VOUS TEMOIGNEZPression, manque de moyens... Les policiers témoignent de leur malaise

«Le suicide dans la police, c'est devenu banal»... Les policiers témoignent de leur malaise

VOUS TEMOIGNEZAprès un dernier suicide d'une gardienne de la paix lundi dernier, des policiers témoignent de la dégradation de leurs conditions de travail...
«On a tous des collègues qui se sont suicidés dans notre entourage», confie un policier  à 20 Minutes.
«On a tous des collègues qui se sont suicidés dans notre entourage», confie un policier à 20 Minutes.  - NICOLAS MESSYASZ/SIPA
Nils Wilcke

Nils Wilcke

«Le suicide de Maggy, c’est terrible, j’en ai pleuré en l’apprenant. On a tellement de collègues qui se donnent la mort. Le suicide, dans la police, c’est devenu banal », témoigne Kevin*, policier en région parisienne.

Maggy Biskupski a été retrouvée morte lundi avec son arme de service à son domicile de Carrière-sous-Poissy, dans les Yvelines. La gardienne de la paix, âgée de 36 ans, était devenue le visage médiatique du malaise policier en tant que présidente de l’association Mobilisation des policiers en colère, née au lendemain de l’attaque de policiers à Viry-Châtillon en 2016. Comme lui, les fonctionnaires de police qui ont répondu à notre appel à témoignages sont très émus par la mort de leur collègue. Elle qui dénonçait avec force le manque de moyens humains et financiers pour faire face à leurs missions.

« Moi aussi, j’ai déjà pensé au suicide »

« Maggy était une personne attachante, dévouée à son métier, qui clamait haut et fort les injustices les plus notoires que nous, policiers, rencontrons au quotidien. Là est sa grande erreur : dénoncer ! » témoigne Cyril, fonctionnaire de police depuis plus de vingt ans. « Moi aussi, j’ai déjà pensé au suicide, confie Kevin. Heureusement, j’ai pu me rattacher à mon fils, c’est ce qui m’a sauvé. Mais le gars qui arrive de province, qui est loin de sa famille ou qui n’en a pas, ça peut mal se terminer ».

« J’ai deux collègues qui se sont suicidés, confie avec émotion Henri, gardien de la paix dans l’Essonne. Le dernier en date, il avait deux gamins. » En colère, il dénonce un « manque de soutien » de sa hiérarchie : « Malgré tous ces suicides, nos chefs ne se remettent que très peu voire pas du tout en question et nos conditions de travail ne s’améliorent pas. »

« Mon gilet pare-balles était périmé depuis trois ans »

A côté de ces carences managériales, le manque de moyens humain et matériels semble criant pour une partie des forces de police. « Dans mon secteur, on a une ou deux patrouilles maximums pour 150.000 habitants », poursuit Henri. Avec des conséquences très concrètes sur le terrain. « Il suffit que l’une des patrouilles soit détachée au tribunal pour les comparutions et on manque d’agents pour venir en aide à la population. Résultat, les gens qui sont victimes de cambriolage attendent plusieurs heures que les collègues viennent faire les contestations. On n’est plus crédibles », regrette le policier.

Autre source de colère, leurs conditions matérielles. « Avec nos Partner Kangoo et nos Renault Trafic qui montent à 110km/h maximum, on ne peut pas faire le poids face aux cylindrées de certains malfaiteurs, déplore Kevin. Seuls quelques services prestigieux sont mieux dotés. La police du quotidien est laissée pour compte. » « Nos véhicules ne sont pas assez puissants, confirme Gérard. Et avec notre matériel, nous sommes trop lourds. Parfois, on bousille une plaquette de freins à cause d’un coup de frein un peu trop brutal. C’est une catastrophe. » Plus grave, il arrive que ce manque de moyens les mette en danger dans l’exercice de leur travail : « Mon gilet pare-balles était périmé depuis trois ans », raconte Henri.

« Je ne suis pas entré dans la police pour mettre des amendes »

La pression du chiffre, elle, est plus que jamais présente. Henri la ressent au quotidien depuis qu’il a été affecté dans un commissariat de l’Essonne. « Ce qui me dégoûte, c’est de gratter une amende à ceux qui oublient de mettre leur clignotant en allant au boulot ou d’autres fautes minimes qui nous arrivent à tous. » Contrairement à ses collègues, il refuse de mettre des contraventions « à la chaîne ».

Après des avertissements de sa hiérarchie, la sanction a fini par tomber. Pénalisé par sa note administrative, il n’a pas obtenu d’avancement depuis trois ans et son traitement est gelé. Un manque à gagner sur le plan financier qu’il évalue à 200 euros par mois en moyenne. Pourtant, Henri n’en démord pas : « Je suis entré dans la police pour venir en aide aux gens, pas seulement pour mettre des amendes. »

« Evidemment qu’il faut verbaliser, sinon on est sanctionné »

« C’est la priorité de tous les gouvernements depuis plus de trents ans, renchérit Cyril. Evidemment qu’il faut verbaliser, sinon on est sanctionné. » Selon ces policiers, le sujet est tabou au sein de l’institution et aucune instruction écrite n’est envoyée aux policiers : « On vous prévient, mais rien d’officiel surtout », s’indigne Cyril.

Pour lui comme pour ses collègues, seules des mesures fortes en faveur des forces de l’ordre pourraient rétablir une situation très dégradée. Et surtout, le soutien de leur hiérarchie au quotidien. « On se sent lâchés de partout : une partie de la population nous déteste et nos chefs nous méprisent », confie Kevin, amer. D’autant plus que les chiffres des suicides dans la police pour 2018 laissent augurer un triste record : 24 policiers ont mis fin à leurs jours depuis le début de l’année. « Ce n’est pas fini. C’est justement à la fin de l’année, lors des fêtes, que ces passages à l’acte sont les plus nombreux », pronostique l’un d’entre eux.

*Les prénoms ont été modifiés

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