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De l'art d'interroger un président en France

La récente interview d'Emmanuel Macron sur France 2 montre que la France a du mal à se défaire de son extrême déférence à l'égard de la magistrature suprême. En la matière, la monarchie britannique peut nous donner des leçons.

Par Gaspard Koenig (philosophe)

Publié le 19 déc. 2017 à 15:30

Samedi dernier, j'ai entamé la deuxième saison de l'excellente série de Netflix « The Crown », qui retrace le règne d'Elizabeth II. L'épisode « The Marionettes » met en scène la crise de l'été 1957, où un journaliste, Lord Altrincham, avait violemment mis en cause la pompe désuète des Windsor. Pour répondre à ces reproches, la reine dut accepter de faire filmer en direct, depuis sa résidence de Sandringham House, ses voeux de Noël. L'idée était de rendre son message « plus direct et personnel ».

Le hasard a voulu que, le lendemain soir, je regarde l'interview du président de la République française sur une chaîne de France Télévisions. C'était finalement une variation sur le même thème, sapin de Noël à l'appui : pour moderniser son message, le président avait convié un salarié du service public à déambuler à ses côtés dans son modeste palais, relançant son monologue par des questions courtoises et soulignant à maintes reprises son audace révolutionnaire, sans oublier de présenter le mobilier des lieux au public, honoré par tant de confidences.

Langue de bois

Cet intimisme bon enfant correspond-il néanmoins au standard des bonnes pratiques journalistiques ? Intrigué, je tourne à nouveau mes regards vers nos voisins britanniques, qui, malgré leurs têtes couronnées, s'adonnent au débat démocratique au moins depuis le Bill of Rights (1689), pour comprendre comment les médias s'adressent là-bas au pouvoir exécutif et à ceux qui l'incarnent. Sur la BBC, pionnière de l'audiovisuel public, les émissions « Hard Talk », « Newsnight » ou « The Andrew Marr Show » ont acquis une solide réputation pour les questions incisives qu'ils peuvent adresser à leurs puissants invités. Theresa May en fit les frais récemment, « grilled », rôtie pourrait-on dire, par le célèbre présentateur Jeremy Paxman. Non seulement l'insolent aborde des sujets difficiles, mais il ose interrompre la Première ministre au moindre écho de langue de bois et revenir à la charge sans vergogne. Sur le Brexit : « Vous avez voté contre, avez-vous changé d'avis ?… Vous pensez toujours que c'est une idée idiote ? » Sur le projet de plafonner les dépenses sociales : « En fait vous ne connaissez pas les montants. » Etc.

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Déférence

Il existe naturellement de vrais journalistes en France, et les ministres habitués des matinales radio ont souvent du souci à se faire. Mais l'extraordinaire déférence pour la magistrature suprême immunise la tête de l'exécutif de toute critique sérieuse, alors même qu'il est à peu près le seul, dans ce régime présidentiel poussé à l'extrême, à arbitrer les grands choix de politique publique. Il n'y a, dans l'exercice du pouvoir, aucune forme de ce que les Britanniques, encore eux, appellent l'« accountability », et qu'on serait bien en peine de traduire en français. Notre forme de monarchie plébiscitaire, ou d'autocratie républicaine , a été amplement dénoncée depuis le premier jour de la Ve République, de Raymond Aron à Jean-François Revel en passant par François Mitterrand dans son brillant essai (jamais transformé…) sur le « coup d'Etat permanent ». En vain ! L'opinion, oublieuse de la longue tradition parlementaire des Républiques précédentes, semble s'être accoutumée au bonapartisme éternel, en se contentant d'un vote binaire tous les cinq ans et de quelques manifestations de rue. En retour, le président enfile tranquillement les chaussons du paternalisme. On a ainsi pu l'entendre, dans la même interview, parler de « mon peuple », à qui il recommande généreusement de « prendre du temps en famille » pour Noël. Oyez, oyez !

Quelle que soit la qualité de certaines des réformes engagées par le présent gouvernement, je ne me console pas, pour ma part, de ne pas vivre en démocratie. Ce n'est pas parce que le prince semble pour une fois plutôt charmant que nous devons sombrer dans la torpeur des Prussiens devant Frédéric le Grand, despote éclairé. Il faudrait au contraire profiter de ce temps politique relativement calme pour ériger des contre-pouvoirs robustes et adaptés à un siècle qui promet d'être turbulent. A l'heure des réseaux sociaux évoqués par le président, on ne pourra plus confier longtemps nos choix de société aux vaticinations d'un seul homme, fût-il bien inspiré la nuit dans son bureau doré. Pour commencer, la réforme du service public audiovisuel ne serait-elle pas l'occasion d'embaucher des journalistes qui ne soient pas, pour reprendre l'expression de la reine mère dans « The Crown », des « marionnettes » ?

Gaspard Koenig

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