© Dorothea Lange, Farm Security Administration - Office of War Information - Office of Emergency Management / Resettlement Administration — Cette image est disponible sur la Prints and Photographs division de la Bibliothèque du Congrès des États-Unis - Wikimedia Commons

Le dessous des images : la « Mère Migrante », symbole de la Grande Dépression

Dans la série Le dessous des images, nous souhaitons raconter l’histoire qui se cache derrière certaines photos ou images emblématiques, connues ou moins connues, qui ont marqué notre société ou notre regard sur le monde.

C’est en mars 1936 que le portrait de cette femme, identifiée plus tard comme étant Florence Thompson, femme de “peapicker” (ramasseur de petits pois) et mère de 7 enfants, est photographiée par la photographe américaine Dorothea Lange. Celle-ci est commissionnée par l’agence fédérale Resettlement Administration (RA), connue par la suite sous le nom de Farm Security Administration (FSA). Créée sous l’impulsion de Roosevelt et de son New Deal en 1935, cette agence a pour but d’apporter une aide aux fermiers affectés par la Grande Dépression et le Dust Bowl, forcés à l’exil afin de chercher du travail à travers le pays.

Dorothea Lange, de retour d’une journée photo, aperçoit un panneau indiquant le campement réfugié des ramasseurs de petits pois surnommé Nipomo. Portée par une impulsion, elle décide de s’y arrêter et remarque la mère et ses plus jeunes enfants, patientant sous une tente le retour du père et des fils plus âgés. La photographe adresse la parole à Florence Thompson en priorité pour demander l’autorisation de prendre des photos.

© Dorothea Lange - Migrant agricultural worker's family. Seven hungry children. Mother aged thirty-two. Father is native Californian. Nipomo, California (1936)
© Dorothea Lange – Migrant agricultural worker’s family. Seven hungry children. Mother aged thirty-two. Father is native Californian. Nipomo, California (1936)

Ce portrait appartient à une série de 6 photos (visibles ici), de cadres plus ou moins éloignés. Avant d’obtenir le portrait que l’on connaît, de la mère entourée de deux jeunes enfants le visage tourné hors-champ et serrant son nouveau-né dans les bras, la photographe varie les plans et les angles, puis se rapproche du groupe. Il est probable que le geste de la mère qui porte la main à ses lèvres, apparemment anodin, soit suggérée par Dorothea Lange.

De retour à San Francisco, la photographe développe ses photos et les envoie au FSA, non sans avoir essayé d’effacer le pouce de Florence Thompson visible sur le bord de la tente, dans le coin inférieur droit, car le trouvant distrayant. La photo paraît pour la toute première fois dans le San Francisco News le 11 mars 1936 dans un article listant les actions du gouvernement américain pour contrer les effets de la Dépression.

© Dorothea Lange - Migrant Mother (1936) - Library of Congress
© Dorothea Lange – Migrant Mother (1936) – Library of Congress – La photo de gauche est l’originale, où l’on peut voir clairement le pouce de la mère posée sur le revers de la tente, en bas à gauche de la photo. Celle de droite est la photo publiée après que Dorothea Lange ait effacé légèrement le pouce, visible en transparence.

Avec ses photos, Dorothea Lange cherche à transposer la souffrance de milliers de fermiers américains en une expérience individuelle, ici représentée par la vulnérabilité et la pauvreté de la mère et de ses enfants, afin d’éveiller les consciences. L’effet de la publication est immédiat : en 2 semaines après sa première apparition dans le journal, plus de 9 000 kg de nourriture sont envoyés au camp de Nipomo, après une demande express du gouvernement américain appelant à la solidarité.

La « Mère Migrante » (Migrant Mother) est “l’ultime image” de la Grande Dépression selon Roy E. Stryker, le directeur de la section historique et photographique du FSA en 1935, car Florence Thompson “représente toute la souffrance de l’humanité, mais aussi toute sa persévérance. […] Elle est immortelle.” Elle devient à l’époque l’une des icônes les plus reconnues pour représenter la Grande Dépression, mais au gré de ses nombreuses rééditions, dans d’autres contextes, elle finit par symboliser d’autres phénomènes comme la guerre, le combat des minorités, les inégalités, etc.