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Santé

Organoïdes: des miniorganes au service de la recherche

20-02-2020

Image: Prinses Máxima Centrum voor kinderoncologie

Les organoïdes, des copies miniatures de tumeurs ou d’organes, pourraient révolutionner la médecine personnalisée.

La visite est un peu décevante : à l’œil nu, on ne voit qu’un liquide rose, celui qui est utilisé dans tous les laboratoires pour cultiver des cellules. Pourtant, au fond des puits de la plaque en plastique, flottant dans cette solution, se trouvent des miniorganes malades. Plus précisément des miniestomacs, minipoumons et miniœsophages qui pourraient bien sauver la vie de leurs propriétaires.

Julie Bérubé les couve du regard. C’est elle qui fait pousser ces « organoïdes », à l’Hôpital général de Montréal (HGM), à partir des cellules tumorales des patients qui se font opérer pour un cancer thoracique deux étages plus bas. « Ce sont des sphères d’environ 2000 cellules, explique cette assistante de recherche. C’est délicat à obtenir, mais j’y arrive dans 75 % des cas. » Selon l’agressivité du cancer dont elles sont issues, les cellules mettent ainsi d’une journée à plusieurs semaines à se structurer en trois dimensions dans un support gélatineux.

Ces organoïdes, qui possèdent la même variété de cellules que l’organe « entier », permettent aux médecins de déterminer quel médicament anticancéreux sera efficace pour un patient donné en cas d’échec de la chimiothérapie de base (ce qui arrive dans 40 % des cas). Le postulat : ce qui fonctionne pour tuer l’organoïde fonctionnera aussi dans l’organisme du malade.

Les cellules en culture se multiplient généralement en 2 dimensions. Photo: National Cancer Institute

« Lorsqu’on cultive les cellules de façon traditionnelle, à plat [en deux dimensions], il y a toujours un type de cellule qui prend le dessus. Ce n’est pas représentatif de la complexité de la tumeur. Les organoïdes sont beaucoup plus proches de la réalité clinique », indique Lorenzo Ferri, le chirurgien qui pilote le projet. Depuis un an, son équipe a ainsi récupéré des échantillons de tumeurs d’environ 120 patients pour en faire des « copies » gardées dans un incubateur ou congelées.

Cette biobanque est une première au Canada ; c’est aussi la plus grande du monde pour les cancers thoraciques. « Chaque échantillon qui arrive du bloc opératoire est préparé en moins de deux heures pour être envoyé au séquençage génétique d’une part et pour créer un organoïde d’autre part », mentionne la chercheuse Veena Sangwan, qui travaille avec Lorenzo Ferri à l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (CUSM).

« Le séquençage nous renseigne sur les anomalies génétiques présentes dans la tumeur. Cela nous permet de sélectionner une dizaine de cibles, comme des protéines mutées, et de tester sur les organoïdes des médicaments potentiellement efficaces sur ces cibles », reprend Lorenzo Ferri, précisant qu’un seul des 120 patients avait, fin 2019, reçu un tel traitement personnalisé.

On ne connaît pas encore le taux de succès de l’expérimentation à l’HGM, mais une petite étude néerlandaise publiée en octobre 2019 a montré que des organoïdes de cancer du côlon permettaient de prédire avec justesse la réponse à une chimiothérapie dans 8 cas sur 10. De quoi améliorer les taux de survie et limiter ses effets indésirables qu’il faut endurer parfois pour rien.

Si, pour l’instant, l’approche est réservée à une poignée de patients, c’est parce que cultiver les organoïdes coûte plusieurs milliers de dollars, sans parler du séquençage. Ces recherches sont financées par les dons versés à la Fondation de l’Hôpital général de Montréal. « Mais à terme, ce sera la norme dans les soins, affirme Lorenzo Ferri, qui est aussi directeur du Programme de chirurgie gastro-intestinale supérieure du CUSM. On le fait depuis 60 ans en infectiologie : on cultive la bactérie pathogène et on l’expose à différents antibiotiques pour trouver celui qui est efficace. Il est temps qu’on procède de la même façon pour le cancer. »

Coup de pouce pour la recherche

En attendant, les organoïdes envahissent les laboratoires de recherche. Car il n’y a pas que les tissus tumoraux qui poussent en 3D : partout, les scientifiques travaillent sur des reins, des poumons, des pancréas, des foies et même des cerveaux miniatures, sains ou touchés par diverses maladies.

Cet engouement réjouit Hans Clevers, le généticien qui a créé, sans le vouloir, les premiers organoïdes en 2008 à l’Institut Hubrecht, aux Pays-Bas. « Nous avions trouvé des cellules souches dans l’intestin : elles se divisent constamment pour renouveler l’intégralité de la paroi intestinale en quelques jours », raconte-t-il. Hans Clevers a vite isolé ces cellules : en y ajoutant des substances qui stimulent leur différenciation, il a constaté qu’elles se réorganisaient spontanément pour former des « intestinoïdes ». « On sait maintenant que chaque organe contient des cellules souches. Depuis notre découverte, il y a eu une explosion d’articles scientifiques sur les organoïdes, d’abord chez la souris, puis chez l’humain. On a la recette pour en produire à partir d’une vingtaine d’organes ou de tissus », dit-il.

Hans Clevers, à gauche, est le « père » des organoïdes. Photo: Prinses Máxima Centrum voor kinderoncologie

Outre les tests pharmacologiques, ces organoïdes ouvrent la voie à la régénération d’organes et aident à comprendre le développement des tissus et des maladies en limitant le recours aux animaux de laboratoire.

La prochaine étape ? Tenter de les rendre encore plus réalistes en y intégrant des cellules immunitaires, nerveuses, voire des vaisseaux sanguins, et en formant des réseaux. En septembre 2019, une équipe américano-japonaise a fait croître de petites sphères de foie, de pancréas et de canaux biliaires reliées, qui se sont mises à sécréter de l’acide biliaire. « Il y a beaucoup de compétition dans le domaine, s’amuse Hans Clevers. L’industrie pharmaceutique et les entreprises de biotechnologie veulent toutes apprendre à cultiver des organoïdes. C’est un énorme succès ; j’espère qu’ils tiendront leurs promesses ! »

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