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INNOVER
EN FRANCE
AVEC LE DESIGN
THINKING ?
Mémoire de Mastère spécialisé « Innovation by Design »,
Présenté et soutenu le 24 mai 2016
Sous la direction de Giuseppe Attoma Pepe
Fondateur et directeur général de l’agence Attoma
Tiphaine GAMBA
INNOVER
EN FRANCE
AVEC LE DESIGN
THINKING ?
Mémoire de Mastère spécialisé « Innovation by Design »,
Présenté et soutenu le 24 mai 2016
Tiphaine GAMBA
Sous la direction de Giuseppe Attoma Pepe
Fondateur et directeur général de l’agence Attoma
4
LE DESIGN THINKING :
NOUVEL ELDORADO
DE L’INNOVATION ?
Aux Etats-Unis, la pensée design a connu un essor
phénoménal avec la crise de 2008-2009. En France
c’est un peu plus tard, au début des années 2010,
que le design thinking commence à se diffuser, porté
par un environnement favorable avec, entre autres,
la prise de conscience généralisée de la nécessité
de sortir d’une vision technocentrée de l’innova-
tion, l’émergence de l’économie de l’expérience et
le retour d’une prise de parole publique sur la place
du design dans l’innovation. (Chapitre 4)
Dans le même temps, au sein des entreprises,
l’injonction d’innover se fait de plus en plus forte,
avec le besoin corollaire de réinventer de nouveaux
modèles d’innovation. Face à ces défis, le design
thinking semble proposer de nombreux atouts.
(Chapitre 5)
C’est dans ce contexte favorable que le design
thinking part à la conquête de l’Hexagone, dans
un premier temps avec la création de formations
de haut niveau, puis sur le marché du conseil en
innovation en pleine restructuration. Le terme,
relayé par les médias, devient alors un véritable
buzzword. (Chapitre 6)
LE DESIGN THINKING :
DE QUOI PARLE-T-ON ?
Avant de présenter le design thinking tel qu’il sera
défini dans le cadre de ce mémoire, il nous semble
important de comprendre d’où vient cette notion.
Cette mise en perspective historique mettra en
lumière le fait qu’il n’existe pas une définition
incontestée et incontestable du design thinking.
(Chapitre 1)
Fort de ce constat, nous choisirons de traiter le
design thinking en tant que méthodologie d’inno-
vation développée tout au long des années 90 dans
la prestigieuse université de Stanford. Plus spéci-
fiquement, nous présenterons la pensée de Tim
Brown, CEO de l’agence d’innovation IDEO et apôtre
depuis une quinzaine d’années du design thinking.
Il s’agit de l’approche la plus diffusée en France ces
dernières années. (Chapitre 2)
Enfin, nous dépasserons cette vision pour mettre en
lumière les grands principes sur lesquels le design
thinking repose : la reformulation de la question
de départ, le process de design et le fait de placer
l’humain au cœur de la démarche. (Chapitre 3)
RÉSUMÉ
5
UN DESIGN THINKING
À LA FRANÇAISE ?
La place du design dans les entreprises françaises
semble évoluer vers une prise de conscience accrue
du rôle stratégique qu’il peut être amené à jouer
en matière d’innovation. Des entreprises françaises
reconnues montrent l’exemple tandis que d’autres
entreprises expérimentent de nouvelles structures
internes dédiées à l’innovation et où la pensée
design joue un rôle majeur. Ce contexte semble
favorable à l’émergence et au développement d’un
design thinking à la française. (Chapitre 10)
Des cas récents de réussite d’implémentation de
démarches d’innovation de type design thinking
semblent aller dans ce sens. Si ces dernières sont
d’abord perçues par les entreprises concernées
comme des approches de l’innovation pragma-
tiques et efficaces, la pensée design et le goût du
faire se sont déployés avec succès au sein de ces
organisations. (Chapitre 11)
Comme toute démarche d’innovation, le design
thinking implique des conditions spécifiques de
mise en œuvre. Un certain nombre de facteurs clés
de succès peuvent être identifiés. (Chapitre 12) //
LE DESIGN THINKING
MIS À L’ÉPREUVE
En France, le design thinking est une notion problé-
matique. Si tout le monde l’utilise, personne ne
semble véritablement à l’aise avec cette notion.
Pour des raisons propres à la France, le débat se
cristallise autour de la place du designer. Deux
visions s’affrontent  : le design thinking avec ou
sans designers. La mise en pratique de la démarche
diffère fortement selon la vision que l’on porte, et les
objectifs que l’on cherche à atteindre. (Chapitre 7)
Par ailleurs, le design thinking en tant que démarche
complète d’innovation - de l’identification du
problème à résoudre à la mise sur le marché - peine
à s’implanter dans les entreprises françaises où les
métiers du marketing et de l’ingénierie occupent
bien souvent une place prépondérante dans la
conduite de projets d’innovation. D’autres éléments,
plus méthodologiques, expliquent le faible taux de
succès de l’implémentation du design thinking eu
égard à son succès médiatique. (Chapitre 8)
Par ailleurs, l’approche de Tim Brown, loin d’être
parfaite, suscite critiques et interrogations dans
l’Hexagone comme dans les pays anglo-saxons.
(Chapitre 9)
6
Remerciements
Introduction
Précisions méthodologiques
Remarques préalables
PREMIÈRE PARTIE
LE DESIGN THINKING :
DE QUOI PARLE-T-ON ?
1.	Une notion historiquement ancrée et polysémique
	 1.1.	 Genèse du design thinking
	 1.2.	 Les grandes approches du design thinking
2.	Le design thinking : une approche récente et
anglo-saxonne de l’innovation
	 2.1	 Une notion portée par l’université de Stanford et IDEO
	 2.2.	Le design thinking selon Tim Brown
3.	Les grands principes du design thinking
	 3.1.	 Identifier le vrai problème à résoudre
	 3.2.	Le design comme processus
	 3.3.	L’humain au cœur de la démarche
11
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15
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17
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31
SOMMAIRE
7
DEUXIÈME PARTIE
LE DESIGN THINKING :
NOUVEL ELDORADO
DE L’INNOVATION ?
4. Un contexte propice à l’adoption du design thinking
au sein des entreprises françaises
	 4.1.	 La prise de conscience de l’importance d’adopter une vision
élargie de l’innovation
	 4.2.	Une économie dominée par l’expérience
	 4.3.	Dans le même temps des initiatives pour repenser la place du
design dans l’innovation
5.	Une démarche d’innovation qui semble
particulièrement adaptée aux défis des entreprises
	 5.1.	 De la nécessité d’innover
	 5.2.	Des entreprises à la recherche de nouveaux modèles
d’innovation
	 5.3.	Les promesses du design thinking
6.	Quand le design thinking part à la conquête
de l’Hexagone
	 6.1.	 La multiplication des formations en design thinking
	 6.2.	Un secteur du conseil en innovation en pleine restructuration
	 6.3.	Le design thinking, véritable buzzword dans le champ lexical
de l’innovation
34
35
35
38
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41
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8
TROISIÈME PARTIE
LE DESIGN THINKING
MIS À L’ÉPREUVE
7.	Le design grand oublié du design thinking ?
	 7.1.	 Une difficile appropriation du terme design thinking en France
	 7.2.	 Le design thinking : avec ou sans designers ?
	 7.3.	 Quand le design thinking prend le pas sur le design doing
8.	Au sein des entreprises française :
le grand choc culturel
	 8.1.	 Le faible niveau de culture générale concernant le design
au sein des entreprises
	 8.2.	La toute puissance de l’ingénieur et du marketeur
	 8.3.	Le défi de la pluridisciplinarité
	 8.4.	Convaincre avec du qualitatif
	 8.5.	La difficile mise en place du Test&Learn
	 8.6.	Une démarche qui nécessite un terreau culturel adapté
9.	Les limites de l’approche de Tim Brown
	 9.1.	 Trop de processus tue le processus
	 9.2.	Le manque d’opérationnalité de la démarche
	 9.3.	La viabilité, un élément de critique majeur
	 9.4.	Une sous-évaluation des facteurs humains
50
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67
9
QUATRIÈME PARTIE
UN DESIGN THINKING
À LA FRANÇAISE ?
10.Innover par le design… avec le design thinking ?
	 10.1.	 Des entreprises françaises reconnues dans le domaine
de l’innovation par le design
	 10.2.	De grandes entreprises françaises qui expérimentent
de nouvelles structures internes d’innovation
	 10.3.	Le design thinking : une opportunité pour accélérer la diffusion
de l’innovation par le design au sein des entreprises ?
11. Des entreprises françaises qui s’ouvrent avec succès
au design thinking
	 11.1.	 Cas n°1 : Lapeyre avec la d.school
	 11.2.	 Cas n°2 : Mustela avec l’agence Babel
	 11.3.	 Cas n°3 : AccorHotels avec Sismo Design
12. Les conditions de succès de la démarche
	 12.1.	 Principaux enseignements issus des cas présentés
	 12.2.	Les facteurs clés de succès à l’intégration des démarches
design thinking au sein des entreprises françaises
Conclusion
Quel futur pour le design thinking en France ?
Bibliographie
Annexe
68
69
69
71
72
75
75
77
79
82
82
83
88
90
97
11
Je remercie tout d’abord Giuseppe Attoma Pepe, mon directeur de
mémoire, pour m’avoir accueillie en stage au sein de son agence
et pour avoir accepté de m’accompagner dans la réalisation de ce
mémoire. Nos différents échanges aux étapes clés de la réflexion, sa
disponibilité malgré un agenda bien rempli, son regard critique m’ont
permis de prendre du recul sur mon travail et d’ouvrir de nouvelles
pistes de recherche.
Mon deuxième remerciement est pour Stéphane Gauthier, directeur
conseil Innovation au sein de l’agence Babel, pour son aide précieuse,
sa disponibilité, ses conseils et ses mises en contact.
Merci aussi à l’ensemble des personnes interviewées pour leur temps
et la qualité de nos échanges. Leur intérêt réel pour la problématique
du mémoire m’a souvent permis de dépasser le cadre de simples inter-
views et d’ouvrir ou de ré-orienter le mémoire.
Merci aussi à toute l’équipe pédagogique du mastère IBD, en particulier
à Sylvie Lavaud et Katie Cotellon.
Merci aux autres élèves du mastère pour leurs encouragements.
Un grand merci à Christine pour la mise en page de ce mémoire.
Enfin merci à mon entourage, et tout particulièrement à Bertrand pour
son soutien lors de la rédaction de ce mémoire. //
REMERCIEMENTS
UN GRAND
MERCI À TOUS
13
L’objet de ce mémoire est d’aborder la question
de l’innovation en France par le design thinking.
Lorsque j’ai intégré l’ENSCI fin 2013, dans le cadre
du Mastère spécialisé « Innovation by design », le
design thinking était l’un des buzzwords les plus
puissants à l’œuvre dans le monde de l’innovation. Il
était difficile d’être confronté au terme sans prendre
position sur le sujet. Pour certains, l’approche repré-
sentait une menace à l’égard des professionnels du
design, pour d’autres au contraire une formidable
opportunité de mieux faire connaître la place du
design en innovation.
Où en sommes-nous aujourd’hui ? L’engouement
pour le design thinking auquel nous assistons en
France depuis 2010 reste important. L’hypothèse
selon laquelle le design thinking n’était qu’un effet
de mode, voué à disparaître aussi vite que le terme
s’est diffusé, semble définitivement écartée. Le
design thinking a suffisamment infiltré les esprits
et les organisations pour se positionner comme
une nouvelle approche de l’innovation à la fois très
structurée et centrée sur l’humain.
L’approche est intéressante dans la mesure où elle
combine empathie pour apprendre à devenir plus
sensible au contexte d’un problème, créativité
pour proposer des solutions originales, et prototy-
page pour recueillir rapidement des retours sur les
innovations produites. Une de ses particularités est
d’être une démarche centrée utilisateur couplée à la
valeur de la preuve du prototypage.
INTRODUCTION
Aujourd’hui, l’heure des premiers bilans est arrivée.
Lorsque l’on se renseigne plus en avant on constate
que cette démarche est rarement mise en pratique
dans son intégralité au sein des entreprises voire
reste largement méconnue. Pourquoi n’est-elle pas
plus couramment mise en œuvre alors même qu’elle
semble présenter de nombreux atouts  ? Cette
approche de l’innovation est-elle réellement en train
de se diffuser au sein des organisations ou va-t-elle
au contraire marquer le pas au profit d’approches
plus performantes et adaptées à la réalité des entre-
prises ?
Là encore les avis sont tranchés. Le design thinking
ne laisse pas indifférent Pour certains, le design
thinking est un échec. Cela n’a pas marché. Le
design thinking doit être enterré et remplacé par
des approches plus adaptées et efficaces. Pour
d’autres au contraire, on en est au balbutiement de
la diffusion de la démarche au sein des entreprises,
le design thinking a un bel avenir devant lui.
Ce mémoire tente de dépasser les effets de mode
et de communication en apportant un regard
critique sur la question de l’innovation par le
design thinking au sein des entreprises françaises.
Reposant à la fois sur un travail d’enquête et de
recherche documentaire, il présente les principaux
atouts de la démarche, ses limites comme ses
évolutions possibles. Au delà des passions et des
controverses, son ambition est de poser les jalons
d’une réflexion sur la place et l’évolution du design
thinking en France en tant que nouvelle approche
de l’innovation. //
14
La réflexion menée dans le cadre de ce mémoire
s’appuie au niveau méthodologique sur trois sources
complémentaires : recherches bibliographiques et
analyse documentaire, interviews de profession-
nels du marketing et/ou de l’innovation, experts du
design thinking et designers exerçant leur activité
en entreprise ou en agences de design, et retours
d’expérience issus de ma pratique professionnelle.
Mon stage de mastère au sein de l’agence de design
Attoma m’a offert un terrain d’observation privi-
légié auprès de designers conduisant des projets
d’innovation dans les domaines de l’UX design et du
design de service.
La question de l’adoption du design thinking en
France a été plus spécifiquement étudiée à travers
la conduite d’une quinzaine d’entretiens semi direc-
tifs et approfondis auprès de professionnels ayant
selon les cas de figure un lien plus ou moins direct
et conscient avec le design thinking. Tous évoluent
de par leurs pratiques sur le champ de l’innovation.
Du fait de mon terrain d’observation et des
personnes que j’ai pu interviewer l’ensemble des
cas étudiés sont issus du monde de l’entreprise.
Les enseignements de ce mémoire portent donc en
priorité sur ce périmètre.
Enfin, et du fait de la question de départ choisie
« Innover en France avec le design thinking ? »,
le périmètre géographique est français. L’analyse
intègre cependant des réflexions issues du monde
anglosaxon, pour venir apporter un éclairage
complémentaire. //
PRÉCISIONS
MÉTHODOLOGIQUES
15
•	Pour des raisons de commodité de lecture, le
terme design thinking ne sera pas mis entre guille-
mets ni en italique tout au long de ce mémoire.
•	Toutes les citations utilisées sans autre préci-
sion que le nom de leur auteur sont directement
issues des entretiens réalisés dans le cadre de ce
mémoire.
•	Lorsque sont utilisées des citations autres que
celles provenant des entretiens, la source est alors
mentionnée. //
REMARQUES
PRÉALABLES
DESIGN THINKING :
DE QUOI
PARLE-T-ON ?
PREMIÈRE
PARTIE
17DESIGN THINKING : DE QUOI PARLE-T-ON ?
l’aideront à mieux appréhender le design thinking et
à se rendre compte de son caractère polysémique
ce qui, comme nous le verrons plus loin, n’est pas
sans conséquence en termes d’accueil, de compré-
hension et de diffusion de cette notion en France.
Pour ce faire, nous nous appuierons sur les travaux
de la designer et chercheuse Lucy Kimbell6
et ceux
de l’étudiante en thèse Stefanie Di Russo7
de l’univer-
sité de Swinburne en Australie dont les recherches
portent sur les origines du design thinking.	
1.1. GENÈSE DU
DESIGN THINKING
Il existe plusieurs façons de raconter l’histoire du
design thinking. Selon les sources (écrits sur le sujet,
conférences, interviews réalisées dans le cadre de ce
mémoire…), les récits mettent l’accent sur l’une ou
l’autre des facettes de cette notion beaucoup plus
complexe qu’elle ne paraît de prime abord.
Ainsi, pour parler du design thinking, certains
évoquent le temps long et remontent jusqu’à la
naissance du design, au milieu du XIXème
siècle, et
font le lien avec l’histoire et l’évolution du design
industriel. Plus nombreux sont ceux qui, de façon
plus prosaïque, rattachent l’histoire du design
thinking à l’origine du terme lui-même. Sont alors
les plus souvent cités : un article de Bruce Archer1
(1965), la vision du design de Herbert A. Simon2
comme « a way of thinking » (1969), un ouvrage de
Peter Row³ (1987), les travaux de Rolfe Faste4
dans
les années 80 et 90 à Stanford, ceux de son collègue
David M. Kelley, l’un des fondateurs de l’agence IDEO
en 1991, qui introduisit la notion à des fins business,
ou encore l’article célèbre « Wicked Problems in
Design Thinking » de Richard Buchanan5 (1992).
Il serait donc illusoire de présenter en quelques pages
une histoire du design thinking. Il s’agit d’un sujet
de recherche en tant que tel, qui est très certaine-
ment en train de s’écrire dans les universités anglo-
saxonnes. C’est pourquoi nous préférons proposer
au lecteur quelques points de repères, forcément
incomplets et discutables, mais qui nous l’espérons
1	
L. Bruce Archer. “Systematic Method for Designers”.
The Design Council, Londres, 1965
2	
Herbert A. Simon, The science of the artificial, MIT Press, 1969
3	
Peter G. Rowe, Design Thinking, MIT Press, 1987
4	
Rolf Faste, et al., “Integrating Creativity into the Mechanical
Engineering Curriculum”, Cary A. Fisher, Ed., ASME Resource Guide
to Innovation in Engineering Design, American Society
of Mechanical Engineers, New York, 1993
5	
Richard Buchanan, « Wicked problems in design thinking »,
Design Issues, 1992
6	
Lucy Kimbell, “Rethinking Design Thinking: Part 1”,
Design and Culture, 3 :3, 285-306, 2011
7	
Stefanie Di Russo, “A brief History of Design Thinking :
How Design Thinking Came to Be”,
https://ithinkidesign.wordpress.com/2012/06/08
1. UNE NOTION HISTORIQUEMENT
ANCRÉE ET POLYSÉMIQUE
18 DESIGN THINKING : DE QUOI PARLE-T-ON ?
DonaldNorman
RichardBuchman
WilliamRouse
Ezio Manzini
Lucy Kimbell
Bryan Lawson
Nigel Cross
Donald Schon
Herbert Simon
Horst Rittel
1980s
1990s
2000s
2010s
1960s
participatory design
user centered
design
meta-design
service design
hum
an-centered
design
M
IN
D
SE T D
E
S
IG
N
SCIENCE
C O G N I T I V E
R
E
F
LECTIONS
PROCES
S
M
E T H O D S
NOW
design thinking
Outer circle (gray) signifies the shifts in design therory along the timeline.
The inner circle (orange) signifies the methodological shifts in design practice over time.
Source : Infographie réalisée par Stefanie Di Russo doctorante à l’université de Swinburne.
INFOGRAPHIE RÉALISÉE PAR STEFANIE DI RUSSO,
DOCTORANTE À L’UNIVERSITÉ DE SWINBURNE
19DESIGN THINKING : DE QUOI PARLE-T-ON ?
enquiry when applied to its own kinds of problems »,
le texte de Nigel Cross10
«  Designerly ways of
knowing », paru en 1982 dans Design Studies ou
encore l’ouvrage de Donald Schön11
paru en 1983,
The Reflective Practitioner. En étudiant la façon
de penser des designers et comment ils résolvent
des problèmes, ces auteurs posèrent les bases
théoriques du design en tant que discipline de
recherche. On comprend dès lors pourquoi pour
de nombreux designers la notion de design
thinking est directement liée à ces auteurs. Mais
l’un des premiers à faire émerger en tant que tel la
notion de design thinking fut Peter Row dans son
ouvrage Design Thinking dont l’édition originale
date de 1987. Dans cet ouvrage Peter Row décrit
sous le nom de design thinking les méthodes et
les approches utilisées par les architectes et les
urbanistes pour donner forme à des idées de
bâtiments et d’espaces publics.
Par ailleurs, et toujours dans les années 80, le théori-
cien du design Donald Norman introduisit la notion
de «  design centré utilisateur  » (user-centered
design). Un tournant significatif qu’il apporta fut de
placer l’utilisateur au centre du process de dévelop-
pement. Avec cette approche plus humaniste
du design l’utilisateur participe tout au long du
processus de développement d’un produit ou d’un
système. Les tests utilisateurs, par exemple, ne
portent plus seulement sur l’utilisabilité mais aussi
sur les besoins et intérêts des utilisateurs. Nous
reviendrons plus loin sur cette notion de « design
centré utilisateur » dans la mesure où il s’agit de l’un
des fondements du design thinking.	
Les années 60 :
le design comme science
Durant les années 60 des chercheurs ont tenté
de comprendre et de décrire le design, élaborant
par là même un nouveau champ de recherche : la
recherche en design (design research). Le chercheur
en sciences cognitives et en intelligence artificielle
Herbert A. Simon dans son ouvrage Les sciences de
l’artificiel publié en 1969 établit les fondations d’une
science du design. Contrairement à l’architecte
Christopher Alexander8
pour qui le design signifie
avant tout donner une forme, une organisation et
un ordre aux objets physiques (« the ultimate object
of design is form »), Herbert Simon décrit le design
comme un champ de connaissances qui s’applique à
une profession tout comme l’ingénierie, le manage-
ment ou la médecine. Pour ce dernier le travail des
designers est d’abord un travail abstrait, le design
étant décrit comme une activité qui permet de
résoudre des problèmes (problem solving) bien
souvent épineux (wicked problem) - une termino-
logie empruntée à un autre grand théoricien du
design Horst Rittel9
- à l’aide d’un certain nombre
d’outils et méthodes de raisonnement. Parce qu’il
est l’un des premiers, à la fin des années soixante,
à avoir théorisé le design comme façon de pensée
(« a way of thinking »), les racines du design thinking
sont associées à son nom et à son époque.
Les années 80 :
réflexions cognitives
A la fin des années 70 et au début des années 80
paraissent un certain nombre de textes fondateurs
sur le design comme discipline de recherche parmi
lesquels celui de Bruce Archer en 1979, affirmant
« a designerly way of thinking and communicating
that is both different from scientific and scholarly
ways of thinking and communicating, and as
powerful as scientific and scholarly methods of
8	
Christopher Alexander, Notes on the Synthesis of Form, Cambridge,
MA : Harvard University Press, 1971
9	
H. Rittel, M. Webber, « Dilemmas in a General Theory of Planning. »
Policy Sciences, 4 : 155-69
10
	Nigel Cross, « Designerly ways of knowing », in Design Studies,
vol 3, no 4 October 1982
11
	 Donald Schön, The Reflective Practitioner, New York : Basic Books, 1983
20 DESIGN THINKING : DE QUOI PARLE-T-ON ?
1.2 LES GRANDES APPROCHES
DU DESIGN THINKING
La designer et chercheuse Lucy Kimbell13
a résumé
de manière synthétique les résultats de ses travaux
portant sur l’histoire du design thinking dans un
tableau (Tableau 1). Elle identifie trois grandes
approches du design thinking :
1.	 Le design thinking en tant que style cognitif. Le
terme design thinking est utilisé pour caractériser
ce que les designers savent au niveau individuel,
la façon dont ils pensent et résolvent un problème
de design.
2.	 Le design thinking en tant que théorie générale
du design. En plus de décrire les pratiques des
designers et leur façon de raisonner, le terme
est aussi employé en tant que théorie du design,
dans la lignée des travaux de Richard Buchanan.
Le terme design thinking est alors employé en
tant que théorie générale du design.
3.	 Le design thinking en tant que ressource
organisationnelle. Plus récemment, le terme
design thinking a été mobilisé avec succès
dans les champs du business ou de l’innovation
sociale par des professeurs de management, des
consultants en innovation par le design et des
universitaires.
Les années 90 :
le process et les méthodes de design
En 1991 William B. Rouse publia son ouvrage
Design for Success: A Human-Centered Approach
to Designing Successful Products and Systems.
Dans les années 90 le chercheur en design Richard
Buchanan12
tenta de définir le champ du design.
Dans son célèbre article «  Wicked Problems in
Design Thinking » (1992) le chercheur présente le
design thinking comme un concept qui peut s’appli-
quer à presque tout, que ce soit un objet tangible
ou un système intangible. Selon Richard Buchanan,
le design est un art particulièrement bien placé pour
répondre aux besoins d’une culture technologique
au sein de laquelle se multiplient les conceptions de
nouveaux objets et où les problèmes humains sont
complexes. Selon lui, et dans la lignée des théori-
ciens des années 80, le designer apporte une façon
unique de regarder un problème et de trouver des
solutions.
Les années 2000 :
le design comme état d’esprit
Le développement du concept de design thinking
au cours des années 90 a permis de repositionner
les designers au centre du projet, non plus comme
spécialistes de la forme mais aussi en tant que
médiateurs au sein d’équipes pluridisciplinaires. Au
cours des années 2000, de nouvelles méthodologies
et approches se développent, tels que le design de
service (service design) et les approches de design
centré sur l’humain (human-centered design – HCD).
Selon Stefanie Di Russo, cette dernière approche
n’est plus seulement une méthode, mais devient
à la fin des années 2000 un véritable état d’esprit
(mindset). Cet élargissement de sens réintroduit
la pensée design mais cette fois ci comme étant
un état d’esprit utilisé comme une méthode pour
résoudre des problèmes complexes.
12
	Richard Buchanan, « Wicked problems in design thinking », Design Issues, 1992
13
	Lucy Kimbell, « Rethinking Design Thinking: Part 1 », Design and Culture, 3 :3, 285-306, 2011
21DESIGN THINKING : DE QUOI PARLE-T-ON ?
Avec notamment les travaux de Tim Brown, le terme
design thinking devient plus englobant en plaçant
l’être humain au centre de l’approche de résolution
des problèmes, en contraste notamment avec les
approches d’innovation centrées sur les technolo-
gies. Lorsque nous parlons de design thinking dans
ce mémoire nous nous plaçons très clairement dans
le cadre de cette approche dont l’objectif premier est
l’innovation. //
Design thinking
en tant que
style cognitif
Design thinking
en tant que
théorie générale
du design
Design thinking
en tant que
ressource
organisationnelle
Textes clés Cross 1982 ; Schön 1983 ;
Rowe (1987) 1998 ;
Lawson 1997 ; Cross
2006 ; Dorst 2006
Buchanan 1992 Dunne and Martin
2006 ; Bauer and Eagan
2008 ; Brown 2009 ;
Martin 2009
Focus Designers individuels,
principalement experts
Design en tant que
discipline
Entreprises et leurs
organisations en
recherche d’innovation
Objectif
du design
Résolution de problème Maîtrise des problèmes
épineux
Innovation
Concepts clés Aptitude au design
en tant que forme
d’intelligence : réflexion
dans l’action, pensée
abductive
Le design n’a pas
de spécificité ou de
pratique privilégiée
Visualisation,
prototypage, empathie,
pensée intégrative,
pensée abductive
Nature des
problèmes design
Les problèmes design
sont mal formulés, le
problème et la solution
co-évoluent
Les problèmes design
sont des problèmes
épineux
Les problèmes
organisationnels sont
des problèmes design
Sites de l’expertise
du design et de son
activité
Disciplines
traditionnelles
du design
Les quatre piliers du
design
N’importe quel contexte
des services médicaux à
l’accès à l’eau propre
Tableau 1 - Les différentes approches du design thinking selon Lucy Kimbell :
22 DESIGN THINKING : DE QUOI PARLE-T-ON ?
travaux sur le design thinking mais ce n’est qu’en
1999 que le terme a commencé à se populariser aux
Etats-Unis, à la suite de la diffusion par ABC News
d’une émission au sujet des secrets de l’innovation
intitulée Deep dive. Celle-ci se déroulait à Palo Alto,
dans les locaux d’IDEO et présentait l’état d’esprit et
la démarche qu’adoptent les membres de la célèbre
agence de design face à un problème.
Les années 2000 sont celles de la diffusion du
design thinking à grande échelle, d’abord aux Etats-
Unis, en partant de l’épicentre de la Silicon Valley,
puis en Europe. Pour rendre compte de la popula-
risation du design thinking auprès du grand public
trois moments clés sont fréquemment cités.
Tout d’abord la parution en mai 2004 dans la
revue BusinessWeek de l’article - qui fait la Une -
«  The power of Design  » de Bruce Nussbaum.
Dans cet article qui rend compte du formidable
développement d’IDEO (350 collaborateurs en
2004), le design est présenté comme un puissant
levier d’innovation. L’accent est mis sur la métho-
dologie de l’agence avec la présentation d’un
process en 5 phases pour «  designer/concevoir
une meilleure expérience de consommation  »  :
observation – brainstorming – prototypage rapide –
redéfinition – implémentation. Si le terme design
thinking n’apparaît pas une seule fois dans l’article,
le process design et l’état d’esprit de la démarche
sont largement expliqués. Les deux autres
moments clés sont, d’une part, la conférence que
donna Tim Brown à l’université de Stanford le
2.1 UNE NOTION PORTÉE
PAR L’UNIVERSITÉ DE
STANFORD ET IDEO
Le concept de design thinking s’est développé
tout au long des années 90 en plein cœur de la
Silicon Valley (Californie) au sein de l’agence de
design IDEO (plus de 600 collaborateurs dans une
dizaine de bureaux dans le monde) et de l’univer-
sité de Stanford. IDEO fut fondée en 1991 à la suite
de la fusion de David Kelley Design (DKD) avec
trois autres agences de design reconnues dans
leur domaine : Matrix Product Design à Palo Alto,
créé par le designer britannique Marc Nuttall, ID
Two à San Francisco et Moggridge Associates à
Londres, fondées toutes deux par Bill Moggridge.
David Kelley a suivi le célèbre Stanford Design
Program à l’université de Stanford au milieu des
années 70 avant de monter son agence DK2,
célèbre pour avoir conçu en 1982 la première souris
Apple. L’agence de Marc Nuttall gagna plus d’une
vingtaine de prix (design awards) entre 1983, date
de sa création, et 1991. Bill Moggridge était quant
à lui un designer spécialisé dans le design indus-
triel et pionnier du design d’interaction. Du fait de
cette triple paternité, IDEO est depuis son origine
une des agences de design les plus puissantes de
la Silicon Valley.
David Kelley, qui a dirigé IDEO jusqu’en 2000, et
Tim Brown, actuel CEO et Président de l’agence,
ont dans les années 90 conduit de nombreux
2. LE DESIGN THINKING :
UNE APPROCHE RÉCENTE ET
ANGLO-SAXONNE DE L’INNOVATION
23DESIGN THINKING : DE QUOI PARLE-T-ON ?
19 décembre 2007 intitulée « Strategy by Design:
How Design Thinking Builds Opportunities  », et
d’autre part la publication en septembre 2009 de
son ouvrage Change by Design.
Entre ces deux dates Tim Brown assiste à la
création de masters de design thinking par les
écoles de management (alors que David Kelley
fonde dès 2005 la d.school à Stanford) et constate
l’extraordinaire puissance que confère l’apposition
thinking au mot design. En juin 2008, Tim Brown
publie un article intitulé « Design thinking » au
sein de la Harvard Business Review et lance en
août de la même année son blog (Design thinking
blog). En multipliant les conférences et les publi-
cations, Tim Brown devient avec David Kelley l’un
des porte-paroles les plus célèbres du design
thinking. Parallèlement ils poursuivent tous deux
le développement de cette théorie à l’université
de Stanford.
En France, le design thinking arrive plus tardive-
ment, à partir du milieu des années 2000. Le terme
est aujourd’hui le plus souvent directement associé
à Tim Brown, ce qui s’explique sans doute par la
publication en 2010 de son ouvrage Change by
Design en version française. 	
Couverture du BusinessWeek
du 17/05/2004
Couverture de l'ouvrage
Change by Design, 2010
24 DESIGN THINKING : DE QUOI PARLE-T-ON ?
Une approche fondée sur trois
dimensions : désirabilité, faisabilité,
viabilité
Selon Tim Brown, l’un des fondements du design
thinking est la recherche d’un équilibre harmo-
nieux entre trois critères au moment de la validité
d’une idée :
›	la désirabilité : qu’est-ce qui correspond aux
attentes des consommateurs ?
›	la faisabilité : qu’est-ce qui est fonctionnel et
réalisable dans un avenir prévisible ?
›	la viabilité : qu’est-ce qui s’intègre dans un
modèle économique durable ?
Le design thinking défend une approche de l’innova-
tion par les usages – pour reprendre une terminologie
2.2 LE DESIGN THINKING
SELON TIM BROWN
La définition proposée par Tim Brown dans son
ouvrage Change by Design (2009) est très certai-
nement l’une des plus répandues aujourd’hui  :
« Le design thinking est une discipline qui utilise
la sensibilité, les outils et les méthodes des
designers pour permettre à des équipes multi-
disciplinaires d’innover en mettant en corres-
pondance attentes des utilisateurs, faisabilité et
viabilité économique. ». Dans cette définition le
design thinking est présenté comme une nouvelle
approche de l’innovation dont la principale carac-
téristique est de s’appuyer sur la méthodologie
des designers et, plus largement, sur la « pensée
design ». Les grands principes mis en avant par
Tim Brown sont l’interdisciplinarité et la prise
en compte conjointe de trois dimensions  : les
attentes des consommateurs, la faisabilité et
la viabilité économique.
DESIRABILITY
(human)
FEASIBILITY
(technical)
INNOVATION
VIABILITY
(business)
25DESIGN THINKING : DE QUOI PARLE-T-ON ?
de noter ici que l’agence IDEO emploie des colla-
borateurs aux compétences variées : ingénieurs,
anthropologues, designers industriels, designers
de service, marketeurs, architectes, psycholo-
gues… L’approche du design thinking que défend
Tim Brown dépasse les compétences stricto sensu
des designers.
Une approche séquencée
Un autre point majeur de la pensée de Tim Brown est
le fait que le design thinking constitue une approche
séquencée. Un projet – les adeptes du design
thinking raisonnent en termes de projet et non plus
de problème à résoudre – se construit au travers
un certain nombre de phases, avec pour chacune
d’entre elle un objectif, des résultats et des schémas
cognitifs plutôt que d’autres. Dans son ouvrage,
Tim Brown présente trois phases de l’innovation
qui se chevauchent entre elles (et qui ne doivent
donc pas être vues comme des étapes successives
d’une méthodologie linéaire) : « une phase d’ins-
piration, dans laquelle on rassemble des informa-
tions issues de toutes les sources possibles ; puis
celle de la conceptualisation, où ces données sont
traduites en idées ; enfin la réalisation, autrement
dit la concrétisation des idées les plus porteuses en
plans d’actions rigoureusement définis. » 	
française - tout en maintenant dans le même temps
des aspects de faisabilité et de viabilité. De ce fait, il
s’agit d’une approche complexe qui convoque diffé-
rents modes de réflexion. Le critère de désirabilité
requiert par exemple de grandes qualités d’obser-
vation, de l’empathie et de l’intuition (nous revien-
drons plus tard sur ces notions) alors que les critères
de faisabilité et de viabilité nécessitent principale-
ment des compétences techniques, économiques et
financières.
De ce caractère global et systémique de l’approche
découle naturellement la question du management
de projet : qui est à même de manager ce type
d’approche ? Et la question sous-jacente : quelle
place pour le designer  ? Tim Brown développe
dans son ouvrage un point de vue personnel sur
la question. Selon lui : « Un designer compétent
sait répondre à chacun de ces trois critères, mais
un adepte du design thinking sera en outre capable
de les conjuguer dans un équilibre harmonieux. »
Ainsi, selon Tim Brown, si les designers sont cultu-
rellement mieux armés que les autres vis-à-vis de
l’intégration de ce mode de pensée, leur formation
ne suffit pas à elle seule à faire d’eux de véritables
design thinkers. D’autre part, et c’est le pendant
du point précédent, le design thinking n’est pas
l’apanage des seuls designers. Ce concept peut
être intégré par ceux qu’il appelle « les adeptes
du design thinking » pourvu qu’ils aient un certain
nombre de caractéristiques que nous étudierons
plus loin.
La désormais célèbre formule  : «  Le design est
trop important pour être laissé aux seules mains
des designers » peut donc être entendue comme
une tentative, certes non dénuée de maladresse à
l’égard de ses pairs, de présenter le design thinking
comme une approche globale de l’innovation qui
dépasse les questions que l’on pose habituel-
lement aux designers mais aussi leurs compé-
tences métiers traditionnelles. Il est intéressant
26 DESIGN THINKING : DE QUOI PARLE-T-ON ?
des brainstormings qui respectent des règles de
créativité collective et des principes d’expression
(visual thinking par exemple), ainsi que sur une
itération de prototypes en contexte réel. L’objectif
est de tester des idées avec les intéressés le plus
rapidement possible (la simulation est différente
selon la nature du projet, la forme classique
restant le prototype).
3.	 La phase d’implémentation a pour but d’intro-
duire la solution dans la réalité. Le levier principal
utilisé est de projeter les utilisateurs d’une façon
la plus réaliste possible dans cette solution
imaginée. L’utilisation du storytelling, la mise en
valeur des bénéfices utilisateurs, la simulation de
l’expérience, la réalisation d’un prototypage final,
la simulation des opérations en cas de lancement
sont des outils clés du design thinking.
Ces trois grandes phases sont reprises par l’ensemble
de la littérature sur le sujet, en voici une présenta-
tion succincte :
1.	 La phase d’inspiration a pour objectif essentiel
l’observation du contexte réel, et tout particuliè-
rement des comportements, pour comprendre ce
qui fait sens (grâce à l’identification a minima des
problèmes et attentes). La compréhension fine
des clients et non-clients permettra d’élaborer des
propositions à la fois inattendues et en adéquation
avec leurs attentes et besoins latents. Lors de cette
phase des outils précis de recherches ethnogra-
phiques sont mobilisés aux côtés d’autres sources
d’inspiration (benchmarks, études, interviews…).
2.	 La phase d’idéation consiste à générer des
solutions appropriées. Cette phase s’appuie sur
Source : Tim Brown, Design Thinking, dans Harvard Business Review, juin 2008
LES 3 PHASES DU DESIGN THINKING
SELON TIM BROWN :
27DESIGN THINKING : DE QUOI PARLE-T-ON ?
Les caractéristiques du design thinker
Le design thinking n’est pas seulement une méthode,
c’est un état d’esprit. Les individus, les équipes et
les entreprises qui ont assimilé la matrice mentale
du design thinking partagent un certain nombre
d’attitudes et de caractéristiques communes. Dans
son ouvrage, Tim Brown met l’accent sur un certain
nombre de caractéristiques du design thinker :
›	Empathie : la capacité à imaginer le monde en
partant de multiples points de vue (celui des collè-
gues, clients, utilisateurs…).
›	Pensée intégrative (integrativethinking) : la capacité
de voir l’ensemble des traits saillants  – parfois
contradictoires - d’un problème donné et de créer
des solutions nouvelles qui les surpassent. Il s’agit là
d’un point fondamental pour Tim Brown pour qui :
« Le design thinking n’est ni un art, ni une science,
ni une religion. En fin de compte, c’est l’aptitude à
penser de manière intégrative. »
›	Optimisme : ils ne se découragent pas face aux
contraintes, et pensent qu’au moins une solution
potentielle peut être meilleure que les alternatives
existantes.
›	Esprit d’expérimentation : la capacité de poser des
questions et explorer des contraintes d’une façon
créative qui ouvre de nouvelles directions.
›	Collaboration : la capacité de travailler en équipe,
avec d’autres compétences.
L’interdisciplinarité
Tim Brown insiste sur l’importance pour la conduite
de projets d’innovation de la mise en place
d’équipes pluridisciplinaires, suivant le credo  :
«  Tous ensemble, nous sommes plus intelligents
que n’importe lequel d’entre nous. » Pour consti-
tuer ses équipes projets, il privilégie les « individus
en forme de T », reprenant l’expression du cabinet
de conseil McKinsey, soit des individus possédant
des points forts dans deux dimensions, avec sur
l’axe vertical une expertise qui permet de contri-
buer de manière tangible au résultat. Ces profils
mixtes seront capables de collaboration transver-
sale, et pourront constituer une équipe véritable-
ment interdisciplinaire, et non pas multidisciplinaire
(où le risque est que chacun se fasse l’avocat de sa
propre spécialité avec des négociations sans fin au
sein de l’équipe).
Le design thinking tel qu’il a été formalisé par
Tim Brown repose sur les enseignements issus de
décennies de théories et pratiques du design. C’est
pourquoi il nous semble intéressant maintenant
de dépasser le cadre méthodologique du design
thinking (dans sa version récente) avec la présenta-
tion des grands principes de la « pensée design » qui
constituent les piliers théoriques de l’approche. //
28 DESIGN THINKING : DE QUOI PARLE-T-ON ?
chacun illustrant un rôle clé dans la conduite d’un
projet d’innovation par le design. Le rôle de l’Anthro-
pologue est selon l’auteur absolument crucial dans la
mesure où c’est souvent lui qui conduira à la reformu-
lation de la question initiale : « The Anthropologist
role is the single biggest source of innovation at
IDEO. Like most of our client companies, we have to
know what problem to solve. And people filling the
Anthropologist role can be extremely good at refra-
ming a problem in a new way – informed by their
insights from the field – so that the right solution
can spark a breakthrough. »
A l’issue de cette étape, l’observation clé pourra
être requalifiée sous forme de question. S’opère
alors un travail de reformulation de la question de
départ – cette dernière étant souvent posée par
l’entreprise cliente d’un point de vue industriel
et non pas du point de vue de l’utilisateur. A titre
d’illustration, un premier travail ethnographique
(observations sur le terrain) pourra par exemple
conduire une entreprise du secteur de l’électro-
ménager à passer de la question «  Aidez-nous
à trouver une innovation majeure pour le lave
vaisselle ou le lave linge » à celle de la gestion du
stock du propre et du sale.
Ainsi, le design thinking, dans la droite lignée de
la pensée design telle qu’elle est enseignée dans
les écoles aux designers, commence par un travail
de déconstruction de la question de départ, et
éventuellement de reformulation d’un point de vue
utilisateur. Cette étape constitue la toute première
phase du processus de design que nous allons
maintenant tenter de décrire.
3.1 IDENTIFIER LE VRAI
PROBLÈME À RÉSOUDRE
Le design thinking s’appuie depuis son origine sur
un certain nombre de principes et de valeurs. Un de
ses premiers grands principes, qui est un des fonde-
ments mêmes de la pensée design, est de prendre
le temps de trouver les bonnes questions à se poser.
Contrairement aux ingénieurs et marketeurs, formés
à la résolution de problèmes, la première question
qui occupe les designers est d’identifier quel est le
vrai problème à résoudre, pour ensuite innover dans
la solution. Pour y parvenir, le design a développé sa
propre méthode de raisonnement, qui s’applique quel
que soit l’objet étudié : produit, service ou système, et
qui consiste à ouvrir le champ à toutes les solutions
possibles pour ensuite sélectionner et affiner, sur un
mode itératif, la meilleure solution au problème posé.
La principale difficulté tient au fait que cette question
n’est pas évidente. Elle est en quelque sorte cachée.
Il peut s’agir de presque rien, d’un minuscule détail
qui passerait inaperçu pour la plupart d’entre nous.
Pour réussir cette épreuve, il est nécessaire d’avoir
accumulé de la connaissance. Mais la qualité primor-
diale est celle de l’attention curieuse. Il s’agit d’être
à l’affût du moindre détail qui peut se révéler être
une observation clé. En termes de disciplines acadé-
miques, on trouve ces qualités dans les formations
en sociologie et en anthropologie.
Dans son ouvrage The Ten Faces of Innovation, Tom
Kelley14
, un des managers d’IDEO, définit 10 personas,
3. LES GRANDS PRINCIPES
DU DESIGN THINKING
14
Tom Kelley, Jonathan Littman, The Ten Faces of Innovation, Currency/Doubleday, 2005
29DESIGN THINKING : DE QUOI PARLE-T-ON ?
au processus créatif. Il ne s’agit donc pas d’un
processus linéaire et fermé. Nous verrons cependant
plus loin dans la réflexion que cette caractéristique
pourtant essentielle de l’approche n’est pas toujours
suffisamment prise en compte.
La d.school de Stanford présente généralement sa
démarche en 5 étapes qui se chevauchent au cours
du projet :
empathize › define › ideate › prototype › test
Nous pourrions présenter d’autres exemples car
il n’existe pas un processus design thinking de
référence, avec un nombre d’étapes défini. Mais peu
importe le nombre d’étapes, car c’est le processus
(même si le design thinking ne doit pas être réduit
à un processus) et plus encore la façon dont il est
appliqué qui compte, comme nous le verrons plus
loin dans ce mémoire.	
3.2 LE DESIGN
COMME PROCESSUS
Le process du design thinking
L’approche design thinking se fonde sur la pensée
design, et plus précisément sur le processus de
design. Le processus de design peut être modélisé
de différentes façons. Généralement, il est composé
de trois, quatre ou cinq étapes. Il s’agit toujours de
progresser à partir d’observations vers des idées
de solutions, puis vers une matérialisation de ces
solutions, qui ensuite, évoluent encore pour prendre
une forme qui se devra d’être techniquement
faisable et viable économiquement pour l’entreprise
et sur un marché. Ces étapes ne sont pas linéaires,
elles peuvent être itératives.
Car l'un des apports principaux du processus de
design par rapport aux autres processus d’innova-
tion est justement d’enrichir le processus avec les
boucles de feedback ou de rétroaction inhérentes
Empathize
Define Prototype
Ideate
Test
Source : d.school de Stanford
5 STAGES OF THE D.SCHOOL'S
DESIGN THINKING PROCESS
30 DESIGN THINKING : DE QUOI PARLE-T-ON ?
1.	 Découvrir  : Phase de recueil d’informations  :
le premier quart du double diamant illustre le
début du projet. Cela commence avec une idée
initiale  – souvent proposée par l’entreprise
cliente - ou une inspiration, souvent à la source
d’une phase de découverte pendant laquelle les
besoins des utilisateurs sont identifiés dans leur
contexte d’usage. La phase de découverte est en
quelque sorte une épreuve d’observation. Il s’agit
lors de cette phase de trouver la ou les bonne(s)
question(s) à se poser.
2.	 Définir : Phase d’idéation et de choix : le second
quart représente la phase de définition. Il s’agit
de faire émerger des idées en lien avec l’observa-
tion clé, pour aboutir idéalement à une idée clé
partagée par l’ensemble des parties prenantes
du projet d’innovation. Cette idée, traduite sous
la forme d’une phrase simple ou la description
d’un concept, va permettre de faire émerger
une piste de solutions possibles et d’explorer
l’espace de conception. Il n’y a pas de disci-
plines scientifiques qui développeraient spéci-
fiquement la faculté d’idéation mais il existe
des outils, comme le brainstorming, permet-
tant de faciliter l’émergence des idées. Lors de
cette deuxième phase, des études peuvent être
conduites en appui.
3.	 Développer : Phase de réalisation : la troisième
phase du double diamant va consister à passer
du niveau des concepts et des idées à celui
de la conception. Il marque une période de
développement où des solutions design sont
développées et testées. Cette étape va intégrer
la faisabilité technique.
4.	Délivrer  : Phase de diffusion  : la quatrième et
dernière phase consiste en la phase de lancement
sur le marché.
Le double diamant
Le Design Council (UK) a formalisé en 2005 le
processus de design sous la forme d’un double
diamant, illustrant ainsi les aspects convergents et
divergents des différentes phases de développe-
ment. Les quatre phases de la méthode agissent à
titre de cadre de conception général, mais chacune
d’elles doit être adaptée au projet en développe-
ment, tout comme le choix des outils.
Divisé en quatre phases distinctes - Découvrir,
Définir, Développer et Délivrer - le diagramme met
l’accent sur la divergence et la phase de conver-
gence du process design, illustrant les différents
modes de pensée que les designers utilisent.
Cette représentation du process design semble faire
consensus au sein de la communauté du design en
France dans la mesure où elle rend bien compte de
la spécificité de la pensée design.
31DESIGN THINKING : DE QUOI PARLE-T-ON ?
introduite par Donald A. Norman dans son ouvrage
The Design of Everyday Things (intitulé originelle-
ment The Psychology of Everyday Things), publié en
1988 aux Etats-Unis. Avec cette approche, le design
tend à partir des attentes, des besoins (formulés ou
non) et des capacités des utilisateurs pour concevoir
un produit ou un service.
Depuis les années 1990, cette approche suscite un
regain d’intérêt. Selon la chercheuse Brigitte Borja
de Mozota15
, la montée en puissance d’un design
« orienté utilisateur » est à replacer dans un contexte :
›	d’une économie de la personne qui supplante
l’économie industrielle,
›	d’une demande de personnalisation de l’offre par
les consommateurs,
›	de la valorisation des services au client et de
l’expérience client,
›	de l’imaginaire et du nouveau pouvoir du
design dans les projets d’innovation, du
recours aux utilisateurs dans des processus de
co-conception.	
3.3 L’HUMAIN AU CŒUR
DE LA DÉMARCHE
En plaçant l’humain au cœur de la démarche
d’innovation, le design thinking puise son ancrage
dans le design centré sur l’humain. Nous l’avons vu,
cette approche n’est pas nouvelle. Il semble intéres-
sant ici de présenter quelques points de repères
historiques sur cette notion.
Dès les années 1950 apparaît une pensée autour d’un
design centré sur l’humain ; on peut citer par exemple
la publication en 1955 de l’ouvrage Designing for
People du designer industriel Henry Dreyfuss.
Dans les années 1980, les méthodologies d’obser-
vation de l’humain se sont développées dans diffé-
rents champs du design, avec notamment le recours
à l’anthropologie et à l’observation des usages. C’est
à cette période que la terminologie « design centré
sur l’utilisateur » (User-centered Design, UCD) a été
THE DOUBLE DIAMOND
DESIGN PROCESS MODEL
DISCOVER DEFINE DEVELOP DELIVER
15
	Brigitte Borja de Mozota, « Le modèle du design orienté utilisateur », La Revue du Design, 2009
32 DESIGN THINKING : DE QUOI PARLE-T-ON ?
Dans la réédition de 2013 de son ouvrage The Design
of Everyday Things, Donald A. Norman préfère
utiliser une terminologie plus large, l’expérience
d’un produit ou service dépassant le seul critère
d’utilisabilité : il parle alors de « design centré sur
l’humain » (Human-centered Design, HCD).
Le tableau ci-dessous, que nous reprenons dans son
intégralité, distingue l’approche du « design centré
sur l’humain » des aires de spécialisation où elle
s’applique16
.
Composante fondamentale du design actuel, le
design centré sur l’humain s’est développé ces
dernières années dans ses différents champs
d’application : design industriel, design de service,
design d’information, UX design, design d’interface…
pour devenir, comme le souligne Stefanie Di Russo,
non plus seulement une méthode, mais un état
d’esprit (mindset).
Au delà des dimensions purement ergonomiques et
fonctionnelles, le design « centré sur l’utilisateur »
concentre son attention sur le design de
l’expérience globale d’un utilisateur pour pouvoir
inspirer, contraindre, adapter et définir l’espace de
conception de manière innovante et originale. Sylvie
Daumal, dans son ouvrage Design d’expérience
utilisateur, en propose la définition suivante : « une
méthode de design dans laquelle les besoins, les
attentes et les contraintes des utilisateurs sont pris
en compte à chaque étape. »
Afin de mieux comprendre l’utilisateur, le design
centré sur l’utilisateur va avoir recours à des
techniques d’observation et d’analyse des usages
empruntées aux sciences humaines et sociales.
Ces techniques au départ intuitives (un designer
sait voir, regarder et observer), regroupées
sous les terminologies «  recherche utilisateur  »
(user research) et «  recherche design  » (design
research), vont avoir tendance à se sophistiquer en
s’enrichissant des savoirs des sciences humaines,
en particulier de la sociologie et de l’anthropologie.
L’acquisition d’une compétence dans le domaine de
l’observation de l’humain constitue donc un élément
fondamental de cette approche.
TABLE 1.1 The Role of HCD and Design Specializations
Experience design
These are areas of focusIndustrial design
Interaction design
Human-centered design
The process that ensures that the designs match the
needs and the capabilites of the people for whom they
are intended
16
	Don Norman, The Design of Everyday Things, Revised & Expanded Edition, Basic Books, 2013, p.9
33DESIGN THINKING : DE QUOI PARLE-T-ON ?
Une mise en perspective historique nous a permis
de clarifier la notion de design thinking et l’objet
d’étude de ce mémoire. Nous avons ensuite présenté
la vision de Tim Brown et les grands principes design
sur lesquels repose l’approche.
Nous proposons maintenant d’analyser plus spéci-
fiquement le contexte français. Afin de mieux
comprendre l’engouement autour du design thinking,
il nous semble en effet important de présenter les
principaux éléments de contexte ayant favorisé
sa diffusion dans l’Hexagone. //
Qu’est-ce que le design d’expérience
utilisateur (ou UX design) ?
Puisant ses racines dans le design centré
utilisateur et le design thinking, et s’enrichissant
de méthodes d’autres disciplines, comme le design
de service, le design d’expérience utilisateur croise
des compétences issues des domaines du design,
de l’informatique et des sciences humaines de
façon à former des spécialistes de la conception
d’interaction centrée sur l’homme. Les études -
intitulées « recherche utilisateurs » ou « études
utilisateurs » - font partie intégrante du processus
de conception. Cette approche du design travaille
sur la qualité de l’expérience vécue lors de l’usage
d’un site web, d’une application mobile ou tablette,
d’une borne interactive ou de tout autre dispo-
sitif numérique. Elle peut aussi s’appliquer plus
généralement à tous les dispositifs dont on fait
un usage : serveur vocal, système de signalisation,
appareil électroménager, guichet d’information…
Il s’agit une approche pragmatique, tournée vers
le résultat. Elle est aussi résolument tournée vers
l’innovation.
Source : Sylvie Daumal, Design d’expérience utilisateur, Eyrolles, 2012
?
DESIGN THINKING :
NOUVEL
ELDORADO
DE
L’INNOVA-
TION ?
DEUXIÈME
PARTIE
35DESIGN THINKING : NOUVEL ELDORADO DE L’INNOVATION ?
Ces projets, conçus autour de la technicité, sont
par définition non centrés-utilisateurs. Beaucoup
d’industriels se préoccupent en premier lieu
d’apporterdessolutionsàdesproblèmestechniques,
même si ces derniers ne sont pas pertinents. Le
consommateur-utilisateur n’est alors pris en compte
qu’en bout de chaine de la démarche (lorsqu’il est
pris en compte, ce qui n’est pas toujours le cas).
Avec une approche de l’innovation centrée sur
l’humain, on préfère considérer les problèmes
comme le point de départ d’une découverte
d’opportunités nouvelles. La technologie se place
alors au service des hommes, ceux qui vont utiliser
les produits.	
4.1 LA PRISE DE CONSCIENCE
DE L’IMPORTANCE
D’ADOPTER UNE VISION
ÉLARGIE DE L’INNOVATION
En France, les approches dominantes à la concep-
tion de produits et services s’articulent autour de
la technologie. Poussées par les programmes natio-
naux d’aides à l’innovation depuis des décennies,
les entreprises françaises ont mis l’accent sur la
composante technologique de l’innovation, au détri-
ment d’une approche centrée sur l’humain, avec le
schéma linéaire classique suivant dont on connaît
aujourd’hui les limites :
4. UN CONTEXTE PROPICE
À L’ADOPTION DU DESIGN THINKING
AU SEIN DES ENTREPRISES
FRANÇAISES
Recherche scientifique Recherche technologique Développement Innovation
36 DESIGN THINKING : NOUVEL ELDORADO DE L’INNOVATION ?
L’innovation technologique et non-technologique
peuvent bien entendu être complémentaires. Par
exemple, une bonne innovation technologique peut
ne pas trouver son marché si elle n’est pas rendue
accessible dans son usage.
La reconnaissance de l’innovation non technologique
s’est faite tardivement en France, notamment par
rapport à l’Allemagne (au début des années 2000,
plus de la moitié des entreprises manufacturières
allemandes réalisaient des innovations à caractère
non technologique contre moins d’un quart en
France17
) et aux pays anglo-saxons. Toutefois, des
mesures ont été prises ces dernières années par
les pouvoirs publics et au sein des entreprises pour
remédier à ce retard. A titre d’exemple, Bpifrance a
décidé début 2014 de financer des projets d’inno-
vation non technologiques, et non plus seulement
technologiques. Cette mesure a été perçue comme
un grand pas en avant des pouvoirs publics dans la
prise de conscience de l’importance d’élargir notre
vision de l’innovation.
Poursuivant cette réflexion, Bpifrance, en partena-
riat avec la FING, a présenté un nouveau référentiel
de l’Innovation en janvier 2015 18
. Par ce nouvel outil,
Bpifrance souhaite opérer un changement de regard
17
	Robin Rivaton, « L’innovation non technologique, volet oublié de la politique industrielle », Le Monde, 30/10/2013
18
	Innovation Nouvelle Génération, Bpifrance, janvier 2015
Aujourd’hui, on est passé
d’une logique d’équipement
à une logique de suréquipement.
La question devient :
comment je vais parfaire ?
Et non plus : comment je vais
équiper ?
Stéphane Gauthier
Approche
techno-centrée
Approche
centrée utilisateur
Observer/étudier
les usages
Imaginer
un produit/service
qui prenne en
compte les usages
Innovation qui a plus
de chance d'être
adoptée car adaptée
aux usages
Depuis
une technologie
Imaginer
un produit/service
Espérer qu'il
conviendra aux
consommateurs/
usagers
37DESIGN THINKING : NOUVEL ELDORADO DE L’INNOVATION ?
des grandes entreprises ont aujourd’hui reconnu
l’importance de replacer l’humain au cœur de leurs
démarches d’innovation19 
: «  Toutes les études
actuelles les plus approfondies sur les stratégies
d’innovations des entreprises leaders convergent
sur l’importance primordiale de la compréhension
intime des utilisateurs comme priorité absolue. »
Mais cette prise de conscience est encore selon lui
insuffisamment traduite en actes dans certaines
entreprises : « L’approche human centric est encore
partielle et insuffisante. Certaines entreprises vont
être éliminées du fait de leurs graves lacunes dans
la connaissance des valeurs, rêves, idéaux, désirs,
souhaits, attentes et besoins réels des individus
auxquels elles s’adressent. »
C’est dans ce contexte général de réflexion sur l’ori-
gine de l’innovation et de prise de conscience de
la nécessité de se dégager d’une vision purement
technology push de l’innovation – parce que trop
restrictive – en faveur du développement d’une
vision demand pull qui place en son cœur l’étude et
l’observation de l’humain que le design thinking se
diffuse en France. 	
sur l’innovation en décloisonnant les approches et
les secteurs, prenant ainsi en compte ce qu’elle
intitule « l’innovation nouvelle génération ».
Ce référentiel ne privilégie pas une approche de
l’innovation plutôt qu’une autre. Il rend compte
du fait que les sociétés les plus innovantes privi-
légient au contraire une approche multidimen-
sionnelle de l’innovation, avec 6 différents axes
d’innovation possibles, plus ou moins sollicités
selon les stratégies d’entreprises. L’innova-
tion technologique est présentée comme une
approche de l’innovation possible parmi 5 autres
approches qui privilégient au contraire une vision
non technologique :
1.	 l’innovation de produit, de service, d’usage
2.	 l’innovation de procédé et d’organisation
3.	 l’innovation marketing et commerciale
4.	l’innovation de modèle d’affaires
5.	 l’innovation technologique
6.	 l’innovation sociale
L’innovation non technologique replace l’humain au
centre de la réflexion comme le souligne Stéphane
Gauthier, de l’agence Babel : « On a vécu le XXème
siècle comme le siècle du progrès, et cela nous a
fait accepter le techno-push avec comme déclen-
cheur les nouvelles technologies. Nous étions dans
une logique d’équipement personnel, d’équipe-
ment de la maison… Cela a fait les beaux jours de la
R&D. Le CAC40 s’est développé sur ces principes.
Aujourd’hui, on est passé d’une logique d’équipe-
ment à une logique de suréquipement. La question
devient : comment je vais parfaire ? Et non plus :
comment je vais équiper ? On passe du push au
pull. Le pull implique de mieux comprendre les
besoins intrinsèques des gens. »
Selon Marc Giget, président du Club de Paris des
Directeurs de l’Innovation et de l’Institut Européen
de Stratégies Créatives et d’Innovation, la plupart
19
	Citations extraites de la conférence « Le futur du design thinking » organisée par la d.school, 06/05/2015.
Disponible sur : https://vimeopro.com/user5725972/le-futur-du-design-thinking- 2015/video/135375110
38 DESIGN THINKING : NOUVEL ELDORADO DE L’INNOVATION ?
Pas conséquent, le facteur clé de succès d’une
innovation, plus que l’utilisation d’une techno-
logie récente ou la mise sur le marché d’un
produit nouveau, sera la conception et la promo-
tion de l’expérience qui accompagne l’innovation.
L’exemple parfait de réussite d’entreprise fonction-
nant sur ce modèle est Apple qui n’a eu de cesse
de créer une expérience client extraordinaire en
proposant à ses clients ce que Steve Jobs appelait
the whole widget (le gadget complet).
Les succès d’entreprises « nouvelle génération »
qui placent le design d’expérience au cœur de leur
stratégie sont aussi là pour témoigner de l’impor-
tance stratégique de la qualité de l’expérience
utilisateur : la startup Uber dont la promesse est
de délivrer la meilleure expérience client sur le
marché des taxis, le site Airbnb qui propose des
expériences de séjour à la fois plus authentiques
et plus économiques en proposant de louer des
logements entre particuliers ou encore la société
de covoiturage Blablacar dont l’expérience utili-
sateur est au cœur de la stratégie. Toutes ces
entreprises utilisent de façon naturelle et parfois
même sans le nommer une approche d’innovation
par le design, le design thinking portant en lui la
promesse de concevoir des expériences.
4.2 UNE ÉCONOMIE
DOMINÉE
PAR L’EXPÉRIENCE
Dans un environnement de plus en plus complexe où
les technologies digitales et sociales se banalisent,
notre économie est désormais dominée par
l’expérience (autre buzzword de ces dix dernières
années). Si on schématise, la valeur serait passée
des produits aux services, ces derniers restant
souvent associés à des produits et constituant une
« solution globale » aux utilisateurs.
B. Joseph Pine II, co-auteur avec James H Gilmore
de l’ouvrage The Experience Economy, qui a suscité
beaucoup d’attention lors de sa sortie en 1999, nous
explique comment la notion même de valeur a évolué
ces dernières décennies : « La valeur économique a
commencé avec les ressources (céréales, minéraux).
Les individus ont transformé les ressources en biens,
réduisant les ressources à des marchandises. Puis, les
services sont nés, réduisant les biens à des marchan-
dises à leur tour. Aujourd’hui, vous l’aurez compris, ce
sont les services qui deviennent des marchandises.
Les expériences représentent le nouveau type de
valeur économique, avec les services comme scène
et les biens comme piliers. »
Les expériences représentent
le nouveau type de valeur
économique, avec les services
comme scène et les biens
comme piliers. 
B. Joseph Pine II
39DESIGN THINKING : NOUVEL ELDORADO DE L’INNOVATION ?
›	Les « Rendez-vous du design », grands rassemble-
ments de designers, chefs d’entreprises, designers
intégrés… celui du 15 octobre 2013 présentant les
premiers travaux du Collège des designers avec la
remise du mémoire « Pour une politique nationale
de design » ;
›	La consultation répétée du premier cercle du
design (Design Code) formé par les plus grands
managers du design en France ;
›	L’accès au Crédit Impôt Recherche des entreprises
pour le design.
Dans le mémoire «  Pour une politique nationale
de design » remis le 15 octobre 2013 au Ministre
du redressement productif et à la Ministre de la
culture et de la communication, Alain Cadix, chargé
de la Mission Design, et le Collège des designers
regrettent que la France, qui « détient la plupart
des technologies qui font - ont fait ou feront - les
innovations introduites sur les marchés et/ou dans la
société », n’a pas la culture de l’usage.
Face à ce constat, le design, faisant naturellement
le lien entre la technologie et l’usage, et ajoutant la
part d’imaginaire qui rend les objets désirables, est
clairement présenté comme une nouvelle démarche
d’innovation stratégique pour les entreprises
françaises :
«  Nous voulons contribuer au changement du
paradigme dominant (centrage quasi exclusif sur
la technologie) dans l’appréhension de l’innovation.
Pour cela, nous voulons, par le biais des usages et
des expériences utilisateurs (technology centered
vs users centered innovation), donner au design
(création – conception – maîtrise d’œuvre) une place
centrale dans l’ingénierie des « objets » (systèmes,
produits, services, espaces). »
Le design, un nouveau paradigme de l’innovation ?
Les entreprises françaises sont pour la plupart loin
de remettre en cause la prédominance du techno-
4.3 DANS LE MÊME TEMPS
DES INITIATIVES
POUR REPENSER
LA PLACE DU DESIGN
DANS L’INNOVATION
En avril 2013 paraît, à la demande du Ministère du
redressement productif et du Ministère de l’Ensei-
gnement supérieur et de la recherche, le rapport sur
l’innovation de Jean-Luc Beylat et Pierre Tambourin
intitulé «  L’innovation  : un enjeu majeur pour la
France  » et dont l’objectif est de dynamiser la
croissance des entreprises innovantes. Les auteurs
du rapport recommandent la mise en place d’une
véritable stratégie nationale de l’innovation s’ins-
crivant dans la durée : « Comme l’enseignement, la
justice ou la culture, l’innovation devient désormais
une des très grandes missions de l’Etat. » Les très
rares fois où le terme « design » apparaît, ce dernier
est présenté, tout comme le marketing, comme un
des ressorts à développer pour permettre le succès
commercial des produits et services issus de la
R&D sur le marché. Cet exemple illustre un constat
partagé et déploré par l’ensemble de la profession :
le design reste le plus souvent cantonné à un niveau
opérationnel ; il n’est pas toujours perçu comme un
levier stratégique d’innovation.
Pour autant, les mentalités semblent évoluer dans
le sens d’une meilleure prise en compte de la place
du design dans les stratégies d’innovation. En cela,
cette même année 2013 marque un tournant. Sous
l’impulsion d’Arnaud Montebourg, alors Ministre du
redressement productif et pour qui « le redresse-
ment productif passe par le redressement créatif »,
de nombreuses initiatives sont prises dans ce sens :
›	La création début juin 2013 d’une Mission Design
confiée à l’ancien directeur de l’Ecole Nationale
Supérieure de Création Industrielle (ENSCI), Alain
Cadix ;
40 DESIGN THINKING : NOUVEL ELDORADO DE L’INNOVATION ?
push, mais le simple fait de poser dans l’espace
public la question de la place du design au sein du
processus d’innovation ouvre une nouvelle porte de
champ des possibles et de territoires d’opportunités
aux entreprises. Le design thinking, méthodologie
d’innovation venue de la Silicon Valley avec nombre
de succes stories semble arriver à point nommé,
et ce d’autant plus que les entreprises françaises,
conscientes de leur difficulté à innover, sont à la
recherche de nouveaux modèles. //
41DESIGN THINKING : NOUVEL ELDORADO DE L’INNOVATION ?
d’innovations fortes qui déclasseront les précé-
dentes. Il ne s’agit plus de questionner le client
sur ce qu’il veut mais d’être le premier à lui
proposer ce qu’il pourrait éventuellement vouloir.
2.	L’innovation contemporaine est identitaire.
L’innovation intensive provoque des crises récur-
rentes d’identité des biens et services dans de
nombreux secteurs d’activité. L’identité d’un
objet correspond aux caractéristiques commu-
nément admises par ceux qui l’utilisent, qui le
distribuent, qui l’entretiennent. Ce qu’ils sont n’a
pourtant rien de définitif puisque les identités se
révisent, parfois totalement, notamment sous la
pression de technologies évolutives, de nouvelles
valeurs sociales ou de nouvelles régulations et
de compétiteurs low cost. Dans ce contexte, le
développement des innovations dépend des
capacités des entreprises à imaginer, pour les
objets, services et process qui nous entourent
d’autres propriétés que celles déjà connues.
3.	 Enfin, l’innovation contemporaine a un caractère
collectif et ouvert. On n’innove plus seul ni en task
force mais au sein de larges systèmes collabora-
tifs entre entreprises concurrentes, entre client et
fournisseur (Maniak et Midler, 2008) ou encore
entre client final et entreprise. Le terme d’inno-
vation ouverte s’est d’ailleurs popularisé depuis
quelques années pour souligner ces tendances.
(Chesbrough, 2003). 	
5.1 DE LA NÉCESSITÉ
D’INNOVER
Sur fond de crise structurelle et de recherche de
compétitivité se diffuse au sein des grandes entre-
prises l’idée selon laquelle la prochaine bataille
économique sera celle de l’innovation (perçue
comme le principal levier de compétitivité hors
coût). L’innovation a existé de tout temps, ce
n’est pas une question nouvelle. Pour autant, il est
possible d’identifier des caractéristiques spécifiques
et profondes à l’innovation contemporaine. Gilles
Garel et Elmar Mock, dans leur ouvrage La fabrique
de l’innovation, en présentent trois principales, nous
reprenons ici largement leur propos20
 :
1.	L’innovation contemporaine est intensive
(Le Masson, Weil et Hatchuel, 2006 ; Benghozi,
Charue-Duboc et Midler, 2000). On est passé
d’une innovation localisée, ancrée historiquement
à certains secteurs et relevant de techniques, de
marché ou de traditions spécifiques à une innova-
tion diffuse et généralisée, qui concerne désor-
mais tous les secteurs d’activité. Par ailleurs, de
rare à ponctuelle, l’innovation devient fréquente.
Les entreprises ne peuvent plus comme avant se
reposer sur une innovation de rupture suivie de
phases de progrès plus incrémentaux. Les straté-
gies dites « d’obsolescence » mise en place dans
un marché globalisé requièrent un flux continu
5. UNE DÉMARCHE D’INNOVATION
QUI SEMBLE
PARTICULIÈREMENT ADAPTÉE
AUX DÉFIS DES ENTREPRISES
20
	Gilles Garel, Elmar Mock, La fabrique de l’innovation, Dunod, 2012, pp 3-8
42 DESIGN THINKING : NOUVEL ELDORADO DE L’INNOVATION ?
5.2 DES ENTREPRISES
À LA RECHERCHE
DE NOUVEAUX
MODÈLES D’INNOVATION
La production ou l’adoption d’une innovation au sein
d’une entreprise est le fruit d’un processus. Il n’existe
pas un mais des processus d’innovation. Le modèle
traditionnel de processus d’innovation est linéaire.
Le processus d’innovation apparaît alors comme
séquentiel, comprenant des étapes ordonnées dans
le temps, le début de chaque activité étant lié à
l’achèvement de l’étape précédente. Chaque étape
est réalisée, dans le cas de l’innovation produit
notamment, par des départements différents de
l’entreprise. Chanaron21
(1992) identifie les étapes
traditionnellement évoquées dans ce type de
modèle  : recherche fondamentale -> recherche
appliquée -> développement expérimental ->
prototype -> développement industriel.
Ce modèle, centré sur l’innovation technologique,
est l’un des plus largement répandu dans les entre-
prises françaises.
Une des méthodes de développement de nouveaux
produits les plus prisées aux Etats-Unis, la méthode
Stage-Gate créée par Robert G. Cooper en 1988,
fonctionne sur ce type de modèle séquentiel.
Il s’agit d’une démarche de lancement de produit qui
décompose le processus d’innovation en 5 étapes
majeures ; chaque étape étant précédée par une
« porte » (gate), sorte d’étape de validation assurée
par le management.
Après une première phase dite « de découverte » où
l’équipe projet réfléchit aux opportunités offertes par
le marché et à de nouvelles idées, ces cinq étapes sont :
1.	 l’évaluation de la portée de l’idée et la faisabilité,
2.	la construction du business case (définition et
justification du produit, et pré-planning),
Innover encore et toujours plus, oui, mais comment ?
Combien d’entreprises ont réellement adapté
leurs modes de fonctionnement aux enjeux de
l’innovation contemporaine  ? L’innovation, c’est
l’émergence de l’aléa, du fortuit, et donc de l’incerti-
tude. Dans la réalité, la structuration des entreprises
ne présente que rarement un cadre organisa-
tionnel favorisant l’émergence de l’innovation. Les
difficultés les plus souvent invoquées sont la struc-
turation par grands services intervenant selon une
procédure séquentielle - ce qui favorise l’organisa-
tion des métiers en silos -, la défense des pouvoirs
en place, le manque de communication ou encore
le management par objectifs qui sanctionne toute
prise de risque. Parce que l’injonction d’innover se
fait de plus en plus pressante dans les entreprises
se pose de façon accrue la question du comment
mieux innover.
21
	J.-J Chanaron, «Technology, Strategy and Management», in Creativity and Innovation Management, vol.1, n°3, pages 142-150, septembre 1992
43
22
	Robert G. Cooper, Winning at New Products : Accelerating the Process from Idea to Launch, Third Edition, Basic Books, 2001
DESIGN THINKING : NOUVEL ELDORADO DE L’INNOVATION ?
contexte comme le plus facile à mettre en place,
alors même qu’un consensus est établi sur le fait qu’il
est loin d’être optimum. Par ailleurs, la plupart des
méthodes d’innovation produites par les ingénieurs
et consultants en management concernent une
seule partie du problème à résoudre. Elles sont
souvent peu collaboratives, peu transversales et
peu aptes à accompagner l’entreprise durant tout le
projet d’innovation, de sa conception à son déploie-
ment industriel et commercial.
Dès lors, et comme le souligne Stéphane Gauthier :
« Les entreprises se rendent compte qu’elles ont
de nouveaux modèles d’innovation à trouver.
La question qu’elles se posent en ce moment c’est :
comment faire plus vite et plus pertinent ? ». 	
3.	 le développement et la conception du produit, et
l’élaboration du plan de production et du plan de
lancement,
4.	 les tests et la validation en laboratoire et à l’usine,
et l’étude de marché,
5.	 le lancement, la production et l’assurance qualité.
Remis en cause dans le champ de la recherche,
notamment par des sociologues, et au sein même
des organisations, l’influence du modèle d’innova-
tion linéaire et séquentiel reste encore très forte
dans de nombreuses entreprises françaises. La
grande entreprise, comme nous l’ont appris les
sociologues de l’organisation (Crozier, Friedberg),
pour rendre les process peu coûteux, fiables et
reproductibles tend à rigidifier les procédures. Le
modèle traditionnel d’innovation apparaît dans ce
Schéma : « Stage-gate-process » de Robert G. Cooper22
LES 5 ÉTAPES MAJEURES
DU PROCESSUS D’INNOVATION
44 DESIGN THINKING : NOUVEL ELDORADO DE L’INNOVATION ?
Du point de vue de la gestion
de projets d’innovation :
›	Le design thinking se présente bien souvent comme
une méthodologie opérationnelle de gestion de
projets d’innovation, ce qui permet de rassurer les
entreprises friandes de process et de méthodes.
La démarche apparaît de prime abord comme
relativement simple et structurée. Plus encore le
caractère très pragmatique de la démarche, avec
par exemple la mise en place de proof of concept
(POC), les prototypes qui sont testés sur le terrain,
séduit les entreprises.
›	Le fait de pouvoir scinder le projet en plusieurs
étapes est un avantage certain pour l’ensemble
des parties prenantes en termes de gestion du
risque. A chaque fin d’étape, on valide les résultats,
ce qui facilite les demandes de financements pour
les étapes suivantes.
›	Alors même que l’organisation en silos est perçue
comme la première cause d’échec des projets
d’innovation, le design thinking permet de décloi-
sonner les différents métiers de l’entreprise en
mixant au plus tôt les différentes compétences.
Cette approche évite donc l’échec habituel des
projets d’innovation.
›	Le fait de réunir les différents corps de métiers
autour d’un défi d’innovation où le point de vue
de l’utilisateur / client final est déterminant
permet d’opérer un recentrage sur la voix du
client final et une dépolitisation du projet, cette
dernière étant extérieure à l’entreprise. « Dans
notre entreprise, il y a beaucoup de fonctions
protégées et c’est très facile d’avancer un
projet d’innovation sans se poser la question de
l’avancée concrète pour le client final », confie
une Responsable Marketing d’un des plus grands
groupes industriels français.
5.3 LES PROMESSES
DU DESIGN THINKING
Face au double constat de la nécessité d’innover
d’une part et de l’obligation de repenser en profon-
deur leurs modèles d’innovation d’autre part, les
grandes entreprises françaises marquent une
appétence toute particulière pour les nouvelles
approches de l’innovation qui proposent un renou-
vellement des méthodes de conception de produits
et services. Certaines proviennent de France, comme
le processus de conception C-K (Hatchuel), d’autres
comme le design thinking arrivent tout droit des
Etats-Unis.
Quels sont les principaux bénéfices du design
thinking ? En quoi cette approche se présente-t-elle
comme une réponse adaptée aux entreprises qui
souhaitent innover ? Qu’apporte-t-elle de spécifique
par rapport aux autres approches de l’innovation ?
Le principal apport du design thinking par rapport
aux processus d’innovation traditionnels est d’élargir
le champ de l’innovation. Le design thinking, nous
l’avons vu, porte en lui la promesse de concevoir des
expériences, ces dernières représentant la nouvelle
valeur économique (Joseph Pine II & James H.
Gilmore). « Quand l’ingénieur travaille sur l’objet, le
designer travaille sur la relation », souligne Stéphane
Gauthier. On passe alors d’une réflexion centrée sur
l’objet, et ses fonctions associées, à une réflexion
centrée sur l’expérience, avec la prise en compte
de l’écosystème au sein duquel l’objet évolue. Cet
élargissement de la réflexion et du champ d’inves-
tigation, directement issu de la pensée design,
constitue à la fois l’élément perturbateur et le
facteur différenciant de la démarche par rapport aux
approches traditionnelles de l’innovation.
D’autres points forts plus spécifiques de la démarche
peuvent être identifiés (liste non exhaustive) :
45DESIGN THINKING : NOUVEL ELDORADO DE L’INNOVATION ?
concurrentiel sur les concurrents sur des marchés
extrêmement concurrentiels.
A ces atouts non négligeables s’ajoutent dans l’esprit
des clients à la recherche de nouveaux modèles
d’innovation les exemples de réussites d’entreprises
issues de la Silicon Valley. Rappelons-nous que le
design thinking a pris son essor aux Etats-Unis au
moment de l’extraordinaire succès d’entreprises
comme Apple ou Google. Il n’en faut pas plus
pour intéresser les professionnels de l’innovation
et surtout les mondes de la formation (business
schools) et du conseil, toujours à la recherche de
nouveaux concepts et méthodologies. //
›	Le design thinking semble particulièrement adapté
aux entreprises multinationales par l’adaptabilité de
son process aux logiques culturelles et identitaires
nationales. Comme l’a souligné Marc Giget lors d’une
conférence portant sur le futur du design thinking23
,
chaque pays peut interpréter la démarche avec un
nombre plus ou moins important de phases selon sa
culture de l’innovation (avec par exemple un accent
plus ou moins important mis sur la phase d’obser-
vation ou de conception).
›	Le design thinking propose un modèle de manage-
ment de projet, transdisciplinaire et collaboratif,
particulièrement adapté à la globalisation multipo-
laire et aux révolutions sociotechniques diffusées
en réseau.
Du point de vue de l’innovation
elle-même :
›	Rapidité : le design thinking promet un gain de
temps par rapport aux méthodes d’innovation
traditionnelles en plaçant les phases de proto-
typage tout au long de la démarche, et non pas
seulement à la fin. « En prenant le temps de réaliser
des prototypes de nos idées, nous évitons des
erreurs coûteuses, notamment celle de tomber
dans la complexité excessive, de démarrer préco-
cement et de poursuivre trop longtemps une idée
qui n’en vaut pas la peine. », explique Tim Brown.
›	Pertinence : il s’agit là d’un autre grand bénéfice
du design thinking selon ses adeptes. Parce que
les idées d’innovations sont ancrées dans la réalité
du marché (phase d’observation) et testées tout
au long du processus (prototypage), l’approche
promet de gagner en pertinence et donc de baisser
le niveau de risque.
›	Avance stratégique de développement : enfin le
design thinking permet d’obtenir un avantage
23
	Conférence internationale, « Le futur du design thinking », organisée par la d.school, 06/05/2015
46 DESIGN THINKING : NOUVEL ELDORADO DE L’INNOVATION ?
2012 par Centrale Lyon et l’EM Lyon, et qui repose
sur une approche pédagogique nourrie par le
design thinking, se renforce. La Paris-Est d.school,
lancée en 2012, déménage fin 2013 dans le nouveau
bâtiment Coriolis de l’Ecole des Ponts ParisTech.
D’autres formations continuent de se créer, avec
par exemple l’ouverture en mars 2014 à Toulon
d’un « Innovation lab » (i-Lab) dédié au sujet par
Kedge Design School et l’Isen, ou encore le lance-
ment fin mai d’un MOOC « Devenir entrepreneur de
l’innovation par le design thinking » par l’EM et
Centrale Lyon.
6.1 LA MULTIPLICATION
DES FORMATIONS
EN DESIGN THINKING
Au début des années 2000, les toutes premières
formations en design thinking voient le jour en
France. En 2004, Centrale Paris et l’ESSEC lance le
Programme CPi (Création d’un produit innovant)
dont l’ambition est d’accompagner étudiants et
entreprises vers une culture de l’innovation direc-
tement inspirée du design thinking. Ce binôme est
renforcé en 2007-2008 avec l’arrivée de l’école
de design industriel Strate Collège. L’idée de ce
programme est née à Stanford, à la fin des années
90, où Jean-Claude Charlet, ancien élève de l’ESSEC
et entrepreneur, aujourd’hui directeur du Programme
CPi, y prépare un MBA. Il constate sur le campus
que les étudiants de la School of Engineering, de
la School of Design et de la School of Management
travaillent ensemble sur des projets d’innovation. Il
décide alors de répliquer ce modèle en France.
Mais c’est véritablement à partir de 2010 que le
design thinking se diffuse à grands pas dans les
écoles de commerce et d’ingénieurs. Le programme
I.D.E.A, un double diplôme d’entrepreneuriat créé en
6. QUAND LE DESIGN THINKING
PART À LA CONQUÊTE
DE L’HEXAGONE
47DESIGN THINKING : NOUVEL ELDORADO DE L’INNOVATION ?
cadre de leurs formations initiales. « Les designers
n’ont pas attendu le design thinking pour se mettre
à penser  », entend-on avec un certain agace-
ment dans les couloirs des écoles. Ce qui apparaît
comme un «  hold-up  » des business schools et
écoles d’ingénieurs sur le design provoque auprès
de la profession des designers une crispation
générale et une position défensive dont elle a du
mal à s’extraire, comme nous le verrons plus loin
dans ce mémoire.	
Les écoles de design quant à elles sont plus
circonspectes, voire ouvertement critiques. A
l’exception de Strate qui rejoint le programme CPi,
les grandes écoles nationales de design comme
l’Ecole Nationale Supérieure de Création Indus-
trielle (ENSCI), l’Ecole Nationale Supérieure des
Arts décoratifs (ENSAD), l’Ecole Boulle ou l’Ecole
de design Nantes-Atlantique font le choix de ne
pas intégrer de formations spécifiquement dédiées
au design thinking en leur sein. Plusieurs raisons à
cela, la principale étant que les écoles de design
considèrent déjà former au design thinking dans le
Les d.schools, véritables ambassadeurs du design thinking dans le monde
La diffusion de l’état d’esprit design dans l’enseignement supérieur doit beaucoup à Hasso Plattner, le
cofondateur allemand des logiciels Sap. Pour diffuser l’état d’esprit design, l’entrepreneur milliardaire a
ainsi déboursé à titre personnel 35 millions de dollars en 2005 pour créer la première d-school à Stanford,
le Hasso Plattner Institute of Design at Stanford. Le mythe fondateur de la D-School a même été rédigé
dans la plus pure tradition des success stories californiennes, sur une nappe en papier de restaurant :
la D-School doit préparer les étudiants à être les penseurs, mais aussi les acteurs de l’innovation de
rupture. L’état d’esprit design doit inspirer des équipes pluridisciplinaires, favoriser les collaborations
entre étudiants, corps professoral et industries, et s’attaquer à des projets en utilisant le prototypage
pour imaginer de nouvelles solutions. Après la D-School de Stanford, Hasso Plattner crée une d.school à
Potsdam, en Allemagne, en 2007. Une autre a ouvert en Finlande, un pays qui possède déjà une forte culture
design. La Design Factory bénéficie de 7 millions d’euros d’investissement du gouvernement finlandais
pour permettre à des équipes pluridisciplinaires de répondre à des projets donnés par les entreprises. En
2010, l’université technologique d’Helsinki, l’école de commerce et l’école supérieure d’art, d’architecture
et de design ont même fusionné pour donner naissance à Aalto University, du nom d’un fameux designer
finlandais. Sur le modèle de Stanford, la Paris-Est d.school associe cinq écoles autour de la pensée design,
et bénéficie depuis 2012 de 4,1 millions d’euros de financement sur huit ans au titre des Investissement
d’avenir. L’école est partenaire du très sélectif programme « ME310 » (ME comme Mechanical Engineering)
créé en 1969 par Stanford, qui consiste à faire travailler ensemble des étudiants d’établissements et de
disciplines différents sur un brief donné par une entreprise. Aujourd’hui la d.school se donne pour mission
d’être un démonstrateur et de disséminer le design thinking en France.
Source : Etienne Gless, « Quand les écoles passent en mode design », www.letudiant.fr, 03/06/2014
48 TITRE DU CHAPITRE
Ce mouvement touche directement la France. Sur
le modèle de Capgemini, l’un des premiers grands
cabinets de consultants a avoir développé avec
ACE une offre de conseil en innovation qui s’appuie
sur les principes du design thinking, les grands
cabinets de conseil s’ouvrent à la pensée design, le
plus souvent en rachetant des agences spécialisées,
comme l’illustre par exemple le rachat en octobre
2015 de Nealite, agence de design de service, par
PwC France.
Dans le même temps, de l’autre côté du spectre, des
agences de design et innovation se positionnent
sur le conseil en management et en stratégie. En
France, des agences comme In Process, Sismo
Design, Bluenove ont fortement développé ces
dernières années leurs compétences conseil, avec
l’intégration au sein de leurs équipes de profils de
consultants.
6.2 UN SECTEUR DU
CONSEIL EN INNOVATION
EN PLEINE
RESTRUCTURATION
Au niveau international, on assiste sur le marché
du conseil en innovation, en pleine restructura-
tion, à des acquisitions qui suggèrent que le design
devient une compétence nécessaire et centrale. A
titre d’exemple :
›	le cabinet de conseil Deloitte a racheté l’agence
américaine d’innovation Doblin, qui place le design
thinking au cœur de son positionnement.
›	McKinsey s’est en mai 2015 emparé de Lunar, une
des plus anciennes agences de design de la Silicon
Valley.
›	Accenture a acquis en mai 2013 Fjord, dont le
fondateur Olof Schybergson considère le design
thinking comme fondamental pour la réussite
des entreprises24
  : «  S’adresser directement
aux consommateurs est une source de rupture.
Nous sommes maintenant capables de collecter
de nouvelles informations sur les consomma-
teurs et de mieux comprendre leur comporte-
ment. Ceux qui possèdent ces informations et qui
s’engagent résolument dans l’innovation seront les
vainqueurs. »
24
	Jean-Pierre Leac, “Le design thinking se rapproche-t-il du cœur des entreprises ?”, 10/10/2015, www.lescahiersdelinnovation.com
49DESIGN THINKING : NOUVEL ELDORADO DE L’INNOVATION ?
d’un an après, le 11 février 2016, une conférence
organisée par le Cnam intitulée « Design thinking
vs Design doing ? » fait salle comble. Véronique
Hillen, doyenne de la d.school et invitée de la confé-
rence, se félicite du succès de la diffusion du design
thinking.
Le design thinking, tout le monde en parle… mais
qu’en est-il vraiment ? Le design thinking est-il une
approche montante de l’innovation dans les entre-
prises ? Ne disposant pas d’études ni d’éléments
chiffrés, il est difficile d’apporter des éléments
objectifs de la situation. Mais quand on interroge
les experts de l’innovation et du design thinking
sur la réalité de la diffusion de l’approche au sein
des entreprises, la situation semble plus contrastée.
Certaines entreprises se méfient de cette approche
parfois présentée comme le remède miracle qui
va résoudre tous leurs problèmes d’innovation. Le
design thinking ne leur semble pas si révolutionnaire
que certains se plaisent à le dire, et beaucoup de
professionnels de l’innovation y voient un simple
effet de mode. D’autres prédisent même purement
et simplement l’échec de l’approche en France.
Face à l’engouement du secteur de la formation
et du conseil en innovation, la prudence reste ainsi
souvent de mise. Et ce d’autant plus que l’approche
ne s’intègre pas facilement au sein des entreprises
françaises, contrairement à ce qu’une présentation
hâtive de la démarche peut laisser penser.
Après avoir présenté le contexte au sein duquel
le design thinking apparaît puis se développe en
France, il nous semble important de se pencher
maintenant sur la réalité de l’appropriation et de la
diffusion de l’approche. //
6.3 LE DESIGN THINKING,
VÉRITABLE BUZZWORD
DANS LE CHAMP LEXICAL
DE L’INNOVATION
Le terme design thinking est un buzzword au niveau
mondial depuis quelques années déjà quand il se
diffuse à partir de 2010 à grande échelle en France
dans les médias et les réseaux sociaux. Son succès
n’est pas sans lien avec le pouvoir d’attraction des
success stories venant tout droit de la Silicon Valley.
Les articles de presse se multiplient sur le design
thinking comme levier stratégique de l’innovation.
A titre d’exemple, Le Monde consacre en juillet 2013
une pleine page sur le design thinking25
(dont nous
avons emprunté le titre pour cette partie 6). Cet
article, publié un mois après la création de la Mission
Design qui a vu le jour à l’initiative du ministre du
redressement productif Arnaud Montebourg, signe
l’ampleur de la diffusion du design thinking, qui
dépasse alors largement le périmètre des commu-
nautés de l’innovation.
Durant les années 2014 et 2015 le buzz autour du
design thinking culmine en France. Un grand nombre
d’acteurs de l’innovation s’emparent du terme, dès
lors soumis à des interprétations variées, plus ou
moins contestées et contestables, comme nous le
verrons plus loin.
Le 6 mai 2015 une conférence internationale gratuite
portant sur «  Le futur du design thinking  » est
organisée par la Paris-est d.school avec le soutien
de Marc Giget, président du Club de Paris des Direc-
teurs de l’Innovation et de l’Institut Européen de
Stratégies Créatives et d’Innovation. Cette confé-
rence, dont l’un des objectifs est d’apporter les
témoignages des meilleures pratiques de design
thinking de par le monde, attire 650 personnes,
soit 10 fois plus que les premières estimations de
l’équipe organisatrice de la d.school. Un peu moins
25
	Isabelle Rey-Lefebvre, “Le « design thinking » à la conquête de l’Hexagone”, Le Monde, 11/07/2013
LE DESIGN THINKING
MIS À
L’ÉPREUVE
TROISIÈME
PARTIE
51LE DESIGN THINKING MIS À L’ÉPREUVE
simple et compréhensible par tous : « la laideur se
vend mal », et de fait on a longtemps associé le
design à une pratique seulement esthétisante, donc
sulbalterne et à la limite du superflu par rapport au
travail de l’ingénieur. Par ailleurs, dans un pays où
prédomine la culture de l’écrit, le design appartient
au domaine de l’artiste. On est loin de la définition
du design du monde anglo-saxon, où le design est
perçu comme une méthode de conception. « Il y a
eu de grands débats dès l’époque du Bauhaus puis
dans les années 60/70. Pour certains designers, en
Italie et en France notamment, la pensée en design
était liée à la philosophie, à l’humanisme, à l’éthique,
alors que dans les pays anglo-saxons cette pensée
était plus directement liée à la méthodologie, à
l’impact dans l’entreprise, à la performance  »,
explique Antoine Fenoglio, designer et co-fondateur
de l’agence Sismo design.26
Tous les professionnels de l’innovation par le design
se rejoignent sur le fait qu’il est très difficile de
parler de design en France en dehors de design
produit. Les écoles de design ont bien évidemment
un rôle à jouer dans la diffusion d’une définition
élargie du design, mais elles-mêmes sont issues
de cette histoire française du design, et toutes ne
s’en sont pas pleinement libérées. « En France, le
designer n’arrive pas à se libérer d’être un auteur »,
explique le designer Rémy Bourganel. « On enseigne
au designer à être un créateur, un auteur et du coup
son intégration dans l’entreprise pose problème. En
étant auteur, il cultive parfois même un mépris pour
le marketing » souligne-t-il. Tous les designers bien
évidemment n’évoluent pas dans ce sens. Mais ceux
qui s’intègrent le mieux au monde de l’entreprise
7.1 UNE DIFFICILE
APPROPRIATION
DU TERME
DESIGN THINKING
EN FRANCE
Design thinking… mais de quoi parle-t-on au juste ?
En France, c’est la confusion générale autour de la
terminologie. Tout le monde en parle, mais personne
ne semble véritablement à l’aise avec cette notion
directement issue de la culture anglo-saxonne – à
tel point d’ailleurs que personne ne s’est risqué à
la traduire en français. Plusieurs raisons expliquent
la grande difficulté qu’ont les différents acteurs
à s’approprier cette terminologie, les différents
usages qui en sont fait, et la cacophonie générale
qui s’ensuit.
Tout d’abord, en France, l’idée du design comme
nouvelle démarche d’innovation est loin d’être une
évidence. Pour des raisons historiques, le design est
le plus souvent associé à sa dimension purement
décorative et se limite souvent à la question du
style. « Quelle belle chaise design ! », le terme est
encore largement employé comme un adjectif par
le grand public. Il exprime alors principalement le
jugement que l’on porte sur l’acte de création. Cette
vision française du design puise directement ses
racines dans l’histoire française de l’industrie, avec
le passage de l’ère artisanale à l’ère industrielle, et
dans celle des Arts décoratifs. Raymond Loewy,
grand pionnier français du design aux USA, revendi-
quait dans son livre publié en 1953 un message assez
7. LE DESIGN, GRAND OUBLIÉ
DU DESIGN THINKING ?
26
	Extraits de la conférence du Cnam « Design thinking vs design doing ? » du 11/02/2015
INNOVER EN FRANCE AVEC LE DESIGN THINKING ? Mémoire
INNOVER EN FRANCE AVEC LE DESIGN THINKING ? Mémoire
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INNOVER EN FRANCE AVEC LE DESIGN THINKING ? Mémoire

  • 1. INNOVER EN FRANCE AVEC LE DESIGN THINKING ? Mémoire de Mastère spécialisé « Innovation by Design », Présenté et soutenu le 24 mai 2016 Sous la direction de Giuseppe Attoma Pepe Fondateur et directeur général de l’agence Attoma Tiphaine GAMBA
  • 2.
  • 3. INNOVER EN FRANCE AVEC LE DESIGN THINKING ? Mémoire de Mastère spécialisé « Innovation by Design », Présenté et soutenu le 24 mai 2016 Tiphaine GAMBA Sous la direction de Giuseppe Attoma Pepe Fondateur et directeur général de l’agence Attoma
  • 4. 4 LE DESIGN THINKING : NOUVEL ELDORADO DE L’INNOVATION ? Aux Etats-Unis, la pensée design a connu un essor phénoménal avec la crise de 2008-2009. En France c’est un peu plus tard, au début des années 2010, que le design thinking commence à se diffuser, porté par un environnement favorable avec, entre autres, la prise de conscience généralisée de la nécessité de sortir d’une vision technocentrée de l’innova- tion, l’émergence de l’économie de l’expérience et le retour d’une prise de parole publique sur la place du design dans l’innovation. (Chapitre 4) Dans le même temps, au sein des entreprises, l’injonction d’innover se fait de plus en plus forte, avec le besoin corollaire de réinventer de nouveaux modèles d’innovation. Face à ces défis, le design thinking semble proposer de nombreux atouts. (Chapitre 5) C’est dans ce contexte favorable que le design thinking part à la conquête de l’Hexagone, dans un premier temps avec la création de formations de haut niveau, puis sur le marché du conseil en innovation en pleine restructuration. Le terme, relayé par les médias, devient alors un véritable buzzword. (Chapitre 6) LE DESIGN THINKING : DE QUOI PARLE-T-ON ? Avant de présenter le design thinking tel qu’il sera défini dans le cadre de ce mémoire, il nous semble important de comprendre d’où vient cette notion. Cette mise en perspective historique mettra en lumière le fait qu’il n’existe pas une définition incontestée et incontestable du design thinking. (Chapitre 1) Fort de ce constat, nous choisirons de traiter le design thinking en tant que méthodologie d’inno- vation développée tout au long des années 90 dans la prestigieuse université de Stanford. Plus spéci- fiquement, nous présenterons la pensée de Tim Brown, CEO de l’agence d’innovation IDEO et apôtre depuis une quinzaine d’années du design thinking. Il s’agit de l’approche la plus diffusée en France ces dernières années. (Chapitre 2) Enfin, nous dépasserons cette vision pour mettre en lumière les grands principes sur lesquels le design thinking repose : la reformulation de la question de départ, le process de design et le fait de placer l’humain au cœur de la démarche. (Chapitre 3) RÉSUMÉ
  • 5. 5 UN DESIGN THINKING À LA FRANÇAISE ? La place du design dans les entreprises françaises semble évoluer vers une prise de conscience accrue du rôle stratégique qu’il peut être amené à jouer en matière d’innovation. Des entreprises françaises reconnues montrent l’exemple tandis que d’autres entreprises expérimentent de nouvelles structures internes dédiées à l’innovation et où la pensée design joue un rôle majeur. Ce contexte semble favorable à l’émergence et au développement d’un design thinking à la française. (Chapitre 10) Des cas récents de réussite d’implémentation de démarches d’innovation de type design thinking semblent aller dans ce sens. Si ces dernières sont d’abord perçues par les entreprises concernées comme des approches de l’innovation pragma- tiques et efficaces, la pensée design et le goût du faire se sont déployés avec succès au sein de ces organisations. (Chapitre 11) Comme toute démarche d’innovation, le design thinking implique des conditions spécifiques de mise en œuvre. Un certain nombre de facteurs clés de succès peuvent être identifiés. (Chapitre 12) // LE DESIGN THINKING MIS À L’ÉPREUVE En France, le design thinking est une notion problé- matique. Si tout le monde l’utilise, personne ne semble véritablement à l’aise avec cette notion. Pour des raisons propres à la France, le débat se cristallise autour de la place du designer. Deux visions s’affrontent  : le design thinking avec ou sans designers. La mise en pratique de la démarche diffère fortement selon la vision que l’on porte, et les objectifs que l’on cherche à atteindre. (Chapitre 7) Par ailleurs, le design thinking en tant que démarche complète d’innovation - de l’identification du problème à résoudre à la mise sur le marché - peine à s’implanter dans les entreprises françaises où les métiers du marketing et de l’ingénierie occupent bien souvent une place prépondérante dans la conduite de projets d’innovation. D’autres éléments, plus méthodologiques, expliquent le faible taux de succès de l’implémentation du design thinking eu égard à son succès médiatique. (Chapitre 8) Par ailleurs, l’approche de Tim Brown, loin d’être parfaite, suscite critiques et interrogations dans l’Hexagone comme dans les pays anglo-saxons. (Chapitre 9)
  • 6. 6 Remerciements Introduction Précisions méthodologiques Remarques préalables PREMIÈRE PARTIE LE DESIGN THINKING : DE QUOI PARLE-T-ON ? 1. Une notion historiquement ancrée et polysémique 1.1. Genèse du design thinking 1.2. Les grandes approches du design thinking 2. Le design thinking : une approche récente et anglo-saxonne de l’innovation 2.1 Une notion portée par l’université de Stanford et IDEO 2.2. Le design thinking selon Tim Brown 3. Les grands principes du design thinking 3.1. Identifier le vrai problème à résoudre 3.2. Le design comme processus 3.3. L’humain au cœur de la démarche 11 13 14 15 16 17 17 20 22 22 24 28 28 29 31 SOMMAIRE
  • 7. 7 DEUXIÈME PARTIE LE DESIGN THINKING : NOUVEL ELDORADO DE L’INNOVATION ? 4. Un contexte propice à l’adoption du design thinking au sein des entreprises françaises 4.1. La prise de conscience de l’importance d’adopter une vision élargie de l’innovation 4.2. Une économie dominée par l’expérience 4.3. Dans le même temps des initiatives pour repenser la place du design dans l’innovation 5. Une démarche d’innovation qui semble particulièrement adaptée aux défis des entreprises 5.1. De la nécessité d’innover 5.2. Des entreprises à la recherche de nouveaux modèles d’innovation 5.3. Les promesses du design thinking 6. Quand le design thinking part à la conquête de l’Hexagone 6.1. La multiplication des formations en design thinking 6.2. Un secteur du conseil en innovation en pleine restructuration 6.3. Le design thinking, véritable buzzword dans le champ lexical de l’innovation 34 35 35 38 39 41 41 42 44 46 46 48 49
  • 8. 8 TROISIÈME PARTIE LE DESIGN THINKING MIS À L’ÉPREUVE 7. Le design grand oublié du design thinking ? 7.1. Une difficile appropriation du terme design thinking en France 7.2. Le design thinking : avec ou sans designers ? 7.3. Quand le design thinking prend le pas sur le design doing 8. Au sein des entreprises française : le grand choc culturel 8.1. Le faible niveau de culture générale concernant le design au sein des entreprises 8.2. La toute puissance de l’ingénieur et du marketeur 8.3. Le défi de la pluridisciplinarité 8.4. Convaincre avec du qualitatif 8.5. La difficile mise en place du Test&Learn 8.6. Une démarche qui nécessite un terreau culturel adapté 9. Les limites de l’approche de Tim Brown 9.1. Trop de processus tue le processus 9.2. Le manque d’opérationnalité de la démarche 9.3. La viabilité, un élément de critique majeur 9.4. Une sous-évaluation des facteurs humains 50 51 51 53 55 57 57 58 59 60 61 62 63 63 64 66 67
  • 9. 9 QUATRIÈME PARTIE UN DESIGN THINKING À LA FRANÇAISE ? 10.Innover par le design… avec le design thinking ? 10.1. Des entreprises françaises reconnues dans le domaine de l’innovation par le design 10.2. De grandes entreprises françaises qui expérimentent de nouvelles structures internes d’innovation 10.3. Le design thinking : une opportunité pour accélérer la diffusion de l’innovation par le design au sein des entreprises ? 11. Des entreprises françaises qui s’ouvrent avec succès au design thinking 11.1. Cas n°1 : Lapeyre avec la d.school 11.2. Cas n°2 : Mustela avec l’agence Babel 11.3. Cas n°3 : AccorHotels avec Sismo Design 12. Les conditions de succès de la démarche 12.1. Principaux enseignements issus des cas présentés 12.2. Les facteurs clés de succès à l’intégration des démarches design thinking au sein des entreprises françaises Conclusion Quel futur pour le design thinking en France ? Bibliographie Annexe 68 69 69 71 72 75 75 77 79 82 82 83 88 90 97
  • 10.
  • 11. 11 Je remercie tout d’abord Giuseppe Attoma Pepe, mon directeur de mémoire, pour m’avoir accueillie en stage au sein de son agence et pour avoir accepté de m’accompagner dans la réalisation de ce mémoire. Nos différents échanges aux étapes clés de la réflexion, sa disponibilité malgré un agenda bien rempli, son regard critique m’ont permis de prendre du recul sur mon travail et d’ouvrir de nouvelles pistes de recherche. Mon deuxième remerciement est pour Stéphane Gauthier, directeur conseil Innovation au sein de l’agence Babel, pour son aide précieuse, sa disponibilité, ses conseils et ses mises en contact. Merci aussi à l’ensemble des personnes interviewées pour leur temps et la qualité de nos échanges. Leur intérêt réel pour la problématique du mémoire m’a souvent permis de dépasser le cadre de simples inter- views et d’ouvrir ou de ré-orienter le mémoire. Merci aussi à toute l’équipe pédagogique du mastère IBD, en particulier à Sylvie Lavaud et Katie Cotellon. Merci aux autres élèves du mastère pour leurs encouragements. Un grand merci à Christine pour la mise en page de ce mémoire. Enfin merci à mon entourage, et tout particulièrement à Bertrand pour son soutien lors de la rédaction de ce mémoire. // REMERCIEMENTS UN GRAND MERCI À TOUS
  • 12.
  • 13. 13 L’objet de ce mémoire est d’aborder la question de l’innovation en France par le design thinking. Lorsque j’ai intégré l’ENSCI fin 2013, dans le cadre du Mastère spécialisé « Innovation by design », le design thinking était l’un des buzzwords les plus puissants à l’œuvre dans le monde de l’innovation. Il était difficile d’être confronté au terme sans prendre position sur le sujet. Pour certains, l’approche repré- sentait une menace à l’égard des professionnels du design, pour d’autres au contraire une formidable opportunité de mieux faire connaître la place du design en innovation. Où en sommes-nous aujourd’hui ? L’engouement pour le design thinking auquel nous assistons en France depuis 2010 reste important. L’hypothèse selon laquelle le design thinking n’était qu’un effet de mode, voué à disparaître aussi vite que le terme s’est diffusé, semble définitivement écartée. Le design thinking a suffisamment infiltré les esprits et les organisations pour se positionner comme une nouvelle approche de l’innovation à la fois très structurée et centrée sur l’humain. L’approche est intéressante dans la mesure où elle combine empathie pour apprendre à devenir plus sensible au contexte d’un problème, créativité pour proposer des solutions originales, et prototy- page pour recueillir rapidement des retours sur les innovations produites. Une de ses particularités est d’être une démarche centrée utilisateur couplée à la valeur de la preuve du prototypage. INTRODUCTION Aujourd’hui, l’heure des premiers bilans est arrivée. Lorsque l’on se renseigne plus en avant on constate que cette démarche est rarement mise en pratique dans son intégralité au sein des entreprises voire reste largement méconnue. Pourquoi n’est-elle pas plus couramment mise en œuvre alors même qu’elle semble présenter de nombreux atouts  ? Cette approche de l’innovation est-elle réellement en train de se diffuser au sein des organisations ou va-t-elle au contraire marquer le pas au profit d’approches plus performantes et adaptées à la réalité des entre- prises ? Là encore les avis sont tranchés. Le design thinking ne laisse pas indifférent Pour certains, le design thinking est un échec. Cela n’a pas marché. Le design thinking doit être enterré et remplacé par des approches plus adaptées et efficaces. Pour d’autres au contraire, on en est au balbutiement de la diffusion de la démarche au sein des entreprises, le design thinking a un bel avenir devant lui. Ce mémoire tente de dépasser les effets de mode et de communication en apportant un regard critique sur la question de l’innovation par le design thinking au sein des entreprises françaises. Reposant à la fois sur un travail d’enquête et de recherche documentaire, il présente les principaux atouts de la démarche, ses limites comme ses évolutions possibles. Au delà des passions et des controverses, son ambition est de poser les jalons d’une réflexion sur la place et l’évolution du design thinking en France en tant que nouvelle approche de l’innovation. //
  • 14. 14 La réflexion menée dans le cadre de ce mémoire s’appuie au niveau méthodologique sur trois sources complémentaires : recherches bibliographiques et analyse documentaire, interviews de profession- nels du marketing et/ou de l’innovation, experts du design thinking et designers exerçant leur activité en entreprise ou en agences de design, et retours d’expérience issus de ma pratique professionnelle. Mon stage de mastère au sein de l’agence de design Attoma m’a offert un terrain d’observation privi- légié auprès de designers conduisant des projets d’innovation dans les domaines de l’UX design et du design de service. La question de l’adoption du design thinking en France a été plus spécifiquement étudiée à travers la conduite d’une quinzaine d’entretiens semi direc- tifs et approfondis auprès de professionnels ayant selon les cas de figure un lien plus ou moins direct et conscient avec le design thinking. Tous évoluent de par leurs pratiques sur le champ de l’innovation. Du fait de mon terrain d’observation et des personnes que j’ai pu interviewer l’ensemble des cas étudiés sont issus du monde de l’entreprise. Les enseignements de ce mémoire portent donc en priorité sur ce périmètre. Enfin, et du fait de la question de départ choisie « Innover en France avec le design thinking ? », le périmètre géographique est français. L’analyse intègre cependant des réflexions issues du monde anglosaxon, pour venir apporter un éclairage complémentaire. // PRÉCISIONS MÉTHODOLOGIQUES
  • 15. 15 • Pour des raisons de commodité de lecture, le terme design thinking ne sera pas mis entre guille- mets ni en italique tout au long de ce mémoire. • Toutes les citations utilisées sans autre préci- sion que le nom de leur auteur sont directement issues des entretiens réalisés dans le cadre de ce mémoire. • Lorsque sont utilisées des citations autres que celles provenant des entretiens, la source est alors mentionnée. // REMARQUES PRÉALABLES
  • 17. 17DESIGN THINKING : DE QUOI PARLE-T-ON ? l’aideront à mieux appréhender le design thinking et à se rendre compte de son caractère polysémique ce qui, comme nous le verrons plus loin, n’est pas sans conséquence en termes d’accueil, de compré- hension et de diffusion de cette notion en France. Pour ce faire, nous nous appuierons sur les travaux de la designer et chercheuse Lucy Kimbell6 et ceux de l’étudiante en thèse Stefanie Di Russo7 de l’univer- sité de Swinburne en Australie dont les recherches portent sur les origines du design thinking. 1.1. GENÈSE DU DESIGN THINKING Il existe plusieurs façons de raconter l’histoire du design thinking. Selon les sources (écrits sur le sujet, conférences, interviews réalisées dans le cadre de ce mémoire…), les récits mettent l’accent sur l’une ou l’autre des facettes de cette notion beaucoup plus complexe qu’elle ne paraît de prime abord. Ainsi, pour parler du design thinking, certains évoquent le temps long et remontent jusqu’à la naissance du design, au milieu du XIXème siècle, et font le lien avec l’histoire et l’évolution du design industriel. Plus nombreux sont ceux qui, de façon plus prosaïque, rattachent l’histoire du design thinking à l’origine du terme lui-même. Sont alors les plus souvent cités : un article de Bruce Archer1 (1965), la vision du design de Herbert A. Simon2 comme « a way of thinking » (1969), un ouvrage de Peter Row³ (1987), les travaux de Rolfe Faste4 dans les années 80 et 90 à Stanford, ceux de son collègue David M. Kelley, l’un des fondateurs de l’agence IDEO en 1991, qui introduisit la notion à des fins business, ou encore l’article célèbre « Wicked Problems in Design Thinking » de Richard Buchanan5 (1992). Il serait donc illusoire de présenter en quelques pages une histoire du design thinking. Il s’agit d’un sujet de recherche en tant que tel, qui est très certaine- ment en train de s’écrire dans les universités anglo- saxonnes. C’est pourquoi nous préférons proposer au lecteur quelques points de repères, forcément incomplets et discutables, mais qui nous l’espérons 1 L. Bruce Archer. “Systematic Method for Designers”. The Design Council, Londres, 1965 2 Herbert A. Simon, The science of the artificial, MIT Press, 1969 3 Peter G. Rowe, Design Thinking, MIT Press, 1987 4 Rolf Faste, et al., “Integrating Creativity into the Mechanical Engineering Curriculum”, Cary A. Fisher, Ed., ASME Resource Guide to Innovation in Engineering Design, American Society of Mechanical Engineers, New York, 1993 5 Richard Buchanan, « Wicked problems in design thinking », Design Issues, 1992 6 Lucy Kimbell, “Rethinking Design Thinking: Part 1”, Design and Culture, 3 :3, 285-306, 2011 7 Stefanie Di Russo, “A brief History of Design Thinking : How Design Thinking Came to Be”, https://ithinkidesign.wordpress.com/2012/06/08 1. UNE NOTION HISTORIQUEMENT ANCRÉE ET POLYSÉMIQUE
  • 18. 18 DESIGN THINKING : DE QUOI PARLE-T-ON ? DonaldNorman RichardBuchman WilliamRouse Ezio Manzini Lucy Kimbell Bryan Lawson Nigel Cross Donald Schon Herbert Simon Horst Rittel 1980s 1990s 2000s 2010s 1960s participatory design user centered design meta-design service design hum an-centered design M IN D SE T D E S IG N SCIENCE C O G N I T I V E R E F LECTIONS PROCES S M E T H O D S NOW design thinking Outer circle (gray) signifies the shifts in design therory along the timeline. The inner circle (orange) signifies the methodological shifts in design practice over time. Source : Infographie réalisée par Stefanie Di Russo doctorante à l’université de Swinburne. INFOGRAPHIE RÉALISÉE PAR STEFANIE DI RUSSO, DOCTORANTE À L’UNIVERSITÉ DE SWINBURNE
  • 19. 19DESIGN THINKING : DE QUOI PARLE-T-ON ? enquiry when applied to its own kinds of problems », le texte de Nigel Cross10 «  Designerly ways of knowing », paru en 1982 dans Design Studies ou encore l’ouvrage de Donald Schön11 paru en 1983, The Reflective Practitioner. En étudiant la façon de penser des designers et comment ils résolvent des problèmes, ces auteurs posèrent les bases théoriques du design en tant que discipline de recherche. On comprend dès lors pourquoi pour de nombreux designers la notion de design thinking est directement liée à ces auteurs. Mais l’un des premiers à faire émerger en tant que tel la notion de design thinking fut Peter Row dans son ouvrage Design Thinking dont l’édition originale date de 1987. Dans cet ouvrage Peter Row décrit sous le nom de design thinking les méthodes et les approches utilisées par les architectes et les urbanistes pour donner forme à des idées de bâtiments et d’espaces publics. Par ailleurs, et toujours dans les années 80, le théori- cien du design Donald Norman introduisit la notion de «  design centré utilisateur  » (user-centered design). Un tournant significatif qu’il apporta fut de placer l’utilisateur au centre du process de dévelop- pement. Avec cette approche plus humaniste du design l’utilisateur participe tout au long du processus de développement d’un produit ou d’un système. Les tests utilisateurs, par exemple, ne portent plus seulement sur l’utilisabilité mais aussi sur les besoins et intérêts des utilisateurs. Nous reviendrons plus loin sur cette notion de « design centré utilisateur » dans la mesure où il s’agit de l’un des fondements du design thinking. Les années 60 : le design comme science Durant les années 60 des chercheurs ont tenté de comprendre et de décrire le design, élaborant par là même un nouveau champ de recherche : la recherche en design (design research). Le chercheur en sciences cognitives et en intelligence artificielle Herbert A. Simon dans son ouvrage Les sciences de l’artificiel publié en 1969 établit les fondations d’une science du design. Contrairement à l’architecte Christopher Alexander8 pour qui le design signifie avant tout donner une forme, une organisation et un ordre aux objets physiques (« the ultimate object of design is form »), Herbert Simon décrit le design comme un champ de connaissances qui s’applique à une profession tout comme l’ingénierie, le manage- ment ou la médecine. Pour ce dernier le travail des designers est d’abord un travail abstrait, le design étant décrit comme une activité qui permet de résoudre des problèmes (problem solving) bien souvent épineux (wicked problem) - une termino- logie empruntée à un autre grand théoricien du design Horst Rittel9 - à l’aide d’un certain nombre d’outils et méthodes de raisonnement. Parce qu’il est l’un des premiers, à la fin des années soixante, à avoir théorisé le design comme façon de pensée (« a way of thinking »), les racines du design thinking sont associées à son nom et à son époque. Les années 80 : réflexions cognitives A la fin des années 70 et au début des années 80 paraissent un certain nombre de textes fondateurs sur le design comme discipline de recherche parmi lesquels celui de Bruce Archer en 1979, affirmant « a designerly way of thinking and communicating that is both different from scientific and scholarly ways of thinking and communicating, and as powerful as scientific and scholarly methods of 8 Christopher Alexander, Notes on the Synthesis of Form, Cambridge, MA : Harvard University Press, 1971 9 H. Rittel, M. Webber, « Dilemmas in a General Theory of Planning. » Policy Sciences, 4 : 155-69 10 Nigel Cross, « Designerly ways of knowing », in Design Studies, vol 3, no 4 October 1982 11 Donald Schön, The Reflective Practitioner, New York : Basic Books, 1983
  • 20. 20 DESIGN THINKING : DE QUOI PARLE-T-ON ? 1.2 LES GRANDES APPROCHES DU DESIGN THINKING La designer et chercheuse Lucy Kimbell13 a résumé de manière synthétique les résultats de ses travaux portant sur l’histoire du design thinking dans un tableau (Tableau 1). Elle identifie trois grandes approches du design thinking : 1. Le design thinking en tant que style cognitif. Le terme design thinking est utilisé pour caractériser ce que les designers savent au niveau individuel, la façon dont ils pensent et résolvent un problème de design. 2. Le design thinking en tant que théorie générale du design. En plus de décrire les pratiques des designers et leur façon de raisonner, le terme est aussi employé en tant que théorie du design, dans la lignée des travaux de Richard Buchanan. Le terme design thinking est alors employé en tant que théorie générale du design. 3. Le design thinking en tant que ressource organisationnelle. Plus récemment, le terme design thinking a été mobilisé avec succès dans les champs du business ou de l’innovation sociale par des professeurs de management, des consultants en innovation par le design et des universitaires. Les années 90 : le process et les méthodes de design En 1991 William B. Rouse publia son ouvrage Design for Success: A Human-Centered Approach to Designing Successful Products and Systems. Dans les années 90 le chercheur en design Richard Buchanan12 tenta de définir le champ du design. Dans son célèbre article «  Wicked Problems in Design Thinking » (1992) le chercheur présente le design thinking comme un concept qui peut s’appli- quer à presque tout, que ce soit un objet tangible ou un système intangible. Selon Richard Buchanan, le design est un art particulièrement bien placé pour répondre aux besoins d’une culture technologique au sein de laquelle se multiplient les conceptions de nouveaux objets et où les problèmes humains sont complexes. Selon lui, et dans la lignée des théori- ciens des années 80, le designer apporte une façon unique de regarder un problème et de trouver des solutions. Les années 2000 : le design comme état d’esprit Le développement du concept de design thinking au cours des années 90 a permis de repositionner les designers au centre du projet, non plus comme spécialistes de la forme mais aussi en tant que médiateurs au sein d’équipes pluridisciplinaires. Au cours des années 2000, de nouvelles méthodologies et approches se développent, tels que le design de service (service design) et les approches de design centré sur l’humain (human-centered design – HCD). Selon Stefanie Di Russo, cette dernière approche n’est plus seulement une méthode, mais devient à la fin des années 2000 un véritable état d’esprit (mindset). Cet élargissement de sens réintroduit la pensée design mais cette fois ci comme étant un état d’esprit utilisé comme une méthode pour résoudre des problèmes complexes. 12 Richard Buchanan, « Wicked problems in design thinking », Design Issues, 1992 13 Lucy Kimbell, « Rethinking Design Thinking: Part 1 », Design and Culture, 3 :3, 285-306, 2011
  • 21. 21DESIGN THINKING : DE QUOI PARLE-T-ON ? Avec notamment les travaux de Tim Brown, le terme design thinking devient plus englobant en plaçant l’être humain au centre de l’approche de résolution des problèmes, en contraste notamment avec les approches d’innovation centrées sur les technolo- gies. Lorsque nous parlons de design thinking dans ce mémoire nous nous plaçons très clairement dans le cadre de cette approche dont l’objectif premier est l’innovation. // Design thinking en tant que style cognitif Design thinking en tant que théorie générale du design Design thinking en tant que ressource organisationnelle Textes clés Cross 1982 ; Schön 1983 ; Rowe (1987) 1998 ; Lawson 1997 ; Cross 2006 ; Dorst 2006 Buchanan 1992 Dunne and Martin 2006 ; Bauer and Eagan 2008 ; Brown 2009 ; Martin 2009 Focus Designers individuels, principalement experts Design en tant que discipline Entreprises et leurs organisations en recherche d’innovation Objectif du design Résolution de problème Maîtrise des problèmes épineux Innovation Concepts clés Aptitude au design en tant que forme d’intelligence : réflexion dans l’action, pensée abductive Le design n’a pas de spécificité ou de pratique privilégiée Visualisation, prototypage, empathie, pensée intégrative, pensée abductive Nature des problèmes design Les problèmes design sont mal formulés, le problème et la solution co-évoluent Les problèmes design sont des problèmes épineux Les problèmes organisationnels sont des problèmes design Sites de l’expertise du design et de son activité Disciplines traditionnelles du design Les quatre piliers du design N’importe quel contexte des services médicaux à l’accès à l’eau propre Tableau 1 - Les différentes approches du design thinking selon Lucy Kimbell :
  • 22. 22 DESIGN THINKING : DE QUOI PARLE-T-ON ? travaux sur le design thinking mais ce n’est qu’en 1999 que le terme a commencé à se populariser aux Etats-Unis, à la suite de la diffusion par ABC News d’une émission au sujet des secrets de l’innovation intitulée Deep dive. Celle-ci se déroulait à Palo Alto, dans les locaux d’IDEO et présentait l’état d’esprit et la démarche qu’adoptent les membres de la célèbre agence de design face à un problème. Les années 2000 sont celles de la diffusion du design thinking à grande échelle, d’abord aux Etats- Unis, en partant de l’épicentre de la Silicon Valley, puis en Europe. Pour rendre compte de la popula- risation du design thinking auprès du grand public trois moments clés sont fréquemment cités. Tout d’abord la parution en mai 2004 dans la revue BusinessWeek de l’article - qui fait la Une - «  The power of Design  » de Bruce Nussbaum. Dans cet article qui rend compte du formidable développement d’IDEO (350 collaborateurs en 2004), le design est présenté comme un puissant levier d’innovation. L’accent est mis sur la métho- dologie de l’agence avec la présentation d’un process en 5 phases pour «  designer/concevoir une meilleure expérience de consommation  »  : observation – brainstorming – prototypage rapide – redéfinition – implémentation. Si le terme design thinking n’apparaît pas une seule fois dans l’article, le process design et l’état d’esprit de la démarche sont largement expliqués. Les deux autres moments clés sont, d’une part, la conférence que donna Tim Brown à l’université de Stanford le 2.1 UNE NOTION PORTÉE PAR L’UNIVERSITÉ DE STANFORD ET IDEO Le concept de design thinking s’est développé tout au long des années 90 en plein cœur de la Silicon Valley (Californie) au sein de l’agence de design IDEO (plus de 600 collaborateurs dans une dizaine de bureaux dans le monde) et de l’univer- sité de Stanford. IDEO fut fondée en 1991 à la suite de la fusion de David Kelley Design (DKD) avec trois autres agences de design reconnues dans leur domaine : Matrix Product Design à Palo Alto, créé par le designer britannique Marc Nuttall, ID Two à San Francisco et Moggridge Associates à Londres, fondées toutes deux par Bill Moggridge. David Kelley a suivi le célèbre Stanford Design Program à l’université de Stanford au milieu des années 70 avant de monter son agence DK2, célèbre pour avoir conçu en 1982 la première souris Apple. L’agence de Marc Nuttall gagna plus d’une vingtaine de prix (design awards) entre 1983, date de sa création, et 1991. Bill Moggridge était quant à lui un designer spécialisé dans le design indus- triel et pionnier du design d’interaction. Du fait de cette triple paternité, IDEO est depuis son origine une des agences de design les plus puissantes de la Silicon Valley. David Kelley, qui a dirigé IDEO jusqu’en 2000, et Tim Brown, actuel CEO et Président de l’agence, ont dans les années 90 conduit de nombreux 2. LE DESIGN THINKING : UNE APPROCHE RÉCENTE ET ANGLO-SAXONNE DE L’INNOVATION
  • 23. 23DESIGN THINKING : DE QUOI PARLE-T-ON ? 19 décembre 2007 intitulée « Strategy by Design: How Design Thinking Builds Opportunities  », et d’autre part la publication en septembre 2009 de son ouvrage Change by Design. Entre ces deux dates Tim Brown assiste à la création de masters de design thinking par les écoles de management (alors que David Kelley fonde dès 2005 la d.school à Stanford) et constate l’extraordinaire puissance que confère l’apposition thinking au mot design. En juin 2008, Tim Brown publie un article intitulé « Design thinking » au sein de la Harvard Business Review et lance en août de la même année son blog (Design thinking blog). En multipliant les conférences et les publi- cations, Tim Brown devient avec David Kelley l’un des porte-paroles les plus célèbres du design thinking. Parallèlement ils poursuivent tous deux le développement de cette théorie à l’université de Stanford. En France, le design thinking arrive plus tardive- ment, à partir du milieu des années 2000. Le terme est aujourd’hui le plus souvent directement associé à Tim Brown, ce qui s’explique sans doute par la publication en 2010 de son ouvrage Change by Design en version française. Couverture du BusinessWeek du 17/05/2004 Couverture de l'ouvrage Change by Design, 2010
  • 24. 24 DESIGN THINKING : DE QUOI PARLE-T-ON ? Une approche fondée sur trois dimensions : désirabilité, faisabilité, viabilité Selon Tim Brown, l’un des fondements du design thinking est la recherche d’un équilibre harmo- nieux entre trois critères au moment de la validité d’une idée : › la désirabilité : qu’est-ce qui correspond aux attentes des consommateurs ? › la faisabilité : qu’est-ce qui est fonctionnel et réalisable dans un avenir prévisible ? › la viabilité : qu’est-ce qui s’intègre dans un modèle économique durable ? Le design thinking défend une approche de l’innova- tion par les usages – pour reprendre une terminologie 2.2 LE DESIGN THINKING SELON TIM BROWN La définition proposée par Tim Brown dans son ouvrage Change by Design (2009) est très certai- nement l’une des plus répandues aujourd’hui  : « Le design thinking est une discipline qui utilise la sensibilité, les outils et les méthodes des designers pour permettre à des équipes multi- disciplinaires d’innover en mettant en corres- pondance attentes des utilisateurs, faisabilité et viabilité économique. ». Dans cette définition le design thinking est présenté comme une nouvelle approche de l’innovation dont la principale carac- téristique est de s’appuyer sur la méthodologie des designers et, plus largement, sur la « pensée design ». Les grands principes mis en avant par Tim Brown sont l’interdisciplinarité et la prise en compte conjointe de trois dimensions  : les attentes des consommateurs, la faisabilité et la viabilité économique. DESIRABILITY (human) FEASIBILITY (technical) INNOVATION VIABILITY (business)
  • 25. 25DESIGN THINKING : DE QUOI PARLE-T-ON ? de noter ici que l’agence IDEO emploie des colla- borateurs aux compétences variées : ingénieurs, anthropologues, designers industriels, designers de service, marketeurs, architectes, psycholo- gues… L’approche du design thinking que défend Tim Brown dépasse les compétences stricto sensu des designers. Une approche séquencée Un autre point majeur de la pensée de Tim Brown est le fait que le design thinking constitue une approche séquencée. Un projet – les adeptes du design thinking raisonnent en termes de projet et non plus de problème à résoudre – se construit au travers un certain nombre de phases, avec pour chacune d’entre elle un objectif, des résultats et des schémas cognitifs plutôt que d’autres. Dans son ouvrage, Tim Brown présente trois phases de l’innovation qui se chevauchent entre elles (et qui ne doivent donc pas être vues comme des étapes successives d’une méthodologie linéaire) : « une phase d’ins- piration, dans laquelle on rassemble des informa- tions issues de toutes les sources possibles ; puis celle de la conceptualisation, où ces données sont traduites en idées ; enfin la réalisation, autrement dit la concrétisation des idées les plus porteuses en plans d’actions rigoureusement définis. » française - tout en maintenant dans le même temps des aspects de faisabilité et de viabilité. De ce fait, il s’agit d’une approche complexe qui convoque diffé- rents modes de réflexion. Le critère de désirabilité requiert par exemple de grandes qualités d’obser- vation, de l’empathie et de l’intuition (nous revien- drons plus tard sur ces notions) alors que les critères de faisabilité et de viabilité nécessitent principale- ment des compétences techniques, économiques et financières. De ce caractère global et systémique de l’approche découle naturellement la question du management de projet : qui est à même de manager ce type d’approche ? Et la question sous-jacente : quelle place pour le designer  ? Tim Brown développe dans son ouvrage un point de vue personnel sur la question. Selon lui : « Un designer compétent sait répondre à chacun de ces trois critères, mais un adepte du design thinking sera en outre capable de les conjuguer dans un équilibre harmonieux. » Ainsi, selon Tim Brown, si les designers sont cultu- rellement mieux armés que les autres vis-à-vis de l’intégration de ce mode de pensée, leur formation ne suffit pas à elle seule à faire d’eux de véritables design thinkers. D’autre part, et c’est le pendant du point précédent, le design thinking n’est pas l’apanage des seuls designers. Ce concept peut être intégré par ceux qu’il appelle « les adeptes du design thinking » pourvu qu’ils aient un certain nombre de caractéristiques que nous étudierons plus loin. La désormais célèbre formule  : «  Le design est trop important pour être laissé aux seules mains des designers » peut donc être entendue comme une tentative, certes non dénuée de maladresse à l’égard de ses pairs, de présenter le design thinking comme une approche globale de l’innovation qui dépasse les questions que l’on pose habituel- lement aux designers mais aussi leurs compé- tences métiers traditionnelles. Il est intéressant
  • 26. 26 DESIGN THINKING : DE QUOI PARLE-T-ON ? des brainstormings qui respectent des règles de créativité collective et des principes d’expression (visual thinking par exemple), ainsi que sur une itération de prototypes en contexte réel. L’objectif est de tester des idées avec les intéressés le plus rapidement possible (la simulation est différente selon la nature du projet, la forme classique restant le prototype). 3. La phase d’implémentation a pour but d’intro- duire la solution dans la réalité. Le levier principal utilisé est de projeter les utilisateurs d’une façon la plus réaliste possible dans cette solution imaginée. L’utilisation du storytelling, la mise en valeur des bénéfices utilisateurs, la simulation de l’expérience, la réalisation d’un prototypage final, la simulation des opérations en cas de lancement sont des outils clés du design thinking. Ces trois grandes phases sont reprises par l’ensemble de la littérature sur le sujet, en voici une présenta- tion succincte : 1. La phase d’inspiration a pour objectif essentiel l’observation du contexte réel, et tout particuliè- rement des comportements, pour comprendre ce qui fait sens (grâce à l’identification a minima des problèmes et attentes). La compréhension fine des clients et non-clients permettra d’élaborer des propositions à la fois inattendues et en adéquation avec leurs attentes et besoins latents. Lors de cette phase des outils précis de recherches ethnogra- phiques sont mobilisés aux côtés d’autres sources d’inspiration (benchmarks, études, interviews…). 2. La phase d’idéation consiste à générer des solutions appropriées. Cette phase s’appuie sur Source : Tim Brown, Design Thinking, dans Harvard Business Review, juin 2008 LES 3 PHASES DU DESIGN THINKING SELON TIM BROWN :
  • 27. 27DESIGN THINKING : DE QUOI PARLE-T-ON ? Les caractéristiques du design thinker Le design thinking n’est pas seulement une méthode, c’est un état d’esprit. Les individus, les équipes et les entreprises qui ont assimilé la matrice mentale du design thinking partagent un certain nombre d’attitudes et de caractéristiques communes. Dans son ouvrage, Tim Brown met l’accent sur un certain nombre de caractéristiques du design thinker : › Empathie : la capacité à imaginer le monde en partant de multiples points de vue (celui des collè- gues, clients, utilisateurs…). › Pensée intégrative (integrativethinking) : la capacité de voir l’ensemble des traits saillants  – parfois contradictoires - d’un problème donné et de créer des solutions nouvelles qui les surpassent. Il s’agit là d’un point fondamental pour Tim Brown pour qui : « Le design thinking n’est ni un art, ni une science, ni une religion. En fin de compte, c’est l’aptitude à penser de manière intégrative. » › Optimisme : ils ne se découragent pas face aux contraintes, et pensent qu’au moins une solution potentielle peut être meilleure que les alternatives existantes. › Esprit d’expérimentation : la capacité de poser des questions et explorer des contraintes d’une façon créative qui ouvre de nouvelles directions. › Collaboration : la capacité de travailler en équipe, avec d’autres compétences. L’interdisciplinarité Tim Brown insiste sur l’importance pour la conduite de projets d’innovation de la mise en place d’équipes pluridisciplinaires, suivant le credo  : «  Tous ensemble, nous sommes plus intelligents que n’importe lequel d’entre nous. » Pour consti- tuer ses équipes projets, il privilégie les « individus en forme de T », reprenant l’expression du cabinet de conseil McKinsey, soit des individus possédant des points forts dans deux dimensions, avec sur l’axe vertical une expertise qui permet de contri- buer de manière tangible au résultat. Ces profils mixtes seront capables de collaboration transver- sale, et pourront constituer une équipe véritable- ment interdisciplinaire, et non pas multidisciplinaire (où le risque est que chacun se fasse l’avocat de sa propre spécialité avec des négociations sans fin au sein de l’équipe). Le design thinking tel qu’il a été formalisé par Tim Brown repose sur les enseignements issus de décennies de théories et pratiques du design. C’est pourquoi il nous semble intéressant maintenant de dépasser le cadre méthodologique du design thinking (dans sa version récente) avec la présenta- tion des grands principes de la « pensée design » qui constituent les piliers théoriques de l’approche. //
  • 28. 28 DESIGN THINKING : DE QUOI PARLE-T-ON ? chacun illustrant un rôle clé dans la conduite d’un projet d’innovation par le design. Le rôle de l’Anthro- pologue est selon l’auteur absolument crucial dans la mesure où c’est souvent lui qui conduira à la reformu- lation de la question initiale : « The Anthropologist role is the single biggest source of innovation at IDEO. Like most of our client companies, we have to know what problem to solve. And people filling the Anthropologist role can be extremely good at refra- ming a problem in a new way – informed by their insights from the field – so that the right solution can spark a breakthrough. » A l’issue de cette étape, l’observation clé pourra être requalifiée sous forme de question. S’opère alors un travail de reformulation de la question de départ – cette dernière étant souvent posée par l’entreprise cliente d’un point de vue industriel et non pas du point de vue de l’utilisateur. A titre d’illustration, un premier travail ethnographique (observations sur le terrain) pourra par exemple conduire une entreprise du secteur de l’électro- ménager à passer de la question «  Aidez-nous à trouver une innovation majeure pour le lave vaisselle ou le lave linge » à celle de la gestion du stock du propre et du sale. Ainsi, le design thinking, dans la droite lignée de la pensée design telle qu’elle est enseignée dans les écoles aux designers, commence par un travail de déconstruction de la question de départ, et éventuellement de reformulation d’un point de vue utilisateur. Cette étape constitue la toute première phase du processus de design que nous allons maintenant tenter de décrire. 3.1 IDENTIFIER LE VRAI PROBLÈME À RÉSOUDRE Le design thinking s’appuie depuis son origine sur un certain nombre de principes et de valeurs. Un de ses premiers grands principes, qui est un des fonde- ments mêmes de la pensée design, est de prendre le temps de trouver les bonnes questions à se poser. Contrairement aux ingénieurs et marketeurs, formés à la résolution de problèmes, la première question qui occupe les designers est d’identifier quel est le vrai problème à résoudre, pour ensuite innover dans la solution. Pour y parvenir, le design a développé sa propre méthode de raisonnement, qui s’applique quel que soit l’objet étudié : produit, service ou système, et qui consiste à ouvrir le champ à toutes les solutions possibles pour ensuite sélectionner et affiner, sur un mode itératif, la meilleure solution au problème posé. La principale difficulté tient au fait que cette question n’est pas évidente. Elle est en quelque sorte cachée. Il peut s’agir de presque rien, d’un minuscule détail qui passerait inaperçu pour la plupart d’entre nous. Pour réussir cette épreuve, il est nécessaire d’avoir accumulé de la connaissance. Mais la qualité primor- diale est celle de l’attention curieuse. Il s’agit d’être à l’affût du moindre détail qui peut se révéler être une observation clé. En termes de disciplines acadé- miques, on trouve ces qualités dans les formations en sociologie et en anthropologie. Dans son ouvrage The Ten Faces of Innovation, Tom Kelley14 , un des managers d’IDEO, définit 10 personas, 3. LES GRANDS PRINCIPES DU DESIGN THINKING 14 Tom Kelley, Jonathan Littman, The Ten Faces of Innovation, Currency/Doubleday, 2005
  • 29. 29DESIGN THINKING : DE QUOI PARLE-T-ON ? au processus créatif. Il ne s’agit donc pas d’un processus linéaire et fermé. Nous verrons cependant plus loin dans la réflexion que cette caractéristique pourtant essentielle de l’approche n’est pas toujours suffisamment prise en compte. La d.school de Stanford présente généralement sa démarche en 5 étapes qui se chevauchent au cours du projet : empathize › define › ideate › prototype › test Nous pourrions présenter d’autres exemples car il n’existe pas un processus design thinking de référence, avec un nombre d’étapes défini. Mais peu importe le nombre d’étapes, car c’est le processus (même si le design thinking ne doit pas être réduit à un processus) et plus encore la façon dont il est appliqué qui compte, comme nous le verrons plus loin dans ce mémoire. 3.2 LE DESIGN COMME PROCESSUS Le process du design thinking L’approche design thinking se fonde sur la pensée design, et plus précisément sur le processus de design. Le processus de design peut être modélisé de différentes façons. Généralement, il est composé de trois, quatre ou cinq étapes. Il s’agit toujours de progresser à partir d’observations vers des idées de solutions, puis vers une matérialisation de ces solutions, qui ensuite, évoluent encore pour prendre une forme qui se devra d’être techniquement faisable et viable économiquement pour l’entreprise et sur un marché. Ces étapes ne sont pas linéaires, elles peuvent être itératives. Car l'un des apports principaux du processus de design par rapport aux autres processus d’innova- tion est justement d’enrichir le processus avec les boucles de feedback ou de rétroaction inhérentes Empathize Define Prototype Ideate Test Source : d.school de Stanford 5 STAGES OF THE D.SCHOOL'S DESIGN THINKING PROCESS
  • 30. 30 DESIGN THINKING : DE QUOI PARLE-T-ON ? 1. Découvrir  : Phase de recueil d’informations  : le premier quart du double diamant illustre le début du projet. Cela commence avec une idée initiale  – souvent proposée par l’entreprise cliente - ou une inspiration, souvent à la source d’une phase de découverte pendant laquelle les besoins des utilisateurs sont identifiés dans leur contexte d’usage. La phase de découverte est en quelque sorte une épreuve d’observation. Il s’agit lors de cette phase de trouver la ou les bonne(s) question(s) à se poser. 2. Définir : Phase d’idéation et de choix : le second quart représente la phase de définition. Il s’agit de faire émerger des idées en lien avec l’observa- tion clé, pour aboutir idéalement à une idée clé partagée par l’ensemble des parties prenantes du projet d’innovation. Cette idée, traduite sous la forme d’une phrase simple ou la description d’un concept, va permettre de faire émerger une piste de solutions possibles et d’explorer l’espace de conception. Il n’y a pas de disci- plines scientifiques qui développeraient spéci- fiquement la faculté d’idéation mais il existe des outils, comme le brainstorming, permet- tant de faciliter l’émergence des idées. Lors de cette deuxième phase, des études peuvent être conduites en appui. 3. Développer : Phase de réalisation : la troisième phase du double diamant va consister à passer du niveau des concepts et des idées à celui de la conception. Il marque une période de développement où des solutions design sont développées et testées. Cette étape va intégrer la faisabilité technique. 4. Délivrer  : Phase de diffusion  : la quatrième et dernière phase consiste en la phase de lancement sur le marché. Le double diamant Le Design Council (UK) a formalisé en 2005 le processus de design sous la forme d’un double diamant, illustrant ainsi les aspects convergents et divergents des différentes phases de développe- ment. Les quatre phases de la méthode agissent à titre de cadre de conception général, mais chacune d’elles doit être adaptée au projet en développe- ment, tout comme le choix des outils. Divisé en quatre phases distinctes - Découvrir, Définir, Développer et Délivrer - le diagramme met l’accent sur la divergence et la phase de conver- gence du process design, illustrant les différents modes de pensée que les designers utilisent. Cette représentation du process design semble faire consensus au sein de la communauté du design en France dans la mesure où elle rend bien compte de la spécificité de la pensée design.
  • 31. 31DESIGN THINKING : DE QUOI PARLE-T-ON ? introduite par Donald A. Norman dans son ouvrage The Design of Everyday Things (intitulé originelle- ment The Psychology of Everyday Things), publié en 1988 aux Etats-Unis. Avec cette approche, le design tend à partir des attentes, des besoins (formulés ou non) et des capacités des utilisateurs pour concevoir un produit ou un service. Depuis les années 1990, cette approche suscite un regain d’intérêt. Selon la chercheuse Brigitte Borja de Mozota15 , la montée en puissance d’un design « orienté utilisateur » est à replacer dans un contexte : › d’une économie de la personne qui supplante l’économie industrielle, › d’une demande de personnalisation de l’offre par les consommateurs, › de la valorisation des services au client et de l’expérience client, › de l’imaginaire et du nouveau pouvoir du design dans les projets d’innovation, du recours aux utilisateurs dans des processus de co-conception. 3.3 L’HUMAIN AU CŒUR DE LA DÉMARCHE En plaçant l’humain au cœur de la démarche d’innovation, le design thinking puise son ancrage dans le design centré sur l’humain. Nous l’avons vu, cette approche n’est pas nouvelle. Il semble intéres- sant ici de présenter quelques points de repères historiques sur cette notion. Dès les années 1950 apparaît une pensée autour d’un design centré sur l’humain ; on peut citer par exemple la publication en 1955 de l’ouvrage Designing for People du designer industriel Henry Dreyfuss. Dans les années 1980, les méthodologies d’obser- vation de l’humain se sont développées dans diffé- rents champs du design, avec notamment le recours à l’anthropologie et à l’observation des usages. C’est à cette période que la terminologie « design centré sur l’utilisateur » (User-centered Design, UCD) a été THE DOUBLE DIAMOND DESIGN PROCESS MODEL DISCOVER DEFINE DEVELOP DELIVER 15 Brigitte Borja de Mozota, « Le modèle du design orienté utilisateur », La Revue du Design, 2009
  • 32. 32 DESIGN THINKING : DE QUOI PARLE-T-ON ? Dans la réédition de 2013 de son ouvrage The Design of Everyday Things, Donald A. Norman préfère utiliser une terminologie plus large, l’expérience d’un produit ou service dépassant le seul critère d’utilisabilité : il parle alors de « design centré sur l’humain » (Human-centered Design, HCD). Le tableau ci-dessous, que nous reprenons dans son intégralité, distingue l’approche du « design centré sur l’humain » des aires de spécialisation où elle s’applique16 . Composante fondamentale du design actuel, le design centré sur l’humain s’est développé ces dernières années dans ses différents champs d’application : design industriel, design de service, design d’information, UX design, design d’interface… pour devenir, comme le souligne Stefanie Di Russo, non plus seulement une méthode, mais un état d’esprit (mindset). Au delà des dimensions purement ergonomiques et fonctionnelles, le design « centré sur l’utilisateur » concentre son attention sur le design de l’expérience globale d’un utilisateur pour pouvoir inspirer, contraindre, adapter et définir l’espace de conception de manière innovante et originale. Sylvie Daumal, dans son ouvrage Design d’expérience utilisateur, en propose la définition suivante : « une méthode de design dans laquelle les besoins, les attentes et les contraintes des utilisateurs sont pris en compte à chaque étape. » Afin de mieux comprendre l’utilisateur, le design centré sur l’utilisateur va avoir recours à des techniques d’observation et d’analyse des usages empruntées aux sciences humaines et sociales. Ces techniques au départ intuitives (un designer sait voir, regarder et observer), regroupées sous les terminologies «  recherche utilisateur  » (user research) et «  recherche design  » (design research), vont avoir tendance à se sophistiquer en s’enrichissant des savoirs des sciences humaines, en particulier de la sociologie et de l’anthropologie. L’acquisition d’une compétence dans le domaine de l’observation de l’humain constitue donc un élément fondamental de cette approche. TABLE 1.1 The Role of HCD and Design Specializations Experience design These are areas of focusIndustrial design Interaction design Human-centered design The process that ensures that the designs match the needs and the capabilites of the people for whom they are intended 16 Don Norman, The Design of Everyday Things, Revised & Expanded Edition, Basic Books, 2013, p.9
  • 33. 33DESIGN THINKING : DE QUOI PARLE-T-ON ? Une mise en perspective historique nous a permis de clarifier la notion de design thinking et l’objet d’étude de ce mémoire. Nous avons ensuite présenté la vision de Tim Brown et les grands principes design sur lesquels repose l’approche. Nous proposons maintenant d’analyser plus spéci- fiquement le contexte français. Afin de mieux comprendre l’engouement autour du design thinking, il nous semble en effet important de présenter les principaux éléments de contexte ayant favorisé sa diffusion dans l’Hexagone. // Qu’est-ce que le design d’expérience utilisateur (ou UX design) ? Puisant ses racines dans le design centré utilisateur et le design thinking, et s’enrichissant de méthodes d’autres disciplines, comme le design de service, le design d’expérience utilisateur croise des compétences issues des domaines du design, de l’informatique et des sciences humaines de façon à former des spécialistes de la conception d’interaction centrée sur l’homme. Les études - intitulées « recherche utilisateurs » ou « études utilisateurs » - font partie intégrante du processus de conception. Cette approche du design travaille sur la qualité de l’expérience vécue lors de l’usage d’un site web, d’une application mobile ou tablette, d’une borne interactive ou de tout autre dispo- sitif numérique. Elle peut aussi s’appliquer plus généralement à tous les dispositifs dont on fait un usage : serveur vocal, système de signalisation, appareil électroménager, guichet d’information… Il s’agit une approche pragmatique, tournée vers le résultat. Elle est aussi résolument tournée vers l’innovation. Source : Sylvie Daumal, Design d’expérience utilisateur, Eyrolles, 2012 ?
  • 35. 35DESIGN THINKING : NOUVEL ELDORADO DE L’INNOVATION ? Ces projets, conçus autour de la technicité, sont par définition non centrés-utilisateurs. Beaucoup d’industriels se préoccupent en premier lieu d’apporterdessolutionsàdesproblèmestechniques, même si ces derniers ne sont pas pertinents. Le consommateur-utilisateur n’est alors pris en compte qu’en bout de chaine de la démarche (lorsqu’il est pris en compte, ce qui n’est pas toujours le cas). Avec une approche de l’innovation centrée sur l’humain, on préfère considérer les problèmes comme le point de départ d’une découverte d’opportunités nouvelles. La technologie se place alors au service des hommes, ceux qui vont utiliser les produits. 4.1 LA PRISE DE CONSCIENCE DE L’IMPORTANCE D’ADOPTER UNE VISION ÉLARGIE DE L’INNOVATION En France, les approches dominantes à la concep- tion de produits et services s’articulent autour de la technologie. Poussées par les programmes natio- naux d’aides à l’innovation depuis des décennies, les entreprises françaises ont mis l’accent sur la composante technologique de l’innovation, au détri- ment d’une approche centrée sur l’humain, avec le schéma linéaire classique suivant dont on connaît aujourd’hui les limites : 4. UN CONTEXTE PROPICE À L’ADOPTION DU DESIGN THINKING AU SEIN DES ENTREPRISES FRANÇAISES Recherche scientifique Recherche technologique Développement Innovation
  • 36. 36 DESIGN THINKING : NOUVEL ELDORADO DE L’INNOVATION ? L’innovation technologique et non-technologique peuvent bien entendu être complémentaires. Par exemple, une bonne innovation technologique peut ne pas trouver son marché si elle n’est pas rendue accessible dans son usage. La reconnaissance de l’innovation non technologique s’est faite tardivement en France, notamment par rapport à l’Allemagne (au début des années 2000, plus de la moitié des entreprises manufacturières allemandes réalisaient des innovations à caractère non technologique contre moins d’un quart en France17 ) et aux pays anglo-saxons. Toutefois, des mesures ont été prises ces dernières années par les pouvoirs publics et au sein des entreprises pour remédier à ce retard. A titre d’exemple, Bpifrance a décidé début 2014 de financer des projets d’inno- vation non technologiques, et non plus seulement technologiques. Cette mesure a été perçue comme un grand pas en avant des pouvoirs publics dans la prise de conscience de l’importance d’élargir notre vision de l’innovation. Poursuivant cette réflexion, Bpifrance, en partena- riat avec la FING, a présenté un nouveau référentiel de l’Innovation en janvier 2015 18 . Par ce nouvel outil, Bpifrance souhaite opérer un changement de regard 17 Robin Rivaton, « L’innovation non technologique, volet oublié de la politique industrielle », Le Monde, 30/10/2013 18 Innovation Nouvelle Génération, Bpifrance, janvier 2015 Aujourd’hui, on est passé d’une logique d’équipement à une logique de suréquipement. La question devient : comment je vais parfaire ? Et non plus : comment je vais équiper ? Stéphane Gauthier Approche techno-centrée Approche centrée utilisateur Observer/étudier les usages Imaginer un produit/service qui prenne en compte les usages Innovation qui a plus de chance d'être adoptée car adaptée aux usages Depuis une technologie Imaginer un produit/service Espérer qu'il conviendra aux consommateurs/ usagers
  • 37. 37DESIGN THINKING : NOUVEL ELDORADO DE L’INNOVATION ? des grandes entreprises ont aujourd’hui reconnu l’importance de replacer l’humain au cœur de leurs démarches d’innovation19  : «  Toutes les études actuelles les plus approfondies sur les stratégies d’innovations des entreprises leaders convergent sur l’importance primordiale de la compréhension intime des utilisateurs comme priorité absolue. » Mais cette prise de conscience est encore selon lui insuffisamment traduite en actes dans certaines entreprises : « L’approche human centric est encore partielle et insuffisante. Certaines entreprises vont être éliminées du fait de leurs graves lacunes dans la connaissance des valeurs, rêves, idéaux, désirs, souhaits, attentes et besoins réels des individus auxquels elles s’adressent. » C’est dans ce contexte général de réflexion sur l’ori- gine de l’innovation et de prise de conscience de la nécessité de se dégager d’une vision purement technology push de l’innovation – parce que trop restrictive – en faveur du développement d’une vision demand pull qui place en son cœur l’étude et l’observation de l’humain que le design thinking se diffuse en France. sur l’innovation en décloisonnant les approches et les secteurs, prenant ainsi en compte ce qu’elle intitule « l’innovation nouvelle génération ». Ce référentiel ne privilégie pas une approche de l’innovation plutôt qu’une autre. Il rend compte du fait que les sociétés les plus innovantes privi- légient au contraire une approche multidimen- sionnelle de l’innovation, avec 6 différents axes d’innovation possibles, plus ou moins sollicités selon les stratégies d’entreprises. L’innova- tion technologique est présentée comme une approche de l’innovation possible parmi 5 autres approches qui privilégient au contraire une vision non technologique : 1. l’innovation de produit, de service, d’usage 2. l’innovation de procédé et d’organisation 3. l’innovation marketing et commerciale 4. l’innovation de modèle d’affaires 5. l’innovation technologique 6. l’innovation sociale L’innovation non technologique replace l’humain au centre de la réflexion comme le souligne Stéphane Gauthier, de l’agence Babel : « On a vécu le XXème siècle comme le siècle du progrès, et cela nous a fait accepter le techno-push avec comme déclen- cheur les nouvelles technologies. Nous étions dans une logique d’équipement personnel, d’équipe- ment de la maison… Cela a fait les beaux jours de la R&D. Le CAC40 s’est développé sur ces principes. Aujourd’hui, on est passé d’une logique d’équipe- ment à une logique de suréquipement. La question devient : comment je vais parfaire ? Et non plus : comment je vais équiper ? On passe du push au pull. Le pull implique de mieux comprendre les besoins intrinsèques des gens. » Selon Marc Giget, président du Club de Paris des Directeurs de l’Innovation et de l’Institut Européen de Stratégies Créatives et d’Innovation, la plupart 19 Citations extraites de la conférence « Le futur du design thinking » organisée par la d.school, 06/05/2015. Disponible sur : https://vimeopro.com/user5725972/le-futur-du-design-thinking- 2015/video/135375110
  • 38. 38 DESIGN THINKING : NOUVEL ELDORADO DE L’INNOVATION ? Pas conséquent, le facteur clé de succès d’une innovation, plus que l’utilisation d’une techno- logie récente ou la mise sur le marché d’un produit nouveau, sera la conception et la promo- tion de l’expérience qui accompagne l’innovation. L’exemple parfait de réussite d’entreprise fonction- nant sur ce modèle est Apple qui n’a eu de cesse de créer une expérience client extraordinaire en proposant à ses clients ce que Steve Jobs appelait the whole widget (le gadget complet). Les succès d’entreprises « nouvelle génération » qui placent le design d’expérience au cœur de leur stratégie sont aussi là pour témoigner de l’impor- tance stratégique de la qualité de l’expérience utilisateur : la startup Uber dont la promesse est de délivrer la meilleure expérience client sur le marché des taxis, le site Airbnb qui propose des expériences de séjour à la fois plus authentiques et plus économiques en proposant de louer des logements entre particuliers ou encore la société de covoiturage Blablacar dont l’expérience utili- sateur est au cœur de la stratégie. Toutes ces entreprises utilisent de façon naturelle et parfois même sans le nommer une approche d’innovation par le design, le design thinking portant en lui la promesse de concevoir des expériences. 4.2 UNE ÉCONOMIE DOMINÉE PAR L’EXPÉRIENCE Dans un environnement de plus en plus complexe où les technologies digitales et sociales se banalisent, notre économie est désormais dominée par l’expérience (autre buzzword de ces dix dernières années). Si on schématise, la valeur serait passée des produits aux services, ces derniers restant souvent associés à des produits et constituant une « solution globale » aux utilisateurs. B. Joseph Pine II, co-auteur avec James H Gilmore de l’ouvrage The Experience Economy, qui a suscité beaucoup d’attention lors de sa sortie en 1999, nous explique comment la notion même de valeur a évolué ces dernières décennies : « La valeur économique a commencé avec les ressources (céréales, minéraux). Les individus ont transformé les ressources en biens, réduisant les ressources à des marchandises. Puis, les services sont nés, réduisant les biens à des marchan- dises à leur tour. Aujourd’hui, vous l’aurez compris, ce sont les services qui deviennent des marchandises. Les expériences représentent le nouveau type de valeur économique, avec les services comme scène et les biens comme piliers. » Les expériences représentent le nouveau type de valeur économique, avec les services comme scène et les biens comme piliers.  B. Joseph Pine II
  • 39. 39DESIGN THINKING : NOUVEL ELDORADO DE L’INNOVATION ? › Les « Rendez-vous du design », grands rassemble- ments de designers, chefs d’entreprises, designers intégrés… celui du 15 octobre 2013 présentant les premiers travaux du Collège des designers avec la remise du mémoire « Pour une politique nationale de design » ; › La consultation répétée du premier cercle du design (Design Code) formé par les plus grands managers du design en France ; › L’accès au Crédit Impôt Recherche des entreprises pour le design. Dans le mémoire «  Pour une politique nationale de design » remis le 15 octobre 2013 au Ministre du redressement productif et à la Ministre de la culture et de la communication, Alain Cadix, chargé de la Mission Design, et le Collège des designers regrettent que la France, qui « détient la plupart des technologies qui font - ont fait ou feront - les innovations introduites sur les marchés et/ou dans la société », n’a pas la culture de l’usage. Face à ce constat, le design, faisant naturellement le lien entre la technologie et l’usage, et ajoutant la part d’imaginaire qui rend les objets désirables, est clairement présenté comme une nouvelle démarche d’innovation stratégique pour les entreprises françaises : «  Nous voulons contribuer au changement du paradigme dominant (centrage quasi exclusif sur la technologie) dans l’appréhension de l’innovation. Pour cela, nous voulons, par le biais des usages et des expériences utilisateurs (technology centered vs users centered innovation), donner au design (création – conception – maîtrise d’œuvre) une place centrale dans l’ingénierie des « objets » (systèmes, produits, services, espaces). » Le design, un nouveau paradigme de l’innovation ? Les entreprises françaises sont pour la plupart loin de remettre en cause la prédominance du techno- 4.3 DANS LE MÊME TEMPS DES INITIATIVES POUR REPENSER LA PLACE DU DESIGN DANS L’INNOVATION En avril 2013 paraît, à la demande du Ministère du redressement productif et du Ministère de l’Ensei- gnement supérieur et de la recherche, le rapport sur l’innovation de Jean-Luc Beylat et Pierre Tambourin intitulé «  L’innovation  : un enjeu majeur pour la France  » et dont l’objectif est de dynamiser la croissance des entreprises innovantes. Les auteurs du rapport recommandent la mise en place d’une véritable stratégie nationale de l’innovation s’ins- crivant dans la durée : « Comme l’enseignement, la justice ou la culture, l’innovation devient désormais une des très grandes missions de l’Etat. » Les très rares fois où le terme « design » apparaît, ce dernier est présenté, tout comme le marketing, comme un des ressorts à développer pour permettre le succès commercial des produits et services issus de la R&D sur le marché. Cet exemple illustre un constat partagé et déploré par l’ensemble de la profession : le design reste le plus souvent cantonné à un niveau opérationnel ; il n’est pas toujours perçu comme un levier stratégique d’innovation. Pour autant, les mentalités semblent évoluer dans le sens d’une meilleure prise en compte de la place du design dans les stratégies d’innovation. En cela, cette même année 2013 marque un tournant. Sous l’impulsion d’Arnaud Montebourg, alors Ministre du redressement productif et pour qui « le redresse- ment productif passe par le redressement créatif », de nombreuses initiatives sont prises dans ce sens : › La création début juin 2013 d’une Mission Design confiée à l’ancien directeur de l’Ecole Nationale Supérieure de Création Industrielle (ENSCI), Alain Cadix ;
  • 40. 40 DESIGN THINKING : NOUVEL ELDORADO DE L’INNOVATION ? push, mais le simple fait de poser dans l’espace public la question de la place du design au sein du processus d’innovation ouvre une nouvelle porte de champ des possibles et de territoires d’opportunités aux entreprises. Le design thinking, méthodologie d’innovation venue de la Silicon Valley avec nombre de succes stories semble arriver à point nommé, et ce d’autant plus que les entreprises françaises, conscientes de leur difficulté à innover, sont à la recherche de nouveaux modèles. //
  • 41. 41DESIGN THINKING : NOUVEL ELDORADO DE L’INNOVATION ? d’innovations fortes qui déclasseront les précé- dentes. Il ne s’agit plus de questionner le client sur ce qu’il veut mais d’être le premier à lui proposer ce qu’il pourrait éventuellement vouloir. 2. L’innovation contemporaine est identitaire. L’innovation intensive provoque des crises récur- rentes d’identité des biens et services dans de nombreux secteurs d’activité. L’identité d’un objet correspond aux caractéristiques commu- nément admises par ceux qui l’utilisent, qui le distribuent, qui l’entretiennent. Ce qu’ils sont n’a pourtant rien de définitif puisque les identités se révisent, parfois totalement, notamment sous la pression de technologies évolutives, de nouvelles valeurs sociales ou de nouvelles régulations et de compétiteurs low cost. Dans ce contexte, le développement des innovations dépend des capacités des entreprises à imaginer, pour les objets, services et process qui nous entourent d’autres propriétés que celles déjà connues. 3. Enfin, l’innovation contemporaine a un caractère collectif et ouvert. On n’innove plus seul ni en task force mais au sein de larges systèmes collabora- tifs entre entreprises concurrentes, entre client et fournisseur (Maniak et Midler, 2008) ou encore entre client final et entreprise. Le terme d’inno- vation ouverte s’est d’ailleurs popularisé depuis quelques années pour souligner ces tendances. (Chesbrough, 2003). 5.1 DE LA NÉCESSITÉ D’INNOVER Sur fond de crise structurelle et de recherche de compétitivité se diffuse au sein des grandes entre- prises l’idée selon laquelle la prochaine bataille économique sera celle de l’innovation (perçue comme le principal levier de compétitivité hors coût). L’innovation a existé de tout temps, ce n’est pas une question nouvelle. Pour autant, il est possible d’identifier des caractéristiques spécifiques et profondes à l’innovation contemporaine. Gilles Garel et Elmar Mock, dans leur ouvrage La fabrique de l’innovation, en présentent trois principales, nous reprenons ici largement leur propos20  : 1. L’innovation contemporaine est intensive (Le Masson, Weil et Hatchuel, 2006 ; Benghozi, Charue-Duboc et Midler, 2000). On est passé d’une innovation localisée, ancrée historiquement à certains secteurs et relevant de techniques, de marché ou de traditions spécifiques à une innova- tion diffuse et généralisée, qui concerne désor- mais tous les secteurs d’activité. Par ailleurs, de rare à ponctuelle, l’innovation devient fréquente. Les entreprises ne peuvent plus comme avant se reposer sur une innovation de rupture suivie de phases de progrès plus incrémentaux. Les straté- gies dites « d’obsolescence » mise en place dans un marché globalisé requièrent un flux continu 5. UNE DÉMARCHE D’INNOVATION QUI SEMBLE PARTICULIÈREMENT ADAPTÉE AUX DÉFIS DES ENTREPRISES 20 Gilles Garel, Elmar Mock, La fabrique de l’innovation, Dunod, 2012, pp 3-8
  • 42. 42 DESIGN THINKING : NOUVEL ELDORADO DE L’INNOVATION ? 5.2 DES ENTREPRISES À LA RECHERCHE DE NOUVEAUX MODÈLES D’INNOVATION La production ou l’adoption d’une innovation au sein d’une entreprise est le fruit d’un processus. Il n’existe pas un mais des processus d’innovation. Le modèle traditionnel de processus d’innovation est linéaire. Le processus d’innovation apparaît alors comme séquentiel, comprenant des étapes ordonnées dans le temps, le début de chaque activité étant lié à l’achèvement de l’étape précédente. Chaque étape est réalisée, dans le cas de l’innovation produit notamment, par des départements différents de l’entreprise. Chanaron21 (1992) identifie les étapes traditionnellement évoquées dans ce type de modèle  : recherche fondamentale -> recherche appliquée -> développement expérimental -> prototype -> développement industriel. Ce modèle, centré sur l’innovation technologique, est l’un des plus largement répandu dans les entre- prises françaises. Une des méthodes de développement de nouveaux produits les plus prisées aux Etats-Unis, la méthode Stage-Gate créée par Robert G. Cooper en 1988, fonctionne sur ce type de modèle séquentiel. Il s’agit d’une démarche de lancement de produit qui décompose le processus d’innovation en 5 étapes majeures ; chaque étape étant précédée par une « porte » (gate), sorte d’étape de validation assurée par le management. Après une première phase dite « de découverte » où l’équipe projet réfléchit aux opportunités offertes par le marché et à de nouvelles idées, ces cinq étapes sont : 1. l’évaluation de la portée de l’idée et la faisabilité, 2. la construction du business case (définition et justification du produit, et pré-planning), Innover encore et toujours plus, oui, mais comment ? Combien d’entreprises ont réellement adapté leurs modes de fonctionnement aux enjeux de l’innovation contemporaine  ? L’innovation, c’est l’émergence de l’aléa, du fortuit, et donc de l’incerti- tude. Dans la réalité, la structuration des entreprises ne présente que rarement un cadre organisa- tionnel favorisant l’émergence de l’innovation. Les difficultés les plus souvent invoquées sont la struc- turation par grands services intervenant selon une procédure séquentielle - ce qui favorise l’organisa- tion des métiers en silos -, la défense des pouvoirs en place, le manque de communication ou encore le management par objectifs qui sanctionne toute prise de risque. Parce que l’injonction d’innover se fait de plus en plus pressante dans les entreprises se pose de façon accrue la question du comment mieux innover. 21 J.-J Chanaron, «Technology, Strategy and Management», in Creativity and Innovation Management, vol.1, n°3, pages 142-150, septembre 1992
  • 43. 43 22 Robert G. Cooper, Winning at New Products : Accelerating the Process from Idea to Launch, Third Edition, Basic Books, 2001 DESIGN THINKING : NOUVEL ELDORADO DE L’INNOVATION ? contexte comme le plus facile à mettre en place, alors même qu’un consensus est établi sur le fait qu’il est loin d’être optimum. Par ailleurs, la plupart des méthodes d’innovation produites par les ingénieurs et consultants en management concernent une seule partie du problème à résoudre. Elles sont souvent peu collaboratives, peu transversales et peu aptes à accompagner l’entreprise durant tout le projet d’innovation, de sa conception à son déploie- ment industriel et commercial. Dès lors, et comme le souligne Stéphane Gauthier : « Les entreprises se rendent compte qu’elles ont de nouveaux modèles d’innovation à trouver. La question qu’elles se posent en ce moment c’est : comment faire plus vite et plus pertinent ? ». 3. le développement et la conception du produit, et l’élaboration du plan de production et du plan de lancement, 4. les tests et la validation en laboratoire et à l’usine, et l’étude de marché, 5. le lancement, la production et l’assurance qualité. Remis en cause dans le champ de la recherche, notamment par des sociologues, et au sein même des organisations, l’influence du modèle d’innova- tion linéaire et séquentiel reste encore très forte dans de nombreuses entreprises françaises. La grande entreprise, comme nous l’ont appris les sociologues de l’organisation (Crozier, Friedberg), pour rendre les process peu coûteux, fiables et reproductibles tend à rigidifier les procédures. Le modèle traditionnel d’innovation apparaît dans ce Schéma : « Stage-gate-process » de Robert G. Cooper22 LES 5 ÉTAPES MAJEURES DU PROCESSUS D’INNOVATION
  • 44. 44 DESIGN THINKING : NOUVEL ELDORADO DE L’INNOVATION ? Du point de vue de la gestion de projets d’innovation : › Le design thinking se présente bien souvent comme une méthodologie opérationnelle de gestion de projets d’innovation, ce qui permet de rassurer les entreprises friandes de process et de méthodes. La démarche apparaît de prime abord comme relativement simple et structurée. Plus encore le caractère très pragmatique de la démarche, avec par exemple la mise en place de proof of concept (POC), les prototypes qui sont testés sur le terrain, séduit les entreprises. › Le fait de pouvoir scinder le projet en plusieurs étapes est un avantage certain pour l’ensemble des parties prenantes en termes de gestion du risque. A chaque fin d’étape, on valide les résultats, ce qui facilite les demandes de financements pour les étapes suivantes. › Alors même que l’organisation en silos est perçue comme la première cause d’échec des projets d’innovation, le design thinking permet de décloi- sonner les différents métiers de l’entreprise en mixant au plus tôt les différentes compétences. Cette approche évite donc l’échec habituel des projets d’innovation. › Le fait de réunir les différents corps de métiers autour d’un défi d’innovation où le point de vue de l’utilisateur / client final est déterminant permet d’opérer un recentrage sur la voix du client final et une dépolitisation du projet, cette dernière étant extérieure à l’entreprise. « Dans notre entreprise, il y a beaucoup de fonctions protégées et c’est très facile d’avancer un projet d’innovation sans se poser la question de l’avancée concrète pour le client final », confie une Responsable Marketing d’un des plus grands groupes industriels français. 5.3 LES PROMESSES DU DESIGN THINKING Face au double constat de la nécessité d’innover d’une part et de l’obligation de repenser en profon- deur leurs modèles d’innovation d’autre part, les grandes entreprises françaises marquent une appétence toute particulière pour les nouvelles approches de l’innovation qui proposent un renou- vellement des méthodes de conception de produits et services. Certaines proviennent de France, comme le processus de conception C-K (Hatchuel), d’autres comme le design thinking arrivent tout droit des Etats-Unis. Quels sont les principaux bénéfices du design thinking ? En quoi cette approche se présente-t-elle comme une réponse adaptée aux entreprises qui souhaitent innover ? Qu’apporte-t-elle de spécifique par rapport aux autres approches de l’innovation ? Le principal apport du design thinking par rapport aux processus d’innovation traditionnels est d’élargir le champ de l’innovation. Le design thinking, nous l’avons vu, porte en lui la promesse de concevoir des expériences, ces dernières représentant la nouvelle valeur économique (Joseph Pine II & James H. Gilmore). « Quand l’ingénieur travaille sur l’objet, le designer travaille sur la relation », souligne Stéphane Gauthier. On passe alors d’une réflexion centrée sur l’objet, et ses fonctions associées, à une réflexion centrée sur l’expérience, avec la prise en compte de l’écosystème au sein duquel l’objet évolue. Cet élargissement de la réflexion et du champ d’inves- tigation, directement issu de la pensée design, constitue à la fois l’élément perturbateur et le facteur différenciant de la démarche par rapport aux approches traditionnelles de l’innovation. D’autres points forts plus spécifiques de la démarche peuvent être identifiés (liste non exhaustive) :
  • 45. 45DESIGN THINKING : NOUVEL ELDORADO DE L’INNOVATION ? concurrentiel sur les concurrents sur des marchés extrêmement concurrentiels. A ces atouts non négligeables s’ajoutent dans l’esprit des clients à la recherche de nouveaux modèles d’innovation les exemples de réussites d’entreprises issues de la Silicon Valley. Rappelons-nous que le design thinking a pris son essor aux Etats-Unis au moment de l’extraordinaire succès d’entreprises comme Apple ou Google. Il n’en faut pas plus pour intéresser les professionnels de l’innovation et surtout les mondes de la formation (business schools) et du conseil, toujours à la recherche de nouveaux concepts et méthodologies. // › Le design thinking semble particulièrement adapté aux entreprises multinationales par l’adaptabilité de son process aux logiques culturelles et identitaires nationales. Comme l’a souligné Marc Giget lors d’une conférence portant sur le futur du design thinking23 , chaque pays peut interpréter la démarche avec un nombre plus ou moins important de phases selon sa culture de l’innovation (avec par exemple un accent plus ou moins important mis sur la phase d’obser- vation ou de conception). › Le design thinking propose un modèle de manage- ment de projet, transdisciplinaire et collaboratif, particulièrement adapté à la globalisation multipo- laire et aux révolutions sociotechniques diffusées en réseau. Du point de vue de l’innovation elle-même : › Rapidité : le design thinking promet un gain de temps par rapport aux méthodes d’innovation traditionnelles en plaçant les phases de proto- typage tout au long de la démarche, et non pas seulement à la fin. « En prenant le temps de réaliser des prototypes de nos idées, nous évitons des erreurs coûteuses, notamment celle de tomber dans la complexité excessive, de démarrer préco- cement et de poursuivre trop longtemps une idée qui n’en vaut pas la peine. », explique Tim Brown. › Pertinence : il s’agit là d’un autre grand bénéfice du design thinking selon ses adeptes. Parce que les idées d’innovations sont ancrées dans la réalité du marché (phase d’observation) et testées tout au long du processus (prototypage), l’approche promet de gagner en pertinence et donc de baisser le niveau de risque. › Avance stratégique de développement : enfin le design thinking permet d’obtenir un avantage 23 Conférence internationale, « Le futur du design thinking », organisée par la d.school, 06/05/2015
  • 46. 46 DESIGN THINKING : NOUVEL ELDORADO DE L’INNOVATION ? 2012 par Centrale Lyon et l’EM Lyon, et qui repose sur une approche pédagogique nourrie par le design thinking, se renforce. La Paris-Est d.school, lancée en 2012, déménage fin 2013 dans le nouveau bâtiment Coriolis de l’Ecole des Ponts ParisTech. D’autres formations continuent de se créer, avec par exemple l’ouverture en mars 2014 à Toulon d’un « Innovation lab » (i-Lab) dédié au sujet par Kedge Design School et l’Isen, ou encore le lance- ment fin mai d’un MOOC « Devenir entrepreneur de l’innovation par le design thinking » par l’EM et Centrale Lyon. 6.1 LA MULTIPLICATION DES FORMATIONS EN DESIGN THINKING Au début des années 2000, les toutes premières formations en design thinking voient le jour en France. En 2004, Centrale Paris et l’ESSEC lance le Programme CPi (Création d’un produit innovant) dont l’ambition est d’accompagner étudiants et entreprises vers une culture de l’innovation direc- tement inspirée du design thinking. Ce binôme est renforcé en 2007-2008 avec l’arrivée de l’école de design industriel Strate Collège. L’idée de ce programme est née à Stanford, à la fin des années 90, où Jean-Claude Charlet, ancien élève de l’ESSEC et entrepreneur, aujourd’hui directeur du Programme CPi, y prépare un MBA. Il constate sur le campus que les étudiants de la School of Engineering, de la School of Design et de la School of Management travaillent ensemble sur des projets d’innovation. Il décide alors de répliquer ce modèle en France. Mais c’est véritablement à partir de 2010 que le design thinking se diffuse à grands pas dans les écoles de commerce et d’ingénieurs. Le programme I.D.E.A, un double diplôme d’entrepreneuriat créé en 6. QUAND LE DESIGN THINKING PART À LA CONQUÊTE DE L’HEXAGONE
  • 47. 47DESIGN THINKING : NOUVEL ELDORADO DE L’INNOVATION ? cadre de leurs formations initiales. « Les designers n’ont pas attendu le design thinking pour se mettre à penser  », entend-on avec un certain agace- ment dans les couloirs des écoles. Ce qui apparaît comme un «  hold-up  » des business schools et écoles d’ingénieurs sur le design provoque auprès de la profession des designers une crispation générale et une position défensive dont elle a du mal à s’extraire, comme nous le verrons plus loin dans ce mémoire. Les écoles de design quant à elles sont plus circonspectes, voire ouvertement critiques. A l’exception de Strate qui rejoint le programme CPi, les grandes écoles nationales de design comme l’Ecole Nationale Supérieure de Création Indus- trielle (ENSCI), l’Ecole Nationale Supérieure des Arts décoratifs (ENSAD), l’Ecole Boulle ou l’Ecole de design Nantes-Atlantique font le choix de ne pas intégrer de formations spécifiquement dédiées au design thinking en leur sein. Plusieurs raisons à cela, la principale étant que les écoles de design considèrent déjà former au design thinking dans le Les d.schools, véritables ambassadeurs du design thinking dans le monde La diffusion de l’état d’esprit design dans l’enseignement supérieur doit beaucoup à Hasso Plattner, le cofondateur allemand des logiciels Sap. Pour diffuser l’état d’esprit design, l’entrepreneur milliardaire a ainsi déboursé à titre personnel 35 millions de dollars en 2005 pour créer la première d-school à Stanford, le Hasso Plattner Institute of Design at Stanford. Le mythe fondateur de la D-School a même été rédigé dans la plus pure tradition des success stories californiennes, sur une nappe en papier de restaurant : la D-School doit préparer les étudiants à être les penseurs, mais aussi les acteurs de l’innovation de rupture. L’état d’esprit design doit inspirer des équipes pluridisciplinaires, favoriser les collaborations entre étudiants, corps professoral et industries, et s’attaquer à des projets en utilisant le prototypage pour imaginer de nouvelles solutions. Après la D-School de Stanford, Hasso Plattner crée une d.school à Potsdam, en Allemagne, en 2007. Une autre a ouvert en Finlande, un pays qui possède déjà une forte culture design. La Design Factory bénéficie de 7 millions d’euros d’investissement du gouvernement finlandais pour permettre à des équipes pluridisciplinaires de répondre à des projets donnés par les entreprises. En 2010, l’université technologique d’Helsinki, l’école de commerce et l’école supérieure d’art, d’architecture et de design ont même fusionné pour donner naissance à Aalto University, du nom d’un fameux designer finlandais. Sur le modèle de Stanford, la Paris-Est d.school associe cinq écoles autour de la pensée design, et bénéficie depuis 2012 de 4,1 millions d’euros de financement sur huit ans au titre des Investissement d’avenir. L’école est partenaire du très sélectif programme « ME310 » (ME comme Mechanical Engineering) créé en 1969 par Stanford, qui consiste à faire travailler ensemble des étudiants d’établissements et de disciplines différents sur un brief donné par une entreprise. Aujourd’hui la d.school se donne pour mission d’être un démonstrateur et de disséminer le design thinking en France. Source : Etienne Gless, « Quand les écoles passent en mode design », www.letudiant.fr, 03/06/2014
  • 48. 48 TITRE DU CHAPITRE Ce mouvement touche directement la France. Sur le modèle de Capgemini, l’un des premiers grands cabinets de consultants a avoir développé avec ACE une offre de conseil en innovation qui s’appuie sur les principes du design thinking, les grands cabinets de conseil s’ouvrent à la pensée design, le plus souvent en rachetant des agences spécialisées, comme l’illustre par exemple le rachat en octobre 2015 de Nealite, agence de design de service, par PwC France. Dans le même temps, de l’autre côté du spectre, des agences de design et innovation se positionnent sur le conseil en management et en stratégie. En France, des agences comme In Process, Sismo Design, Bluenove ont fortement développé ces dernières années leurs compétences conseil, avec l’intégration au sein de leurs équipes de profils de consultants. 6.2 UN SECTEUR DU CONSEIL EN INNOVATION EN PLEINE RESTRUCTURATION Au niveau international, on assiste sur le marché du conseil en innovation, en pleine restructura- tion, à des acquisitions qui suggèrent que le design devient une compétence nécessaire et centrale. A titre d’exemple : › le cabinet de conseil Deloitte a racheté l’agence américaine d’innovation Doblin, qui place le design thinking au cœur de son positionnement. › McKinsey s’est en mai 2015 emparé de Lunar, une des plus anciennes agences de design de la Silicon Valley. › Accenture a acquis en mai 2013 Fjord, dont le fondateur Olof Schybergson considère le design thinking comme fondamental pour la réussite des entreprises24   : «  S’adresser directement aux consommateurs est une source de rupture. Nous sommes maintenant capables de collecter de nouvelles informations sur les consomma- teurs et de mieux comprendre leur comporte- ment. Ceux qui possèdent ces informations et qui s’engagent résolument dans l’innovation seront les vainqueurs. » 24 Jean-Pierre Leac, “Le design thinking se rapproche-t-il du cœur des entreprises ?”, 10/10/2015, www.lescahiersdelinnovation.com
  • 49. 49DESIGN THINKING : NOUVEL ELDORADO DE L’INNOVATION ? d’un an après, le 11 février 2016, une conférence organisée par le Cnam intitulée « Design thinking vs Design doing ? » fait salle comble. Véronique Hillen, doyenne de la d.school et invitée de la confé- rence, se félicite du succès de la diffusion du design thinking. Le design thinking, tout le monde en parle… mais qu’en est-il vraiment ? Le design thinking est-il une approche montante de l’innovation dans les entre- prises ? Ne disposant pas d’études ni d’éléments chiffrés, il est difficile d’apporter des éléments objectifs de la situation. Mais quand on interroge les experts de l’innovation et du design thinking sur la réalité de la diffusion de l’approche au sein des entreprises, la situation semble plus contrastée. Certaines entreprises se méfient de cette approche parfois présentée comme le remède miracle qui va résoudre tous leurs problèmes d’innovation. Le design thinking ne leur semble pas si révolutionnaire que certains se plaisent à le dire, et beaucoup de professionnels de l’innovation y voient un simple effet de mode. D’autres prédisent même purement et simplement l’échec de l’approche en France. Face à l’engouement du secteur de la formation et du conseil en innovation, la prudence reste ainsi souvent de mise. Et ce d’autant plus que l’approche ne s’intègre pas facilement au sein des entreprises françaises, contrairement à ce qu’une présentation hâtive de la démarche peut laisser penser. Après avoir présenté le contexte au sein duquel le design thinking apparaît puis se développe en France, il nous semble important de se pencher maintenant sur la réalité de l’appropriation et de la diffusion de l’approche. // 6.3 LE DESIGN THINKING, VÉRITABLE BUZZWORD DANS LE CHAMP LEXICAL DE L’INNOVATION Le terme design thinking est un buzzword au niveau mondial depuis quelques années déjà quand il se diffuse à partir de 2010 à grande échelle en France dans les médias et les réseaux sociaux. Son succès n’est pas sans lien avec le pouvoir d’attraction des success stories venant tout droit de la Silicon Valley. Les articles de presse se multiplient sur le design thinking comme levier stratégique de l’innovation. A titre d’exemple, Le Monde consacre en juillet 2013 une pleine page sur le design thinking25 (dont nous avons emprunté le titre pour cette partie 6). Cet article, publié un mois après la création de la Mission Design qui a vu le jour à l’initiative du ministre du redressement productif Arnaud Montebourg, signe l’ampleur de la diffusion du design thinking, qui dépasse alors largement le périmètre des commu- nautés de l’innovation. Durant les années 2014 et 2015 le buzz autour du design thinking culmine en France. Un grand nombre d’acteurs de l’innovation s’emparent du terme, dès lors soumis à des interprétations variées, plus ou moins contestées et contestables, comme nous le verrons plus loin. Le 6 mai 2015 une conférence internationale gratuite portant sur «  Le futur du design thinking  » est organisée par la Paris-est d.school avec le soutien de Marc Giget, président du Club de Paris des Direc- teurs de l’Innovation et de l’Institut Européen de Stratégies Créatives et d’Innovation. Cette confé- rence, dont l’un des objectifs est d’apporter les témoignages des meilleures pratiques de design thinking de par le monde, attire 650 personnes, soit 10 fois plus que les premières estimations de l’équipe organisatrice de la d.school. Un peu moins 25 Isabelle Rey-Lefebvre, “Le « design thinking » à la conquête de l’Hexagone”, Le Monde, 11/07/2013
  • 50. LE DESIGN THINKING MIS À L’ÉPREUVE TROISIÈME PARTIE
  • 51. 51LE DESIGN THINKING MIS À L’ÉPREUVE simple et compréhensible par tous : « la laideur se vend mal », et de fait on a longtemps associé le design à une pratique seulement esthétisante, donc sulbalterne et à la limite du superflu par rapport au travail de l’ingénieur. Par ailleurs, dans un pays où prédomine la culture de l’écrit, le design appartient au domaine de l’artiste. On est loin de la définition du design du monde anglo-saxon, où le design est perçu comme une méthode de conception. « Il y a eu de grands débats dès l’époque du Bauhaus puis dans les années 60/70. Pour certains designers, en Italie et en France notamment, la pensée en design était liée à la philosophie, à l’humanisme, à l’éthique, alors que dans les pays anglo-saxons cette pensée était plus directement liée à la méthodologie, à l’impact dans l’entreprise, à la performance  », explique Antoine Fenoglio, designer et co-fondateur de l’agence Sismo design.26 Tous les professionnels de l’innovation par le design se rejoignent sur le fait qu’il est très difficile de parler de design en France en dehors de design produit. Les écoles de design ont bien évidemment un rôle à jouer dans la diffusion d’une définition élargie du design, mais elles-mêmes sont issues de cette histoire française du design, et toutes ne s’en sont pas pleinement libérées. « En France, le designer n’arrive pas à se libérer d’être un auteur », explique le designer Rémy Bourganel. « On enseigne au designer à être un créateur, un auteur et du coup son intégration dans l’entreprise pose problème. En étant auteur, il cultive parfois même un mépris pour le marketing » souligne-t-il. Tous les designers bien évidemment n’évoluent pas dans ce sens. Mais ceux qui s’intègrent le mieux au monde de l’entreprise 7.1 UNE DIFFICILE APPROPRIATION DU TERME DESIGN THINKING EN FRANCE Design thinking… mais de quoi parle-t-on au juste ? En France, c’est la confusion générale autour de la terminologie. Tout le monde en parle, mais personne ne semble véritablement à l’aise avec cette notion directement issue de la culture anglo-saxonne – à tel point d’ailleurs que personne ne s’est risqué à la traduire en français. Plusieurs raisons expliquent la grande difficulté qu’ont les différents acteurs à s’approprier cette terminologie, les différents usages qui en sont fait, et la cacophonie générale qui s’ensuit. Tout d’abord, en France, l’idée du design comme nouvelle démarche d’innovation est loin d’être une évidence. Pour des raisons historiques, le design est le plus souvent associé à sa dimension purement décorative et se limite souvent à la question du style. « Quelle belle chaise design ! », le terme est encore largement employé comme un adjectif par le grand public. Il exprime alors principalement le jugement que l’on porte sur l’acte de création. Cette vision française du design puise directement ses racines dans l’histoire française de l’industrie, avec le passage de l’ère artisanale à l’ère industrielle, et dans celle des Arts décoratifs. Raymond Loewy, grand pionnier français du design aux USA, revendi- quait dans son livre publié en 1953 un message assez 7. LE DESIGN, GRAND OUBLIÉ DU DESIGN THINKING ? 26 Extraits de la conférence du Cnam « Design thinking vs design doing ? » du 11/02/2015