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Analyse

Libra ou la grande peur des banques centrales

Après avoir ignoré le sujet pendant des années, les banques centrales se sont rendues à l'évidence : les projets de cryptomonnaie, comme celui de Facebook, vont se multiplier. Elles tentent désormais de reprendre la main face à des géants de la tech qui menacent leur pré carré.

Les monnaies numériques privées, comme la libra, ne sont pas un épiphénomène.
Les monnaies numériques privées, comme la libra, ne sont pas un épiphénomène. (Pascal Garnier pour 'Les Echos')

Par Raphaël Bloch

Publié le 1 oct. 2019 à 17:03Mis à jour le 2 oct. 2019 à 10:54

Une seule image peut parfois en dire beaucoup plus que de nombreux discours. Mi-septembre, les grands argentiers de la planète étaient réunis en Suisse. Tout le gratin avait fait le voyage jusqu'à Bâle, à l'exception notable du banquier central chinois. L'objet de leur réunion n'était ni la guerre des changes, ni les tensions sino-américaines, mais le projet de cryptomonnaie de Facebook et de ses 27 partenaires, Visa, PayPal, Uber, Spotify, Free…

Pendant plusieurs heures, les dirigeants de la Fed, de la BCE et d'autres banquiers centraux ont échangé avec les représentants de la future libra. Les questions ont fusé sur le bord du Rhin : pourquoi ce projet ? Comment fonctionne-t-il ? Qui pourra utiliser la cryptomonnaie ? Jamais une entreprise privée n'avait eu les honneurs d'autant de banquiers centraux - 26 !

Après avoir ignoré le sujet pendant des années, la BCE et ses homologues se sont rendus à l'évidence : les monnaies numériques privées, comme la libra, ne sont pas un épiphénomène. Elles sont là pour durer et vont se multiplier avec des conséquences difficiles à quantifier. « La libra pourrait avoir un impact énorme sur la société », a reconnu le patron de la Banque du Japon, Haruhiko Kuroda.

Prérogative publique

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Car la libra n'est pas une application ou un service comme les autres. C'est une cryptomonnaie - par extension une monnaie -, c'est-à-dire un bien public qui relève normalement de la souveraineté des Etats et des banques centrales. Pour rassurer les Etats, les responsables du projet ont choisi d'indexer la libra sur un panier de devises (le dollar américain, l'euro, le yen, la livre sterling et le dollar singapourien), mais rien n'y fait. Le scepticisme reste de mise.

Surtout que, avec plus de 2 milliards d'utilisateurs potentiels (ceux de Facebook, WhatsApp et Instagram), la future cryptomonnaie de Zuckerberg et de ses partenaires a une force de frappe inégalée sur la planète. C'est justement ce chiffre, presque incroyable, qui a poussé les banques centrales, BCE en tête, à réagir, alors que la zone euro compte moins de 500 millions de citoyens. De son côté, Washington craint pour la domination du dollar.

Et la libra n'est que l'arbre qui cache la forêt « crypto ». Facebook et ses partenaires sont en effet loin d'être seuls… La messagerie russe Telegram, qui compte plus de 200 millions d'utilisateurs, doit lancer sa monnaie numérique d'ici à la fin octobre. D'autres géants de la tech travaillent également sur des projets, à l'instar de Walmart. Sans parler des géants comme Amazon et Google, qui réfléchissent eux aussi à de possibles applications…

Une fenêtre de tir

Pourquoi tous ces projets émergent-ils maintenant ? Parce que la technologie permet désormais, ce qui était impensable il y a encore quelques années, de faire circuler de la monnaie sans intermédiaire, sans banque pour jouer le rôle d'émetteur, ni de tiers de confiance qui garantit la stabilité et la valeur de cette même monnaie. « C'est un retournement complet », explique Alexandre Stachtchenko, cofondateur de Blockchain Partner, un cabinet spécialisé dans la blockchain.

Jamais Zuckerberg n'aurait pu lancer la libra il y a encore quelques années. « Maintenant n'importe qui peut le faire, la technologie est là », martèle David Bounie, professeur d'économie à Télécom Paris.

La « technologie » : derrière ce mot fourre-tout se cachent en réalité trois dimensions. Il y a le « pair à pair », associé par le grand public au piratage de la musique, la cryptographie, à la base des systèmes de mot de passe, et la blockchain, rendue justement célèbre par les cryptomonnaies. Combinés, ces trois éléments ont reconfiguré la notion de confiance dans un système d'échange de valeur, notamment monétaire.

C'est ce que le bitcoin a montré depuis sa création, ouvrant la voie à d'autres projets. Aujourd'hui, les géants de la tech s'y engouffrent. L'avantage pour eux est évident : grâce à une cryptomonnaie comme la libra, Facebook et ses partenaires peuvent étendre leur toile au paiement, devenir des marketplaces et capter davantage de données, financières notamment, pour offrir de nouveaux services comme du crédit. Le tout au détriment de la souveraineté des… Etats.

Un défi pour les Etats

La Chine, absente à Bâle, a bien compris ce qui était à l'oeuvre. C'est d'ailleurs pour cette raison que Pékin a déjà fait savoir que la libra ne serait pas autorisée sur son sol. La deuxième économie mondiale a également décidé d'accélérer son projet de monnaie digitale de banque centrale.« Une fois lancée, la libra de Facebook sera inarrêtable », a expliqué, début septembre, Changchun Mu, le responsable du futur cryptoyuan pour justifier l'accélération du projet.

Le cryptoyuan est attendu pour la fin 2019. Il sera au plus tard disponible courant 2020, selon Pékin, même si de nombreux experts doutent du calendrier. « Si les gens n'utilisent plus la monnaie d'un Etat, il perd de son influence », souligne Alexandre Stachtchenko. De leur côté, d'autres Etats comme la Suède et l'Uruguay travaillent sur des projets de cryptomonnaie nationale. Mais ceux-ci restent embryonnaires. A l'appel de Paris et Berlin, la BCE pourrait, elle, commencer à travailler sur un « crypto-euro » d'ici 2020. Au moment où la libra se lancera…

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PODCAST. Cryptomonnaies : quand les Gafa se prennent pour l'Etat

Raphaël Bloch

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