Le merchandising, le nouveau filon des influenceurs

Le merchandising, le nouveau filon des influenceurs Pour concrétiser un rêve de gosse ou sécuriser un business un peu trop dépendant du nombre de vues sur Youtube, de plus en plus d'influenceurs apposent leur griffe sur des produits de beauté, tee-shirts ou goodies en tous genres.

De mémoire d'Amazon, on n'avait jamais vu ça ! La blogueuse beauté Sananas a affolé les compteurs en septembre dernier à l'occasion du lancement de sa marque de cosmétique en exclusivité sur la plateforme du géant de l'e-commerce. Quelques heures après l'ouverture des ventes, les stocks de la gamme Sananas Beauty étaient déjà épuisés. "Nous n'avions pas anticipé un tel succès", confie une source en interne.

Une belle opération pour la jeune Française et l'agence de talents qui la représente, Mixicom (filiale de Webedia), avec près d'un million d'euros de chiffre d'affaires réalisés en l'espace de quelques semaines, selon nos informations. Les crayons à lèvres et vernis à ongles de Sananas ont depuis envahi les rayons de grandes surfaces comme Carrefour et Sephora. Ils y côtoient les produits d'autres illustres influenceuses comme Michelle Phan, Tati Westbrook ou Huda qui ont, elles aussi, franchi le pas de la création après des années passées à réaliser des tutoriels beauté.

Le secteur de la beauté est loin d'être un cas isolé. Et les influenceurs qui se décident à lancer leur propre collection sont de plus en plus nombreux dans la mode, le divertissement ou le jeux-vidéo. "En France, les exemples les plus connus sont ceux de Norman ou Cyprien qui ont lancé leurs boutiques officielles il y a quelques années", rappelle Marine Montironi, responsable du pôle influence de l'agence We Are Social. Les millions de fans du duo peuvent y trouver t-shirts, coques d'iPhone et autres goodies en lien avec leurs univers.

Ces deux stars du Web ne sont pas les seules à succomber à la tentation du merchandising. Tous s'y mettent, depuis l'influenceur star qui compte plusieurs centaine de milliers d'abonnés jusqu'au micro-influenceur qui compte une communauté à taille réduite mais très active. "Le lancement de leur propre marque est une forme d'aboutissement pour tous ces talents qui ont commencé tout en bas de l'échelle", estime Mathias Thève, qui gère les carrières de plusieurs influenceurs.

"Une blogueuse qui dispense ses conseils en cosmétique depuis des années a un fort pouvoir de prescription auprès de sa communauté"

Parce qu'ils se professionnalisent, et qu'ils ne veulent pas mettre tous leurs œufs dans le même panier, de nombreux influenceurs voient dans le merchandising un bon complément aux revenus publicitaires qu'ils tirent de Youtube. "Cela leur permet d'être moins dépendants du nombre de vidéos et de vues qu'il y réalisent, analyse Mathias Thève. Et ce n'est pas un luxe : celles-ci peuvent en effet être divisées par deux d'un mois sur l'autre, en fonction de leur succès et de leur productivité."

Cette stratégie de diversification est d'autant plus nécessaire que la concurrence s'est accrue sur Youtube, comme sur Instagram, avec de nouveaux talents qui arrivent chaque semaine sur le marché. Les investissements que leur consacrent les marques via des opérations pubs continuent eux-aussi de croître… mais pas au même rythme. Le gâteau grossit donc beaucoup moins vite que le nombre de personnes qui en revendiquent une part.

"Ce phénomène a eu des conséquences dramatiques pour certains influenceurs qui, en l'espace d'un ou deux ans, sont passés de plusieurs milliers d'euros de revenus mensuels à plus grand-chose", estime Mathias Thève. Sur ces plateformes, où le nombre d'abonnés peut chuter drastiquement d'un jour à l'autre, rien n'appartient vraiment aux producteurs de contenus. Ce qui n'est pas le cas de leur marque en nom propre.

Les influenceurs auraient d'autant plus tort de se priver qu'ils ont la légitimité pour passer à l'acte. "Une blogueuse qui dispense ses conseils en cosmétique depuis des années a un fort pouvoir de prescription auprès de sa communauté qui partage les mêmes goûts", rappelle Mathias Thève. Sananas, qui compte près de 2,5 millions d'abonnés à sa chaîne Youtube et y a diffusé une vidéo d'annonce du lancement de sa marque, avait un beau bassin d'audience sur lequel s'appuyer au démarrage.

Les opérations de merchandising prennent généralement deux formes. D'un côté le partenariat avec une marque qui veut lancer une collection capsule et choisit un talent en affinité avec son audience cible. Du one-shot, donc. De l'autre, le lancement par le talent de sa propre marque. Dans tous les cas, l'influenceur est rarement seul. L'agence de Mathias Thève gère ainsi tout l'e-commerce de la dizaine de talents qu'elle a sous contrat, depuis la création du site Web jusqu'aux envois produits. "Cela reste encore marginal en termes de revenus pour eux, rarement plus de 15%", précise-t-il.

Un autre acteur, It Collection, a lui fait de la création de marque pour les influenceuses sa spécialité. La société a réussi à convaincre les influenceuses Les Parisiennes du monde (536 000 abonnés sur Instagram), Adenorah (506 000 abonnés) et Armario en Ruinas (278 000 abonnés) de monter leur griffes. Liées à la société par un contrat de plusieurs années, ces dernières sont rémunérées via un pourcentage du chiffre d'affaires généré. Ce qui les incite bien évidemment à promouvoir et à incarner au mieux la marque.

Des tee-shirts revendus avec une marge d'une dizaine d'euros

"Lorsqu'une influenceuse comme EnjoyPhoenix lance sa marque, elle fait en sorte de partager au maximum le processus de création", illustre Marine Montironi. Chaque story publiée est l'occasion de communiquer sur les à-côtés et donc de renforcer le sentiment d'appartenance des abonnés. "Montrer ses créations sur sa chaîne Youtube permet de créer de l'affect", résume Maxime Delmotte.

Ce jeune entrepreneur a lancé Panopli, un service d'e-commerce pour les influenceurs de toutes tailles en mars 2018. "Nous pouvons tout gérer de A à Z pour les plus gros partenaires", assure le dirigeant. Panopli gère aujourd'hui près de 400 boutiques en marque blanche. Dans le lot, des influenceurs reconnus comme le Joueur du Grenier et des collaborations avec des sociétés comme Topito, Golden Moustache, Rose Carpet ou encore Fussoir. Des acteurs opérant plutôt sur les thématiques humour, lifestyle et gaming.

Les influenceurs piochent dans un catalogue comprenant tee-shirts, débardeurs, figurines, chaussettes, peluches… Ils briefent ensuite Panopli sur l'identité visuelle qu'ils veulent accoler à leur ligne. "Notre équipe de graphistes se charge du travail de création puis nous prenons en main la logistique : production, stockage et distribution", détaille Maxime Delmotte. L'opération peut s'avérer très rentable pour ceux qui ont le plus de succès.

"Nous définissons un prix plancher en fonction de nos coûts de production, 12 euros pour un tee-shirt par exemple, et laissons l'influenceur choisir sa marge." Revendu plus de 21 euros chez certains, ledit tee-shirt leur assurera donc un revenu confortable. La plus grosse boutique made in Panopli a réalisé près de 20 000 euros de chiffre d'affaires mensuel fin 2018. Le plus beau dans tout ça ? Les investissements nécessaires pour se lancer sont proches de zéro. "L'influenceur n'a pas vraiment besoin d'investir dans un stock car on peut imprimer à la demande." Certains préfèrent toutefois assurer le coup avec des campagnes de précommande et lancer la production dès qu'un minimum est atteint. Panopli, qui confie discuter d'une collaboration avec Webedia pour gérer une partie de son e-commerce, réalisait plus de 80 000 euros de chiffre d'affaires fin 2018.