Man Ray, l’œil de la mode

Man Ray, l’œil de la mode
Man Ray, Photographie de mode surimpression (détail), v. 1935, épreuve gélatino-argentique, toutes les photographies sont des tirages originaux conservés au musée Cantini de Marseille et provenant de la collection Lucien Treillard ©Man Ray 2015 Trust

Durant l’entre-deux-guerres, Man Ray a hypnotisé le monde de la mode en inventant de lumineuses compositions inspirées de sa pratique dada et surréaliste. Près de deux cents tirages vintage de ses clichés sont exposés à Marseille. Une découverte.

Il a d’abord fait poser ses amies : Kiki de Montparnasse, sa muse et amante, l’élégante Nancy Cunard, la comtesse surréaliste Anna de Noailles, Peggy Guggenheim, Nush Éluard, Lee Miller, son assistante et tumultueux amour… Celui qui fut l’un des principaux acteurs des mouvements d’avant-garde qui ont nourri la vie intellectuelle du Paris de l’entre-deux-guerres est moins connu aujourd’hui pour avoir été un grand photographe de mode. C’est ce que dévoile une passionnante exposition présentée cet automne à Marseille en deux volets, au musée Cantini et au musée des Arts décoratifs, de la Faïence et de la Mode-château Borély, puis au musée du Luxembourg à Paris au printemps 2020. Près de deux cents tirages vintage, et presque autant de revues célèbres ou inédites, racontent l’épopée d’un jeune peintre américain à Paris qui deviendra, durant près de vingt ans, le photographe de mode le plus couru de la capitale.

Emmanuel Radnitzky (1890-1976) découvre la photographie en 1913 à la Galerie 291 d’Alfred Stieglitz à New York et se lie d’amitié avec Marchel Duchamp, rencontré dans la colonie d’artistes de Ridgefielddans le New Jersey. Il commence à se servir d’un appareil photo en 1914 pour photographier ses œuvres et s’enthousiasme des infinies possibilités créatrices offertes par le médium. Il prend le nom de Man Ray, réalise des photographies dans la veine de Dada, dont deux seront exposées par Tristan Tzara à Paris en 1920. Un an plus tard, il s’installe dans la Ville Lumière et fait la connaissance d’André Breton et Francis Picabia qui lui conseillent, pour gagner sa vie, de se lancer dans la reproduction photographique des œuvres d’artistes. Il deviendra bientôt le portraitiste attitré des surréalistes et de l’intelligentsia de l’époque, ses clichés seront publiés dans « Vanity Fair ». Sa rencontre avec Jean Cocteau lui ouvre les portes du Tout-Paris artistique et aristocratique. Gabrielle Buffet-Picabia le met en relation avec Paul Poiret, qui lui propose de s’essayer à la photo de mode. D’après Man Ray, le célèbre couturier veut « des photos originales […] quelque chose de différent des trucs que fournissaient habituellement les photographes de mode […] des portraits qui mettraient en avant l’élément humain », rapporte Alain Sayag, co-commissaire de l’exposition, dans un texte du catalogue. Poiret met à sa disposition ses modèles et ses installations, mais jamais ne le rémunérera.

Si ses premières photographies se révèlent « d’une platitude effrayante », en quelques années, Man Ray relèvera le défi en inventant un style, son style. Qu’il développe en utilisant les techniques qu’il a expérimentées dans sa pratique surréaliste et dada. Il recadre, retouche, découpe, recompose, colorise, superpose, distord, inverse les négatifs-positifs. « Je voulais lier l’art à la mode », écrira-t-il dans son livre Autoportrait. Il réinvente la solarisation, qu’il découvre par accident avec Lee Miller dans le laboratoire qu’ils partagent. Il dématérialise ses modèles, Kiki devenant « à la fois ombre et lumière, rêve et réalité ». Ses « compositions lumineuses », écrira André Breton, sont proches de l’écriture automatique. La mode des années 1920 est « ludique et onirique », en parfait écho avec l’esprit surréaliste. Man Ray met sa soif d’étrangeté, de bizarrerie, de mystère et de poésie dans des images dont certaines deviendront des icônes, telle Les Larmes de verre, créée pour une publicité de mascara. Il collabore à « Vogue » de 1924 à 1930, puis à « Harper’s Bazaar » et son génial directeur artistique Alexey Brodovitch.

Un art à part entière

Après Félix et Paul Nadar au XIXe siècle et les frères Seeberger ou le baron Adolf de Meyer au début du XXe, Man Ray a renouvelé l’approche du genre, longtemps figé dans un mode documentaire. « Par ses fréquentations, par son talent, par ses cadrages et ses expérimentations techniques, Man Ray a contribué à faire de la photographie de mode un art à part entière. Un art qui a changé l’esprit et l’apparence de la presse de mode. Un art qui a renouvelé l’image de la femme et donné ses lettres de noblesse à tout un secteur d’activité », écrit Catherine Ormen, historienne de la mode, également co-commissaire de l’exposition. Son influence sur les grands couturiers est incontestable, comme le montre si bien l’exposition au château Borély, « La mode au temps de Man Ray », à travers des pièces emblématiques de Coco Chanel, Madeleine Vionnet ou Elsa Schiaparelli.

En 1938, lassé de ses « jeux formels », Man Ray met fin à sa collaboration avec « Harper’s Bazaar ». Il quitte l’Europe pour les États-Unis en 1940, bien décidé à retrouver son activité et son identité de peintre, tel qu’il s’est toujours revendiqué. « C’est pourtant dans l’éphémère de la mode, conclut Alain Sayag, dans la fugacité facile de la photographie, qu’il a accompli une œuvre qui demeure un des sommets du siècle. »

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