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Des ONG et peuples autochtones attaquent Casino en justice pour déforestation et atteinte aux droits humains en Amazonie

Rien qu’en Amazonie légale, un territoire brésilien de plus de cinq millions de km2, les filiales de Casino auraient participé indirectement à la disparition de 56 000 hectares de forêts, une estimation qui doit encore être complétée.

Du nouveau sur le scandale entachant le groupe Casino. Ce mercredi 3 mars, une coalition de représentants des peuples autochtones d’Amazonie brésilienne et colombienne, ainsi que des organisations non gouvernementales (ONG) françaises et américaines, assignent en justice le groupe Casino devant le tribunal judiciaire de Saint-Etienne, en raison de ses ventes en Amérique du Sud de produits à base de viande bovine, liée à la déforestation et à l’accaparement de terres des peuples autochtones. Il s’agit de la première fois en France qu’une chaîne d’hypermarchés est assignée en justice pour des faits de déforestation et de violation de droits humains dans sa chaîne d’approvisionnement, sur le fondement de la loi sur le devoir de vigilance adoptée en mars 2017.

La déforestation causée par la filière bovine

En France, la multinationale Casino possède de nombreuses enseignes, telles que Leader Price, Naturalia, Franprix ou Monoprix. Mais la moitié de son chiffre d’affaires (environ 47 %) provient en réalité de ses deux succursales sud-américaines, Grupo Pao Açucar au Brésil et Grupo Éxito en Colombie. Dans ces deux pays, Casino est ainsi le numéro un de la grande distribution.

Début juillet 2020, une coalition d’associations colombiennes, américaines et françaises, représentée en Hexagone par Envol Vert, qui œuvre pour la protection des forêts, a publié un rapport prouvant que les deux filiales de Casino achètent une grande partie de leur viande de bœuf à des fermes d’élevage directement responsables de la déforestation de l’Amazonie.

En remontant les diverses filières de viande bovine depuis les supermarchés jusqu’aux lieux de naissance des veaux, l’enquête conduite par Envol Vert pendant plus d’un an montre que les fournisseurs de bœufs ont construit des chaînes d’approvisionnement complexes dans le but de dissimuler la véritable origine de la viande.

Voici le système : au lieu de circuler des fermes jusqu’aux abattoirs, pour être ensuite envoyées sous une forme consommable aux supermarchés, les bêtes transitent à travers deux, trois ou quatre fermes différentes, une pour la naissance, une autre pour le vêlage, une troisième pour l’élevage, une quatrième pour l’engraissement… Et ainsi de suite, chaque transaction masquant davantage la provenance du bétail.

Lire aussi : « En 2019, le groupe Casino a contribué à la déforestation de 56 000 hectares de forêt amazonienne »

Pourquoi les fermes dites « indirectes » ont-elles intérêt à se cacher derrière un tel écran de fumée ? La majeure partie de ces établissements d’élevage se situent dans des zones de pâturage gagnées sur la forêt amazonienne.

Désireux de faire fortune, soutenus par leur gouvernement, notamment au Brésil où le bœuf est la viande la plus consommée (38 kilos par personne et par an), les éleveurs acquièrent en masse des terrains venant d’être déboisés, puis pratiquent le brûlis (défrichement par le feu), afin d’augmenter leurs surfaces. Ces territoires appartiennent bien souvent à des populations autochtones, privées de leurs terres et menacées physiquement.

Quand une zone est déforestée ou occupée de manière illégale, elle est supposément soumise à un embargo, depuis l’accord du TAC signé au début des années 2010 par les plus grands abattoirs et fournisseurs d’Amérique du Sud. Mais grâce au système du blanchiment de bœufs, les éleveurs « criminels » font commerce en toute discrétion.

56 000 hectares de forêts rasés

On estime que 91 % des terres colonisées sur la forêt amazonienne sont utilisées comme pâturages ou pour faire pousser le soja qui nourrira le bétail. Les « fermes indirectes », quant à elles, seraient responsables de 59 % de la déforestation.

Selon Sébastien Mabile, avocat au cabinet Seattle, qui conseille la coalition d’associations, « cette déforestation par le feu a non seulement des conséquences sur la biodiversité, mais représente aussi une perte dramatique de puits de carbone et un risque majeur pour la santé des populations autochtones, qui souffrent des émanations toxiques des incendies ».

À ces facteurs, il faut ajouter le danger de développement de zoonoses, dont l’intensification de l’élevage et le commerce illégal d’animaux sont les principaux responsables. Le nouveau coronavirus l’a assez prouvé. 

Rien qu’en Amazonie légale, un territoire brésilien de plus de cinq millions de km2, les filiales de Casino auraient participé indirectement à la disparition de 56 000 hectares de forêts, une estimation qui doit encore être complétée.

« Pourtant, affirme Élie Favrichon, chargé de mission à Envol Vert, le problème est connu, et des solutions fiables existent déjà. Mais elles ne sont pas suffisamment appliquées pour empêcher la déforestation. »

Malgré toutes les promesses et les mesures des États, le déboisement bât son plein : sur la période d’août 2019 à septembre 2020, les données de l’Institut national de recherche spatiale brésilien montrent que 9 216 km2 ont été défrichés. Ce sont 34,5 % de plus qu’au cours de la période précédente.

Sommé de s’expliquer par la coalition d’associations, le groupe Casino s’est contenté de publier une réponse lacunaire sur son site internet, qui prétend que sa « filiale brésilienne GPA déploie une politique systématique et rigoureuse de contrôle de l’origine de la viande bovine livrée par ses fournisseurs » et que la déforestation de l’Amazonie colombienne « a de nombreuses causes, notamment l’exploitation de la coca et des activités illégales ».

La poursuite en justice de Casino par les ONG

Confrontées à l’inertie et à la langue de bois de Casino, les associations avaient décidé d’envoyer à son président une mise en demeure en septembre 2020, qui demandait « formellement au groupe de respecter ses obligations légales en prenant les mesures nécessaires pour exclure tout le bœuf issu de la déforestation de sa chaîne d’approvisionnement ».

Le géant de la distribution disposait de trois mois pour mettre son plan de vigilance en conformité avec la loi ; passé ce délai, les associations ont décidé de saisir la justice.

Le principal arsenal juridique dont celles-ci disposent se trouve dans la loi du 27 mars 2017 « relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre ».

Conçue pour responsabiliser les entreprises vis-à-vis des questions de sécurité, de droits de l’homme, de dangers sanitaires ou environnementaux, cette loi oblige toutes les grandes firmes françaises, quel que soit le pays dans lequel elles sont implantées, à « mieux maîtriser les risques de toute nature associés à leur chaîne de sous-traitance ».

Pour Sébastien Mabile, avocat du cabinet Seattle Avocats : « Ce procès va permettre de démontrer toutes les potentialités de la loi française sur le devoir de vigilance, qui s’applique à l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement tant en France qu’à l’étranger. La loi impose aux multinationales françaises des actions visant à prévenir des atteintes, proportionnelles aux risques identifiés, ainsi que des contrôles sociaux et judiciaires stricts. La gravité des violations constatées dans cette affaire nous conduit à engager la première action en responsabilité sur la base de ce texte. »

Casino serait donc responsable de ne pas avoir repéré les activités de blanchiment de bétail, alors qu’il en avait tous les moyens.

Pour Luis Eloy Terena, du peuple Terena du Brésil, conseiller juridique à la COIAB et à l’APIB : « Il est important pour la COIAB de participer à ce procès car le sort de l’Amazonie brésilienne relève de l’action en défense des droits et garanties constitutionnels des peuples autochtones qui y vivent. Nous sommes également chargés de défendre les peuples isolés ou récemment contactés. Comme nous l’indiquons clairement dans la plainte, l’achat de viande bovine par Casino et Grupo Pão de Açúcar entraîne la déforestation et l’accaparement des terres, ainsi que la violence et l’assassinat des chefs autochtones lorsqu’ils choisissent de résister. Avec cette poursuite, nous cherchons à tenir l’entreprise responsable des conséquences de ces actes et à apporter une reconnaissance aux peuples autochtones par rapport à la réalité à laquelle ils sont confrontés. »

Selon les avocats chargés de l’affaire, l’audience devrait avoir lieu d’ici un an et demi. La multinationale française fera-t-elle le ménage parmi ses sous-traitants et fournisseurs entre-temps ?

Augustin Langlade

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