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Quand les libéraux contestent la propriété

CHRONIQUE. Un essai intitulé « Radical Markets » propose de considérer la propriété comme un monopole illégitime, au motif qu'elle empêche les marchés d'être pleinement efficients. L'idée mérite d'être creusée.

Par Gaspard Koenig (philosophe)

Publié le 19 juin 2018 à 16:00

Le droit de propriété, « droit inviolable et sacré » selon notre « Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 », a mauvaise presse. La loi Pacte, tout juste présentée en Conseil des ministres, ne considère plus l'entreprise comme la propriété de ses créateurs et actionnaires, mais comme une institution propre au service d'un intérêt supérieur.

Pourquoi d'ailleurs se contenter des entreprises ? Une kyrielle de juristes et intellectuels de tout premier plan ont récemment signé un texte exigeant de soumettre constitutionnellement le droit de propriété au respect du bien commun. Ce discours puissant, qui trouve aujourd'hui une résonance dans les mouvements de gauche du monde entier, s'inscrit sans trop de surprise dans la tradition marxiste qui a toujours vu dans l'universalité des droits une ruse de l'homme égoïste et bourgeois.

Mais de manière plus étonnante, la propriété est également contestée du côté des libéraux les plus radicaux. C'est tout l'intérêt de « Radical Markets », un essai brillant et surprenant signé par Eric Posner et Glen Weyl, l'un professeur à la Chicago Law School et l'autre économiste formé par Jean Tirole . Se revendiquant d'Adam Smith , JS Mill, Henry George ou Léon Walras, les auteurs font le constat d'une crise de l'ordre néolibéral et proposent d'en repenser drastiquement les fondements pour offrir une alternative au socialisme résurgent.

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Une logique imparable

Le point de départ de leur analyse, c'est de considérer la propriété comme un monopole illégitime, au détriment de l'allocation optimale du capital (je peux refuser de vendre mon terrain même si cela permettrait la construction de l'Hyperloop) comme de l'investissement productif (je peux le laisser en friche). Autrement dit, pour que les marchés soient véritablement efficients, il faut… briser le monopole de la propriété !

Le remède proposé par Posner et Weyl est d'une logique imparable. Chaque citoyen fixerait de lui-même la valeur de ses possessions, de sa maison à ses chaussettes en passant par les brevets. Il accepterait donc de s'en dessaisir automatiquement sitôt qu'un acquéreur proposerait le prix demandé. A défaut, il paierait une taxe de 7 % annuelle sur le capital. On pourrait donc mettre un bien à l'abri du marché en demandant un prix astronomique (1 million pour mes chaussettes), mais il faudrait alors compenser la collectivité du coût de cette exclusion (70.000 euros !).

A l'inverse, ceux qui veulent minimiser leur impôt devraient prendre le risque de voir leurs possessions les plus chères rapidement accaparées. Les recettes fiscales pourraient être redistribuées sous forme d'un revenu universel. Ainsi, personne ne serait par fatalité « privé » de l'accès à tel ou tel bien.

Au plus près du « juste prix »

Pour avoir quelquefois participé à des ventes aux enchères, j'ai eu le sentiment plaisant d'y trouver ce qui s'approche le plus du « juste prix ». Réhabilitant les travaux de l'économiste William S. Vickrey, les auteurs élargissent ce mécanisme à l'ensemble de la vie économique et sociale.

Car comme tout bon système, les « radical markets » s'appliquent à tous les secteurs. Sur le plan politique, Posner et Weyl imaginent une procédure de « quadratic voting » dotant chaque électeur d'un capital de voix à dépenser en fonction de son intérêt pour tel ou tel scrutin, ce qui répondrait à la question du passager clandestin comme à celle de la tyrannie de la majorité. S'agissant de l'économie numérique, ils exigent que nous puissions être rémunérés pour la valeur que nous produisons, en plaidant pour la constitution de syndicats regroupant les travailleurs de la data que nous sommes tous. Ainsi, selon le rêve de Gary Becker, tout deviendrait marché, et les derniers privilèges, statuts et monopoles seraient abolis dans le flux permanent des transactions.

Au fondement de « Radical Markets », on trouve un postulat - la propriété n'a de valeur que par son usage - et une finalité - l'efficience des échanges. Cet utilitarisme absolu rejoint finalement la vision socialiste du « bien commun », sauf que le mécanisme d'optimisation de la valeur collective est assuré par le marché plutôt que par la souveraineté populaire. A ces visions holistiques je pense possible d'opposer un individualisme non moins radical, qui réhabilite la propriété comme expression d'un pouvoir de création de soi sur soi. En tous les cas, la bataille autour de notre bon vieux droit de propriété ne fait que commencer.

Gaspard Koenig

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