Tribune. La confirmation en appel, le 30 juin, par un tribunal de Téhéran, de la condamnation à cinq ans de prison de l’anthropologue Fariba Adelkhah confirme que le métier de chercheur en sciences sociales est devenu à haut risque. Une dizaine d’universitaires occidentaux ont été ainsi pris en otages par la République islamique.
Cette dernière n’est pas la seule à se livrer à ce genre de pratiques. La Turquie, les Emirats arabes unis, Israël, la Russie, la Chine portent de plus en plus ouvertement atteinte à la liberté scientifique internationale. L’Egypte est allée jusqu’à tuer dans des conditions atroces un doctorant italien de l’université de Cambridge, Giulio Regeni, en 2016. Les Etats-Unis arrêtent eux aussi des chercheurs étrangers sur la base d’accusations souvent arbitraires, dans le cadre de leur politique de sanctions urbi et orbi ou au nom du Patriot Act.
S’y ajoutent les nombreux refus de visa, auxquels s’adonnent également les Etats européens au nom de la lutte contre l’immigration, rendant infernale la vie professionnelle de nos collègues d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine ou du Moyen-Orient. On ne parle pas suffisamment de cet aspect de l’inégalité du système international au détriment des pays du Sud, qui accroît leur dépendance sur le long terme. Sans accès équitable à la science, pas de réel développement envisageable.
Enquête de terrain menacée
Il ne s’agit pas non plus d’occulter la répression interne dont font l’objet les chercheurs et universitaires des régimes autoritaires. Néanmoins les atteintes à la liberté scientifique internationale constituent une question spécifique et neuve dont, curieusement, les Etats démocratiques ne se soucient guère, peut-être parce que leur conscience n’est pas tranquille en la matière.
« Il ne s’agit pas d’occulter la répression interne. Mais les atteintes à la liberté scientifique internationale constituent une question spécifique »
D’une part se pose le problème de la possibilité concrète de faire de la recherche de terrain dans des pays qui incarcèrent à tour de bras des universitaires étrangers. La pandémie de Covid-19 a aggravé les choses en fermant les frontières et en interrompant la réalisation de nombreuses thèses de doctorat. Qui, dans ces conditions, voudra encore entreprendre une recherche sur l’international ?
Ce sont des pans entiers de notre connaissance du monde contemporain qui vont s’étioler, puis s’évanouir faute de pouvoir se reproduire. Car on ne peut pas faire des enquêtes ou du travail d’archives primaires par visioconférence. Ou, pis, on risque de s’imaginer pouvoir le faire, en devenant captifs de la vision déformée et partiale des sociétés étrangères que nous donneront nos écrans d’ordinateur.
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