Un homme qui regarde son ordinateur sur la plage

« Les digital nomads sont les bons élèves du capitalisme mondialisé »

© Natalie_magic via GettyImage

Dans son livre Les nouveaux nomades, le journaliste Maxime Brousse est parti à la rencontre de ceux qui ont décidé de n'habiter nulle part et de vivre partout.

Qui n’a jamais rêvé de tout quitter pour partir ailleurs ? Eux, l’ont fait et c’est devenu un mode de vie. Eux, ce sont les nouveaux nomades. Aventuriers qui sillonnent les routes du monde en van, entrepreneurs qui bossent les pieds dans l’eau à Bali ou minimalistes qui posent leur roulotte là où le vent les porte, ils ont tous fait le choix de ne pas avoir d’attaches. Et nous le font savoir sur Instagram. Car même s’ils n’accumulent plus les biens matériels, ils collectionnent les paysages et les expériences. Dans Les Nouveaux Nomades (Arkhê), Maxime Brousse décrypte ce phénomène à trois têtes.

Dans votre livre, vous décortiquez trois types de nomades : les vanlifers qui vivent dans des vans, les adeptes de tiny houses et les digital nomads. Qu’ont-ils vraiment en commun ?

Maxime Brousse : J’ai commencé à suivre le mouvement des vanlifers, en découvrant les aventures de Foster Huntington qui a tout quitté pour vivre dans un van. Et puis, de loin, j’ai vu émerger deux autres phénomènes : les tiny houses, ces micro-maisons mobiles, et les digital nomads, ces travailleurs du numérique qui posent leur ordinateur où bon leur semble. Ces trois mouvements sont souvent vus comme isolés alors qu’ils relèvent de la même chose. À chaque fois, c’est le même diagnostic qui les pousse à partir. Des vanlifers aux nomades numériques, on retrouve l’idée d’une société sédentaire sclérosée qui ne leur laisse pas suffisamment de liberté. Mais ils y apportent des réponses différentes. Les vanlifers choisissent la liberté d’explorer, les tinyists privilégient la flexibilité et les digital nomads misent sur la liberté d’entreprendre.

Sur Instagram, le #vanlife a été utilisé 6,7 millions de fois et les digital nomads s’affichent dans tous les coworking du monde avec leurs ordis portables et leurs lattés. Quel est le rôle des réseaux sociaux dans le nomadisme moderne ?

M.B : Les réseaux sociaux créent de vraies dynamiques. Avoir envie de quitter la vie sédentaire, ce n’est pas nouveau. Mais, il y a 15 ans, ceux qui nourrissaient cette envie n’étaient pas forcément exposés à des gens qui l’avaient fait et qui pouvaient leur donner envie de passer à l’acte. Les vanlifers mettent beaucoup en avant leur mode de vie sur les réseaux sociaux. Et ils font de la pédagogie. Ils prennent le temps de répondre aux questions des curieux. On retrouve la même dynamique dans la communauté des tiny houses sur des sites spécialisés. Il y a de vrais échanges, nourris et pratiques qui permettent de sauter le pas plus facilement.

Loin de la figure de l’aventurier qui baroude aux quatre coins du monde, on est finalement face à un nomadisme très communautaire.

M.B : Oui et non. On a affaire à des communautés qui sont à cheval entre le virtuel et le physique. Ce n’est pas un nomadisme avec des déplacements en communauté mais les réseaux sociaux permettent de ne jamais être seul. Les communautés sont très cloisonnées et il n’y a pas une seule « communauté des nomades », mais celle des vanlifers, celle des tinyists et celles des nomades numériques. Ils sont peu nombreux à avoir hésité entre les différents types nomadismes. C’est un choix qui est révélateur des valeurs de chaque nomade.

Justement, quelles sont les valeurs de ces nomades ? Entre le minimaliste qui vit dans sa micro-maison et se déplace deux fois par an et le startupper toujours entre deux avions, on a du mal à voir émerger des idées communes.

M.B : C’est sûr, on n’est pas sur un même système de valeurs. Mais on retrouve quand même un côté minimaliste chez les digital nomads. Par exemple, leur garde-robe est très efficace. Sachant qu’ils ne vont pas rester très longtemps au même endroit, ils accumulent peu de biens matériels. Un peu comme les tinyists qui sont contraints par l’espace. Mais les nomades numériques restent ancrés dans un système profondément capitaliste. Selon la façon dont on lit le phénomène, on peut y voir la continuation du pire de notre monde.

C’est-à-dire ?

M.B : Ils correspondent au cliché de l’élite, celle qui est toujours dans un avion et qui parle uniquement business. Leur choix de destination est souvent utilitariste : des pays où le niveau de vie est bas et qui ont mis en place des équipements qui leur sont favorables. Mais ce ne sont pas vraiment des businessmen cyniques. Ce sont plutôt les bons élèves du capitalisme mondialisé. Ils aiment l’idée de construire une entreprise, la développer, la mener à bien, n’importe où dans le monde. Des objectifs qui correspondent complètement aux aspirations de notre société qui valorise la réussite, l’argent et les voyages. En ce sens, ils sont dans la continuité de notre monde.

Vous parlez de ces hubs toujours semblables qui attirent les nomades numériques, qu'ils se trouvent à Bali, à Bangkok ou à Lisbonne. Peut-on y voir une forme de sédentarisation du nomadisme ?

M.B : En caricaturant un peu, on peut dire que les digital nomads vont toujours voir les mêmes choses mais ailleurs. Par exemple, à Bali, les nomades fréquentent des open-spaces ouverts par des occidentaux, pour les occidentaux et qui correspondent donc à l’image qu’un occidental se fait de la vie à Bali – des bambous et une vue sur mer. Ils ne se déplacent pas pour découvrir un endroit. D’ailleurs beaucoup d’entre eux affirment que ce qui les intéresse dans la destination, c’est la communauté et le réseau qu’ils peuvent se constituer sur place.

Et pourtant, vous parlez de radicalité ?   

M.B : Même si les nomadismes se démocratisent, il y a toujours un côté radical à sauter le pas pour de bon. Entre vouloir être un nomade numérique et décider de ne plus avoir d’appartement fixe, de se contenter de vivre avec une valise ou deux, et créer une entreprise qui n’a pas vraiment de siège social et uniquement des employés à distance, ça reste quelque chose de surprenant. Et c’est quelque chose qui tranche radicalement avec les modèles des sédentaires.

Aujourd’hui, voyager n’a jamais été aussi facile. Est-ce que les sédentaires sont en train de glisser vers le nomadisme ?

M.B : Aujourd’hui, les sédentaires sont déjà des semi-nomades. Les vols lowcost, Instagram, la tendance « city break »  créent un environnement qui nous rend beaucoup plus nomades qu’on peut le penser. Mais pour qu’il y ait des nomades, il faut des sédentaires, des gens qui entretiennent les aéroports, les stations-services, les commerces, etc. Mis à part l’hypothèse d’une grosse catastrophe qui forcerait les gens à prendre la route, c’est peu probable qu’on devienne tous mobiles. En revanche, ce qui est sûr c’est qu’on va vers plus de fluidité. Il y a de plus en plus d’indépendants. Il y également de plus en plus d’entreprises qui acceptent le télétravail pour des périodes longues. Et même des entreprises qui fonctionnent totalement sans bureau. Aujourd’hui, on peut être développeur au fin fond du Perche. Avant, il fallait absolument être dans la Silicon Valley. À l’avenir, on va surtout être moins dépendants de la géographie. Et être nomade ou sédentaire est presque secondaire.

Puisqu’il faut des sédentaires pour servir les nomades, est-ce que ces nomades ne fuient pas un système pour le reproduire ailleurs et accentuer les inégalités ?

M.B : Il y a clairement une forme de délocalisation du succès. En Thaïlande, on peut être le roi des entrepreneurs en gagnant 10 fois moins qu’en France. Ça fait partie intégrante du système. D’ailleurs, Tim Ferris, le gourou des digital nomads, a pour slogan : « pas besoin d’avoir le compte en banque d’un millionnaire pour vivre comme un millionnaire. » C’est un discours dont la conscience environnementale et sociale est absente. Le nomadisme numérique se nourrit donc des inégalités pour exister.

Couverture du livre Les Nouveaux Nomades de Maxime Brousse  Découvrez Les Nouveaux Nomades de Maxime Brousse, Arkhê.

 

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