léonard apprend la perspective et les techniques du dessin, mais aussi le modelage en terre et le travail de la terre cuite. Il découvre également la mécanique. En 1472, lorsque son maître intervient à la cathédrale, l’apprenti observe les engins de levage et les grues mis au point par Brunelleschi lors de la construction de la coupole. Des dessins témoignent de sa fascination pour ces machines ingénieuses. On date de la fin des années 1470 ses premières recherches techniques. « Il inventait sans cesse des modèles, dit Vasari, pour soulever, à l’aide de leviers, cabestans et engrenages, les poids énormes. » Léonard propose ainsi de surélever le baptistère de Florence !

Leonard de Vinci, Système de propulsion pour la machine volante, Manuscrit B, 1485-1488, crayon et encre, Paris, bibliothèque de l’Institut de France Photo : ©Luc Viatour / www.lucnix.be

Leonard de Vinci, Système de propulsion pour la machine volante, Manuscrit B, 1485-1488, crayon et encre, Paris, bibliothèque de l’Institut de France Photo : ©Luc Viatour / www.lucnix.be

Vers 1477, l’artiste ouvre son propre atelier à Florence. Mais, dans un contexte de concurrence exacerbée, les perspectives se révèlent incertaines dans la capitale toscane. Aussi part-il dès 1482 pour Milan, en compagnie de deux assistants, des projets plein ses cartons. C’est en tant que musicien qu’il est introduit à la cour lombarde – Léonard jouait avec talent de la lira da braccio, ancêtre du violon. Cette disposition nous le présente sous les traits d’un parfait homme de cour. Et il est vrai que les contemporains ont décrit un personnage élégant, courtois et d’une grande affabilité, goûtant les plaisirs de la conversation.

Leonard de Vinci, La Dame à l’hermine (portrait de Cecilia Gallerani), 1488-1490, huile sur bois, 54,8 x 40,3 cm, Cracovie, Czartoryski (Wikimedia Commons)

Leonard de Vinci, La Dame à l’hermine (portrait de Cecilia Gallerani), 1488-1490, huile sur bois, 54,8 x 40,3 cm, Cracovie, Czartoryski (Wikimedia Commons)

Chez Ludovic le More

Pour s’attirer les faveurs de Ludovic le More, le maître de Milan, Léonard rédige une lettre d’introduction édifiante dans laquelle il énumère une étourdissante série de machines et de dispositifs militaires qu’il se propose de réaliser. « Il se dégage de ce document une atmosphère de science-fiction, comme si son auteur s’était laissé emporter par son imagination débridée », observe l’auteur Charles Nicholl. À la fin, Léonard mentionne toutefois ses talents d’ingénieur, d’architecte, de peintre et de sculpteur.
Il promet également « l’exécution du cheval de bronze qui sera gloire immortelle » pour la famille ducale. Le travail sur la statue équestre de Francesco Sforza, père de Ludovic le More, occupera Léonard pendant de nombreuses années, notamment les procédés de fonte, problématiques pour un cheval de sept mètres de hauteur ! Las, l’entrée des Français en Italie en 1494 met un terme à ce projet extraordinaire, dont l’aura mythique assurera durablement la réputation de l’artiste parmi ses confrères.

Léonard de Vinci, Étude de cavalier (pour le monument équestre de Francesco Sforza), vers 1488-1489, pointe d’argent et préparation bleue, 14,8 x 18,5 cm, Windsor Castle, Royal Library (Wikimedia Commons)

Léonard de Vinci, Étude de cavalier (pour le monument équestre de Francesco Sforza), vers 1488-1489, pointe d’argent et préparation bleue, 14,8 x 18,5 cm, Windsor Castle, Royal Library (Wikimedia Commons)

À Milan, un témoin a vu Léonard portant « un petit livre qu’il gardait pendu à sa ceinture ». Il s’agit de l’un des nombreux carnets noircis par l’artiste à partir du milieu des années 1480. Charles Nicholl les considère comme « une sorte de relevé topographique de la pensée de Léonard ». On peut y suivre la genèse et le développement de ses recherches, dont les thèmes témoignent d’une soif encyclopédique de connaissances. Aucun domaine n’échappe à sa curiosité : anatomie, architecture, astronomie, botanique, hydrographie, mathématiques, mécanique, musique, philosophie… « Une grande leçon est à retenir de ces manuscrits : toute chose mérite d’être examinée, interrogée, explorée, analysée, ramenée à des principes fondamentaux », souligne Charles Nicholl.

Le dessin : outil de connaissance et d’invention

Mais, plus que par son encyclopédisme, Léonard se distingue de tous les savants de son temps par le rôle réservé au dessin dans son entreprise. À mi-chemin de la science et de l’art, ses études d’anatomie, entamées à la fin des années 1480, en constituent l’exemple le plus édifiant. La structure du corps humain y est décrite avec une rigueur et une précision inédites : chaque membre y est saisi sous plusieurs angles, dans des positions légèrement différentes, comme pour suggérer un mouvement. Selon ses propres dires, Léonard aurait pratiqué une trentaine de dissections, assisté vraisemblablement de médecins et de chirurgiens.

Leonard de Vinci, Études du fœtus dans l'utérus, vers 1511, Pierre noire, sanguine, crayon, encre sur papier, 30.5 × 22 cm, Royal Collection, Château de Windsor, Windsor (Wikimedia Commons)

Leonard de Vinci, Études du fœtus dans l’utérus, vers 1511, Pierre noire, sanguine, crayon, encre sur papier, 30.5 × 22 cm, Royal Collection, Château de Windsor, Windsor (Wikimedia Commons)

Son extraordinaire maîtrise du dessin n’est pas pour rien non plus dans l’effet produit par ses inventions. Son carnet, intitulé Livre des mesures et des forces, contient les modèles de toutes sortes de machines : métiers à tisser, moulins à céréales, modèles de moulins à vent, rouet avec mécanisme d’enroulement automatique du fil, appareils de levage munis d’un crochet à déblocage automatique lorsque la charge touche le sol…

La quête du savoir

Empiriste forcené, Léonard ne se contente pas de décrire les phénomènes : il en recherche les raisons et les lois, mais aussi les correspondances secrètes, dans une perspective analogique. Les mathématiques le guident dans cette quête de compréhension globale. Grâce à la fréquentation du mathématicien Luca Pacioli à Milan, à partir de 1496, il affine ses connaissances en la matière. Témoignage de l’étroite collaboration entre les deux hommes, le De divina proportione écrit par Pacioli, dont le premier volume est publié en 1498, est illustré de dessins géométriques réalisés par Léonard.

Leonard de Vinci, Le Déluge, pierre noire, vers 1517-1518, Royal Collection, Château de Windsor, Windsor (Wikimedia Commons)

Leonard de Vinci, Le Déluge, pierre noire, vers 1517-1518, Royal Collection, Château de Windsor, Windsor (Wikimedia Commons)

Milan est alors à la veille d’un grand bouleversement : le 6 septembre, la ville tombe aux mains des Français. L’artiste y demeure jusqu’en décembre et se rapproche des nouveaux mécènes mais, face à la rumeur d’un possible retour du More, il préfère quitter la cité lombarde. Commencent alors des années d’errance, de Mantoue à Venise, de Florence à Rome. Ses commanditaires s’attachent les services du maître aussi bien pour ses compétences techniques que pour ses dons artistiques. Il entreprend durant cette période quelques-unes de ses œuvres les plus célèbres : La Joconde, la Sainte Anne et le Saint Jean Baptiste. Il est aussi consulté pour des travaux de fortifications ou de canalisation des eaux. En 1502, Léonard entre au service de Cesare Borgia. Il arpente alors les territoires conquis par le fils naturel du pape Alexandre VI dans le centre de l’Italie, lève des plans, inspecte les forteresses… et poursuit au fil des chemins ses observations naturalistes.

Leonard de Vinci, Sainte Anne, la Vierge et l’Enfant Jésus jouant avec un agneau, dit Sainte Anne, vers 1503-1519, huile sur bois de peuplier, 168,4 x 113 cm, Paris, musée du Louvre (Wikimedia Commons)

Leonard de Vinci, Sainte Anne, la Vierge et l’Enfant Jésus jouant avec un agneau, dit Sainte Anne, vers 1503-1519, huile sur bois de peuplier, 168,4 x 113 cm, Paris, musée du Louvre (Wikimedia Commons)

Récapitulation et derniers projets d’architecture

Après un séjour à Florence où il commence La Bataille d’Anghiari, une fresque monumentale pour le palais de la Seigneurie, Léonard est de retour à Milan, réclamé par les autorités françaises. Puis, de 1513 à 1515, il se met au service de Julien de Médicis, à Rome. Après la mort de celui-ci, il accepte l’offre de François Ier et part pour la France, où il arrive au début de l’année 1516. Richement pensionné par le roi, il loge au manoir du Cloux, près d’Amboise, où il s’éteindra le 2 mai 1519.

Leonard de Vinci, Étude de figure pour La Bataille d’Anghiari, vers 1504, sanguine sur papier préparé ocre-rose, 22,7 x 18,6 cm, Budapest, musée des Beaux-Arts. (Wikimedia Commons)

Leonard de Vinci, Étude de figure pour La Bataille d’Anghiari, vers 1504, sanguine sur papier préparé ocre-rose, 22,7 x 18,6 cm, Budapest, musée des Beaux-Arts. (Wikimedia Commons)

La période française est un moment de récapitulation. L’artiste met de l’ordre dans ses dessins et ses manuscrits et projette un Livre de la peinture dans lequel il compilerait ses études en optique, celles sur la perspective, puis ses recherches ayant trait à la figure humaine envisagée du point de vue de l’anatomie et du mouvement. S’il ne peint plus, il est en revanche sollicité pour ses talents d’architecte et d’ingénieur.
Le Toscan s’attelle à la conception d’un palais grandiose à Romorantin, où il surveille le début des travaux. Malheureusement, ce projet extravagant ne verra jamais le jour. En revanche, la contribution de Léonard au dessin du château de Chambord est aujourd’hui largement reconnue. En architecture comme dans les autres disciplines, Léonard fait preuve d’une audace et d’une liberté face aux dogmes, principes et modèles, qui constituent sans doute sa plus évidente signature.

@ newsletters

La sélection expo
Chaque semaine découvrez nos expositions coup de cœur, nos décryptages exclusifs et toutes les infos pratiques.

S'inscrire à la newsletter
newsletters

Retrouvez toute la Connaissance des arts dans vos mails

Découvrir nos newsletters