On est bien obligé de démarrer par quelques chiffres pas très reluisants pour le secteur : en France, seuls 16% des salariés de la tech sont des femmes, 33% si on élargit à tout le numérique. Et les femmes ne représentent que 9% des fondateurs de la fintech (technologie financière). En cause, «l'éducation des jeunes filles d'abord qui ne sont pas assez poussée vers les études scientifiques, analyse Andréa Toucinho, directrice d'études pour Partelya Consulting. Ensuite les préjugés liés à un secteur très masculin et du coup l'appréhension des femmes à y entrer.»

Il faut dire que la grande majorité des femmes qui œuvrent dans la tech décrivent un milieu trusté par des geeks souvent asociaux mais pas forcément malveillants, inconscients de l'ambiance excluante qu'ils créent. Charles Degand, cofondateur d'AngelSquare, une communauté de 600 investisseurs dans les start-up de la tech, n'en peut plus de ces critiques. D’ailleurs, il ne voit même pas où est le souci : «Je travaille dans ce domaine depuis six ans et je n'y vois aucun sexisme. Je n'y crois pas une seconde, affirme-t-il. Les initiatives pour attirer les femmes brassent de l'air et règlent des problèmes qui n'existent pas.» Et d'assurer : «Rien ne les empêche de travailler dans la tech.»

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Toutes les entrepreneuses et ingénieures que nous avons rencontrées ont pourtant de nombreuses anecdotes sexistes à déballer : on appelle l'une «ma jolie» et jamais par son patronyme, on demande à l'autre de servir le café alors qu'elle s'apprête à animer une réunion… «On touche là à quelque chose de l'ordre du conditionnement : pour certains investisseurs ou entrepreneurs de la tech, une femme ne peut pas avoir de bonnes idées», confirme Audrey-Laure Bergenthal, fondatrice d'Euveka, une société qui commercialise un robot mannequin connecté.

Elle-même a dû faire face à de nombreux clichés quand elle s'est lancée : «On a supposé que j'étais financée par mon père ou mon mari. Personne n'a cru que je pourrais y arriver seule. Et quand j'ai réussi, certains m'ont dit que je savais manipuler et ensorceler les gens...» Il lui est même arrivée de se faire traiter d'«aigrie» lorsqu’elle osait se défendre de ces accusations en «sorcellerie». «Si mon produit n'avait pas été bon, dit-elle, je n'aurais jamais eu Chanel pour premier client ! Mais voilà : un homme qui réussit est brillant, une femme qui réussit, ça cache forcément quelque chose.»

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>> En vidéo - Inégalités hommes-femmes : voilà pourquoi on n’est pas prêt de réduire les écarts !

Retrouvez toutes les vidéos de Xerfi sur XerfiCanal TV. Le groupe Xerfi est le leader des études économiques sectorielles. Retrouvez toutes ces études sur le portail de www.xerfi.com.

La nécessaire mixité des financeurs

Au-delà des remarques qu'elle a choisi d'encaisser avec calme, Audrey-Laure Bergenthal déplore surtout le problème d'accès aux financements. «Les obtenir m'a pris trois fois plus de temps qu'un homme, assure-t-elle. Il y a moins de 3% de femmes chef d'entreprises dans la tech et seules 1% des femmes accèdent à des financements supérieurs à trois millions d'euros.» C'est pour dénoncer cette réalité sexiste que le 16 avril dernier, cinquante entrepreneurs et investisseurs, dont Xavier Niel (Free), Pierre Kosciusko-Morizet (Kernel Invest) ou encore Laurent Solly (Facebook) ont lancé l’appel intitulé «Compter les femmes pour que les femmes comptent».

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Un texte fort, en forme de mea culpa, mais aussi programme pour l'avenir : «Nous finançons ou créons des entreprises dans un écosystème numérique très majoritairement masculin, blanc, inégalitaire, qui ne laisse pas leur place à tous les talents, mentionnent-ils notamment. En 2018, les femmes ne recevaient que 2,2% des financements des fonds de capital-risque dans le monde. En France, plus de 97% des financements alloués par les dix principaux fonds français l'ont été à des hommes. Comment s'en étonner alors que les équipes d'investissement comptent moins de 8% de femmes et 2% de minorités non blanches ?» Tous s'engagent à changer leurs procédés de recrutement et de financements pour intégrer plus de femmes.

Voilà qui permettra peut-être l’aventure vécue il y a quatre ans par deux entrepreneuses américaines, Kate Dwyer et Penelope Gazin, fondatrices de Witchsy, une marketplace alternative proposant entre autres des objets portant des slogans féministes : les financiers trouvent l'idée «mignonne», mais les font mariner, leur parlent le plus souvent avec familiarité… jusqu'à ce qu'elles inventent un troisième associé masculin, Keith. Résultat : les investisseurs répondent d'emblée à Keith, le bichonnent, lui demandent s'il a besoin d'autre chose et financent son «wonderful» projet…

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Travailler la confiance en soi

Un tel phallocentrisme et une telle pression alimentent le manque de confiance en soi que les femmes continuent d'éprouver tout au long de leur carrière, quel que soit leur niveau de poste, d'études ou de compétence : «J'ai longtemps été mon propre obstacle, je me trouvais incompétente, trop jeune, concède ainsi Audrey-Laure Bergenthal. Je me suis toujours dit que je devais faire deux fois plus qu'un homme pour mériter la même chose.

Eux sont conditionnés dès l'enfance pour prendre toute la place, pas nous.» Même discours chez Sophie Viger, directrice de l'Ecole 42, établissement de formation gratuite à l'informatique : «A 22 ans, je donnais des cours de programmation informatique à des garçons, je me disais que la classe devait penser que j'avais couché pour avoir le poste…» Pour renforcer son sentiment de légitimité, elle s'efforçait de retenir tous les prénoms de ses étudiants dès le premier cours : «Ça les scotchait ! Aucun homme ne se serait senti obligé de faire ça.»

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En prenant les rênes de l'école, à la réputation entachée par des accusations de sexisme et de harcèlement, elle a voulu changer la donne et l'ouvrir plus aux femmes. Pour commencer, elle a levé la limite d'âge d'entrée auparavant fixée à 30 ans. Succès immédiat : «Nous avons désormais 70% de femmes dans la tranche des 35-40 ans», contre 15% côté garçons. Un partenariat a été noué avec Pôle emploi pour faire accéder les femmes de milieu modeste à cet établissement qui leur permet d’apprendre le codage. Un métier ludique, bien payé, à la portée de toutes, mêmes les «nulles en maths», assure la directrice.

Vive les réseaux et les rôles modèles

L’optimisme est de mise. Peu à peu, les mentalités évoluent. La nouvelle génération de geeks semble avoir intégré le concept de parité et, dans une société post #MeToo, une vraie réflexion sur la nécessaire féminisation du secteur numérique, se met en place. Pour exemple, Sista (wearesista.com), un collectif de femmes chefs d'entreprises, lançait en décembre un appel à féminiser l'entrepreneuriat dans le numérique au travers de réseaux féminins, d'ateliers… «Enfin ! s'enthousiasme Axelle Tessandier, «sista girl» et fondatrice d'AXL Agency, une agence de communication digitale. C'est une force d'être en groupe, cela a de l'effet !

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Ce qui est dommage, en revanche, c'est que les événements organisés par des réseaux de femmes n'attirent qu'un public féminin. Moi, si j’ai envie d’écouter Elon Musk parler, je ne me demande pas quel est son genre.» Elle en est persuadée, la sororité est essentielle pour donner envie à plus de femmes de travailler dans la tech : «On a besoin de davantage de rôles modèles, c'est important de pouvoir se projeter.» Même sentiment pour Sophie Vannier qui, au sein de l'incubateur La Ruche, a lancé des programmes d'accompagnement réservés aux femmes, «afin qu'elles deviennent à leur tour des rôles modèles». Ici, on les fait bosser sur l'estime de soi, on les prépare à leurs entretiens avec des financiers… Même travail chez Coding Game, plateforme de programmation, où Aude Barral met les femmes en avant, sans céder à «la discrimination positive maladroite que l'on voit parfois dans les hackathons féminins».

Caroline Lair, cofondatrice de la communauté Women in AI et créatrice de programmes éducatifs pour enfants et adultes, a conscience, comme toutes les femmes de la tech, du fait que si on ne féminise pas la profession, les algorithmes vont continuer à être gérés par le «fameux mâle blanc de plus ou moins 50 ans» et que les biais sexistes et racistes risquent d'être perpétuellement reproduits. Ainsi, en 2011, Siri, la commande vocale d'Apple, ignorait encore ce qu’était la pilule du lendemain et ne pouvait donc pas indiquer où la trouver. De même, alors que des applis comme Clue, imaginée et lancée par des femmes, proposent un suivi précis des règles, Apple a lancé son application santé sans prendre en compte la notion de cycle menstruel. Ses créateurs, des hommes, n'y avaient pas pensé. Mais «ce n'est pas trop tard pour changer ! assure Caroline Lair. Ce manque de parité est un problème dont tout le monde s'empare, y compris les Gafa.» La jeune femme considère donc l'intelligence artificielle comme une opportunité pour notre civilisation, celle «de ne pas retrouver nos travers dans nos machines». A quand les robots féministes ?

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Sur les bancs de l'école

Initier les filles au numérique dès leur plus jeune âge : une idée forte pour changer les mentalités et les inciter à emprunter la voie de la tech. A l’âge de 11 ans, 72% des filles envisagent un métier dans la technologie. Elles ne sont plus que 19% à 18 ans. La rupture se joue donc à l’adolescence.
De nouveaux organismes voient le jour pour familiariser les jeunes, et plus particulièrement les filles, à la tech. Ainsi StartUp for Kids organise des événements gratuits sur l’innovation, Magic Makers et Evolukid les initient au code, tout comme IT4Girls, uniquement destiné aux filles.

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Sa fondatrice, Yaël Jacquey-Dehaese, explique : «A l’école, une fille bonne en maths va être orientée vers la compta, alors qu’un garçon sera envoyé en école d’ingénieurs. Nous devons changer ces mentalités. Les petites filles n’ont pas d’aversion pour le code ! C’est plus tard qu’elles s’en éloignent, pas par goût, mais par construction sociale. Dans mes ateliers gratuits, je leur apprends à créer leur propre jeu vidéo. On fait du pas à pas. Quand on a terminé, je leur propose de devenir game designer et de changer les couleurs, les personnages, pour que ce soit à leur goût. On leur montre que le code est intéressant.»