Carnets du droit d'auteur - jour 3 : La plante et son pot

in #droitdauteur6 years ago (edited)

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L'un des constats de départ qui préside à la réflexion en cours est que le droit d'auteur ne serait pas adapté au numérique. Bon. Mais une fois qu'on a dit ça, on a pas dit grand chose.

Et si c'était le numérique qui ne s'est pas adapté au droit d'auteur ?

D'où l'idée de la plante en pot. On a une plante. Soit parce qu'on a voulu se faire plaisir ou bien, souvent, quelqu'un nous l'a offerte. Souvent, on l'aime bien, pas toujours mais ce cas n'entre pas dans le propos du jour. Quoi que.

C'est une plante. Elle pousse. Surtout si on l'aime, parfois plus encore quand on ne l'aime pas. Au bout d'un certain temps, le pot n'est plus adapté, il est devenu trop étriqué.

Alors ? On change la plante pour la remplacer par une autre, plus petite ou on change le pot ? Généralement, c'est quand même la plante qui gagne et on change le pot.

C'est un rapport tout a fait similaire qui existe entre deux choses qui sont d'une part, un modèle économique — la plante, et d'autre part un cadre juridique — le pot. Un modèle économique ne peut véritablement s'épanouir que si le cadre juridique à l'intérieur duquel il se développe le permet.

Mais lequel des deux décide de l'autre. Est-ce la plante qui détermine le choix du pot ou le pot dont découle le choix de la plante ?

Tout au long du XXème siècle, et en particulier dans sa seconde moitié, le modèle économique de la musique était entièrement fondé sur le fait qu'un éditeur phonographique était en mesure de contrôler très étroitement le nombre de copies en circulation. C'était une économie du support, une économie de la rareté, et ce qui est rare est cher, c'est bien connu. Et c'est ce modèle qui a façonné progressivement le cadre juridique, notamment au travers des lois de 1957 et 1985. C'est donc la plante qui a conditionné le pot.

Mais avec le numérique, graveurs de CD d'abord puis internet à haut-débit enfin, le modèle ne tient plus parce qu'il n'est plus possible de contrôler le nombre de copies. L'industrie culturelle parle alors de « vol », mais c'est totalement idiot. Le vol est par définition une soustraction alors que le problème relève de la multiplication.

Ceci montre qu'il manque un élément à mon analogie : la terre dans le pot. La plante meurt parce que la terre ne nourrit plus ses racines. L'analyse de l'industrie culturelle est que la plante est devenue comme hors-sol, que la terre s'est éparpillée en dehors du pot — en dehors du cadre légal, et qu'il faut l'y remettre, de force au besoin. La terre, c'est le public. Et le public dans le pot était réduit à l'état de client. Insignifiant, passif, en un mot, consommateur. Il est sorti du pot simplement parce qu'il en a eu la possibilité matérielle, ce qui n'était pas le cas avant. On ne pouvait pas fabriquer des vinyles chez soi ni monter une chaîne de radio ou télé capable d'atteindre en direct des millions de personnes. La terre ne songeait pas à sortir du pot parce que ce n'était simplement pas possible.

À contre cœur la terre est en partie retournée dans le pot. Prise entre le bâton des lois type HADOPI et la carotte du streaming. La plante survit, mais dans une espèce de malaise. Notamment parce qu'a côté des jolies fleurs en nombre limité qu'elle développait auparavant, se sont ajoutées des millions de petites pousses. Chacune de ces petites pousses ne grapille pas grand chose de la terre, mais elles sont si nombreuses... et souvent très affamées.

Alors ? Faut-il changer la plante ou changer le pot ? That is the question.

J'avais commencé ce paragraphe par « je crois que la plante a déjà changé ». Venait ensuite une digression qui ne conduisait en fait nulle part. Pomme-x, on recommence. Parce que le point de départ était erroné. La plante n'a pas changé mais elle est en train de voir son espace envahi par de nouvelles petites plantes et non simplement des pousses. Ce n'est pas la même plante. Elle se défend, la bougresse. Parce qu'elle est seule dans le pot depuis longtemps et qu'elle entend le rester. Mais pas cette fois. « La technologie ne se préoccupe pas de la loi » écrivait Jessica Litman en 1994.

Mais comme le pot avait été prévu pour cette seule plante, le modèle économique fondé sur le contrôle du nombre de copies, les petites plantes nouvelles doivent composer entre leurs besoins pour pousser et la taille et la forme du pot, les règles existantes. Du coup, elles font des choses discutables, comme confondre auteur et artiste, ce dont il était question hier.

Finalement, et par un autre chemin que la digression pomme-x-isée, j'en arrive à la même conclusion qui est que c'est bien le pot, le cadre réglementaire, qu'il faut adapter. Subtilement. Pour privilégier les jeunes plantes sans trop faire peur à mamie, la plante du XXème siècle. Il faut des incitations, des petites touches ici et là. Et les mieux placés pour les mettre en œuvre apparaissent un peu plus clairement. Les éditeurs musicaux et les sociétés de gestion collective. Pas les producteurs.

Au final, on se trouve devant le choix entre un changement assez radical, qui ne peut venir que de la loi, donc qui ne viendra pas, sur la nature même du lien juridique qui relie un auteur à son œuvre pour le transformer de droit réel en droit personnel. Ce serait comme la fusion du droit moral et des droits patrimoniaux. Peu probable et, au fond, ce n'est intéressant que du point de vue des théories juridiques. Ou alors, et là on a plus de chance de hacker le droit d'auteur, faciliter, et surtout encourager l'accès au statut d'éditeur musical. Vous me direz qu'il suffit de monter une société, c'est pas bien compliqué de nos jours. Mais si l'essentiel des formalités pouvait se faire en ligne et en dix minutes, comme ces nouvelles banques qu'on voit fleurir...

De là, s'installer dans une juridiction "favorable", une espèce de paradis fiscal de la propriété intellectuelle ou... hacker la SACEM. C'est ça le truc. S'appuyer sur ce que la SACEM sait bien faire ou fait de manière quasi automatique, trouver les points sur lesquels elle ne sera pas trop regardante, mettre un business en place et tout le monde devant le fait accompli. On peut imaginer une société de services, qui ne serait pas concurrente de la SACEM, il ne serait pas bon de vouloir toucher à son monopole. Non, une société intermédiaire insérée entre les nouveaux éditeurs musicaux et les SPRD, qui s'appuierait sur les techniques innovantes pour régler les rapports entre cette multitude de nouveaux professionnels qui en pratique n'en sont pas et ces nouveaux usagers que sont les plateformes en ligne. Une société qui aurait la même culture que ces plateformes, qui est déjà la même que celle des nouveaux éditeurs en question. Ce serait certainement plus efficace que les tentatives type « article 13 » qui relève de l'enclume pour écraser une mouche et qui, en plus, frappe à côté. C'est definitely la piste à creuser.

Conclusion du jour : la plante décide du pot.

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