Beaucoup de spécialistes estiment que la blockchain va changer le monde, mais le grand public ne sait pas vraiment ce que c'est. Comment l'expliqueriez-vous simplement ?

Claire Balva : La blockchain est un ensemble de technologies qui permet de s’échanger de la valeur sur Internet sans qu’un intermédiaire centralise la donnée. De la même manière qu’Internet a permis d’envoyer de l’information sans intermédiaire, la blockchain permet de transmettre de la valeur sans dépendre d’une institution centralisatrice. De manière plus concrète, la blockchain est un protocole informatique qui organise le consensus entre les acteurs d’un réseau autour d’un registre. Ce registre, qui répertorie souvent des transactions d’actifs numériques (cryptomonnaies, votes, actions d’entreprises, etc.), est structuré en blocs : c’est pour cela qu’on l’appelle une chaîne de blocs (en anglais, "blockchain").

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Pourquoi l'associe-t-on autant au Bitcoin ?

Tout simplement parce que Bitcoin est la première blockchain. Jusqu’en 2014, presque personne n’utilisait le mot "blockchain" : la blockchain, c’était Bitcoin. Ou, pour être exacte, le registre des transactions en bitcoins. Aujourd’hui, le mot “blockchain” a une signification plus large, puisque les technologies utilisées dans Bitcoin ont été réutilisées dans d’autres réseaux. On compte ainsi des centaines de blockchains dites “publiques” (accessibles à tous), sur lesquelles circulent des cryptoactifs : c’est par exemple le cas de la blockchain Ethereum, sur laquelle circule la cryptomonnaie ether. On compte aussi de nombreuses blockchains “privées”, dont l’accès est restreint à certains acteurs.

Écoutez l'épisode de 21 Millions consacré à l'avenir de Bitcoin :

Pourquoi la blockchain est-elle réputée inviolable ?

Parce que le registre n’est pas stocké à un seul endroit. Sur les grandes blockchains publiques, on compte plusieurs milliers de serveurs qui stockent l’intégralité du registre : pour corrompre la blockchain, il faudrait donc, pour simplifier, parvenir à corrompre plus de la moitié de ces serveurs. C’est donc une manœuvre extrêmement difficile, et d’autant plus complexe que la puissance de calcul déjà déployée sur ces réseaux est grande. Sur les grandes blockchains (Bitcoin, Ethereum et d’autres), l’organisation du consensus est ainsi faite que si un acteur souhaitait corrompre le réseau il devrait déployer une puissance de calcul absolument phénoménale. Au-delà, tout en imaginant que quelqu’un y parvienne, les autres acteurs auraient toujours la possibilité de continuer avec leur version du registre. Le hackeur serait donc seul avec sa version corrompue, et l’ensemble des autres acteurs conserveraient une version “intègre”.

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Cela reste du code informatique… Pourquoi y aurait-il moins de failles ?

Pour citer l’un des plus grands informaticiens français, Gérard Berry : un système est sûr non pas quand il est inattaquable – ce qui est théoriquement impossible –, mais quand ça coûte trop cher de l’attaquer. Ce principe est au cœur des blockchains. La “magie” d’un protocole comme Bitcoin repose notamment sur cette logique d’incitation économique : si un acteur a une puissance de calcul considérable, il a plus intérêt à participer au réseau, en tentant de valider des transactions (ce qui lui ferait gagner des cryptomonnaies), qu'à essayer d’attaquer le réseau. Voilà pourquoi les blockchains sont considérées comme étant à la croisée de différentes innovations, en théorie des jeux, en cryptographie, etc.

>> Suivez en direct les cours des principales cryptomonnaies

Quels secteurs vont être bouleversés par la blockchain ?

Même si je comprends pourquoi beaucoup se posent cette question, raisonner en termes de secteur d’activité n’est pas optimal. En effet, la blockchain est une technologie transverse et qui peut donc trouver des usages pertinents dans quasiment tous les secteurs. Typiquement, le transfert de valeur a naturellement des implications fortes pour tout le secteur financier (banques, capital-risque, etc.) mais, in fine, tous les secteurs utilisent la monnaie ! Le fait de pouvoir réaliser des transferts de valeur sans organisme centralisateur a donc des conséquences fortes dans tous les secteurs où les flux financiers sont aujourd’hui nombreux et/ou opaques (les assurances mais aussi les secteurs publicitaire ou culturel notamment). Et ce n’est qu’un exemple d’usage parmi d’autres.

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Pensez-vous que cela sonne comme la fin des banques ?

Les blockchains et cryptomonnaies permettent surtout l'émergence d'un système financier alternatif. Bitcoin en est l'étendard, et des protocoles sont développés actuellement pour proposer d'autres services financiers décentralisés, accessibles à tous, et notamment aux 2 milliards de personnes sur Terre non bancarisées. Toute une gamme de services financiers bénéficiant des avantages de la décentralisation (liberté d'accès, résistance à la censure…) sont en train de voir le jour : crédits, prêts, dérivés… C'est un des aspects les plus intéressants de la sphère blockchain à l'heure actuelle.

Écoutez l'épisode de 21 Millions consacré aux banques et aux cryptos :

Qu'en est-il des applications concrètes ? On entend déjà beaucoup parler de la certification de documents : comment cela fonctionne-t-il ?

Effectivement, la certification de documents fait partie des applications blockchain qui fonctionnent déjà et pour lesquelles il existe des produits sur le marché (dont le nôtre, Datatrust). Le concept : utiliser la blockchain comme notaire numérique décentralisé afin d’y inscrire de la donnée chiffrée, vérifiable par tous et non corruptible par un seul acteur. Nous avons par exemple développé cela avec l’Etat de Genève, qui souhaitait certifier les extraits électroniques (équivalent des Kbis, fiches d’identité des sociétés françaises). Aujourd’hui, tous les extraits électroniques sont certifiés dans la blockchain publique Ethereum, ce qui a deux avantages majeurs : d’une part, la possibilité pour tout le monde de vérifier en quelques clics l’intégrité d’un extrait électronique des entreprises fourni par une société suisse immatriculée à Genève, et, d’autre part, la facilité pour l’Etat de Genève de maintenir ce service sans devoir entretenir une base de données classique.

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Une start-up française, BCDiploma, commence à faire parler d'elle dans le domaine…

En effet, BCDiploma (comme d’autres d’ailleurs) utilise ce mécanisme de certification pour garantir l’intégrité des diplômes d’étudiants. C’est un cas d’usage bien connu car la fraude aux diplômes est un grand sujet pour les recruteurs, qui doivent se renseigner auprès de chaque école pour être certains de l’intégrité du diplôme fourni par le candidat. La blockchain permet ici d’automatiser ce processus, à la fois pour les écoles et les recruteurs.

La grande distribution, de Carrefour à Auchan mais aussi Walmart, s'y intéresse énormément. Comment la blockchain peut-elle améliorer la traçabilité de leurs produits ?

En renforçant la confiance et la coopération entre acteurs. La difficulté, sur ces chaînes de valeur, est souvent qu’il y a de nombreux partenaires, et parfois une certaine opacité. La blockchain permet de responsabiliser chaque acteur sur ce qu’il inscrit dans le registre, puisque celui-ci est transparent et non corruptible par un seul acteur. Ceci permet donc de maximiser les chances d’avoir une base de données « propre » et de pouvoir détecter plus rapidement, en cas de problème, quel acteur a commis une erreur ou une fraude. En fin de compte, on trace plus les responsabilités que les produits sur une blockchain.

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Écoutez l'épisode de 21 Millions sur la blockchain du poulet de Carrefour :

A moyen terme, les spécialistes prévoient que la blockchain sera capable de gérer l'automatisation de transactions. Concrètement, comment cela se passerait-il pour le consommateur ?

On peut déjà programmer des transactions dans la blockchain, selon des conditions prédéfinies. L’intérêt pour les entreprises est qu’elles pourront gérer et automatiser les flux financiers sans dépendre d’un organisme financier tiers. Pour le consommateur, cela signifie surtout plus de transparence et plus de garantie sur les transactions. Par exemple, dans le cadre du service d’assurance de retard d’avion Fizzy, d’Axa, le consommateur n’a aucune démarche à faire pour être indemnisé si son avion est en retard. Il reçoit les fonds dès que FlightStats, une société fournissant des informations relatives aux horaires d’arrivée des vols, publie ses données en ligne.

On dit souvent que la blockchain supprime les intermédiaires, or il y en a toujours dans les exemples que vous évoquez…

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La blockchain ne supprime pas les intermédiaires, elle les redéfinit. Certains intermédiaires sont menacés, spécialement ceux dont la valeur ajoutée réside majoritairement dans l’exécution de transferts de valeur. Mais les intermédiaires qui apportent du conseil humain, par exemple, garderont leur rôle à plus forte valeur ajoutée. Et d'autres intermédiaires naîtront, en particulier parce qu'un grand nombre d'utilisateurs n'accéderont probablement pas aux blockchains directement : ils passeront par des services, parfois centralisés, capables d'apporter une expérience utilisateur très travaillée, des prestations supplémentaires, etc.

La blockchain ne bénéficie plus de l'effet "waouh" d'il y a deux, trois ans. Est-ce lié à la chute des cours de cryptomonnaies observée en 2018 ou plutôt parce qu'on lui a prêté des possibilités déraisonnables ?

Sans doute un peu des deux. La blockchain a effectivement bénéficié d’une forme d’excitation, tout à fait classique devant une telle nouveauté, il y a deux ou trois ans, accentuée par la montée des cours en 2017. La complexité du sujet a de plus conduit à des généralisations, dans la presse, qui ont laissé penser que la blockchain allait sauver le monde. Aujourd’hui, on est passé de l’effet “waouh” à la construction d’applications très concrètes, qui est d’ailleurs totalement décorrélée des cours des cryptos. Vu de l’extérieur, ce travail de développement fait sans doute moins de bruit médiatique que les cours ou que l’excitation de la nouveauté, mais l’écosystème et les possibilités d’applications sont en fait bien plus riches aujourd’hui qu’il y a deux ou trois ans.

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À quelle échéance prévoyez-vous l'apparition d'applications blockchain révolutionnaires ?

Il y a déjà des applications blockchain révolutionnaires, puisque avec les cryptoactifs on peut aujourd’hui posséder et transférer de l’argent qui n’est pas contrôlé par une banque. On ne s’en rend pas toujours compte dans un pays comme la France, mais, pour tous ceux qui n’ont pas accès au système bancaire, pouvoir envoyer de l’argent à ses proches par Internet, c’est radicalement nouveau. Si certaines problématiques techniques rendent ces applications peu simples d’utilisation, l’expérience utilisateur sera vraisemblablement considérablement améliorée dans les années à venir. A part cela, il est en fait très difficile de prévoir quelles applications vont émerger, et quand : qui aurait pu prévoir en 1995 les succès de Facebook, d'Uber, de BlaBlaCar ? La plupart des applications révolutionnaires de la blockchain restent encore probablement à inventer.

Écoutez l'épisode de 21 Millions consacré aux applications de la blockchain :

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Quels nouveaux métiers vont naître ?

On voit déjà, depuis plusieurs années, émerger le métier de développeur de blockchain, qui consiste à développer techniquement des protocoles et les applications qui fonctionnent grâce à eux. Il s’agit de compétences particulièrement recherchées sur le marché actuel. Les métiers de juriste et fiscaliste spécialisés en cryptomonnaies pourraient gagner en importance à l’avenir, avec la croissance des besoins en la matière. De même que celui d’auditeur de code, qui n’est certes pas nouveau mais qui est crucial dans l’univers blockchain.

Au-delà, on peut penser à des emplois à cheval sur le droit et le code, qui nécessiteront des doubles compétences encore très rares aujourd’hui. Avec le développement d’organisations spécialisées, le secteur nécessitera aussi des profils plus économiques, spécialisés en cryptoéconomie, qui est une discipline à part entière, à cheval sur la finance, l’informatique, la théorie des jeux… C’est pour cela qu’il est essentiel que des offres de formations se développent plus fortement. Heureusement, certaines ont commencé à voir le jour en France, mais il faut aller plus loin.

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Pour l'instant les monnaies comme l'euro ou le dollar ne circulent pas sur blockchain, où il faut absolument des cryptomonnaies. N'est-ce pas un frein à l'adoption massive de cette technologie ?

Tout est question de confiance et de fonctionnalité dans la monnaie. L’euro ou le dollar sont des monnaies qui dépendent de banques centrales, qui en centralisent la gestion et surtout l’émission de manière relativement opaque. Si une monnaie comme l’euro ou le dollar est considérée comme fiable, et est largement utilisée, c’est simplement parce qu’il y a une certaine confiance dans les banques centrales pour assurer leurs missions (maîtrise de l’inflation par exemple). Si la BCE venait à échouer dans sa mission, alors l’euro pourrait perdre de sa valeur.

N’oublions pas, d’ailleurs, que la grande majorité des humains n’utilisent pas l’euro ou le dollar, mais des monnaies comme la roupie, le rouble, le yuan ou encore le bolivar, qui suscitent un peu moins de confiance. Dans ces pays, l’appétence pour des monnaies alternatives est beaucoup plus forte. Enfin, la monnaie va maintenant être de plus en plus confrontée au concept de compétitivité : si les transferts automatiques de valeurs ne se font plus sur les monnaies traditionnelles, alors on assistera à une logique inverse : pourquoi utiliser l’euro s’il ne me permet pas d’être compétitif dans mon secteur d’activité ? Telle est la question que pourrait se poser demain un assureur.

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Est-il raisonnable d'imaginer qu'on pourra un jour utiliser des monnaies traditionnelles sur blockchain ?

Pour que des monnaies “traditionnelles” telles que l’euro, le dollar ou le yen soient utilisées sur blockchain, il faudrait que les banques centrales renoncent à leur monopole et acceptent une gouvernance décentralisée de ces monnaies. Il n’est pas impossible que cela arrive sur le long terme, mais, vu la complexité politique qui en découle, il reste peu probable que cela se produise prochainement. Autre problème : une partie de la population mondiale n’a pas accès à Internet, et parfois pas de réseau mobile. Une monnaie “blockchain” ne peut donc pas se substituer complètement à une monnaie papier. Il serait toutefois très intéressant de voir apparaître, au niveau européen ou mondial, un nouvel étalon-or, qui pourrait être un actif numérique basé sur blockchain. Cela permettrait un rééquilibrage des forces, notamment par rapport au dollar, qui est aujourd’hui utilisé comme monnaie de référence au niveau mondial.

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Après avoir manqué la révolution Internet, pensez-vous que la France a un rôle à jouer dans cette nouvelle économie ?

Bien sûr, et nous oeuvrons d’ailleurs depuis 2015 pour que ce soit le cas. La France a déjà pris un retard important dans l’intelligence artificielle : nous ne pouvons pas nous permettre de prendre à nouveau du retard dans cette nouvelle innovation de rupture. Il y va de notre rayonnement économique mais aussi de notre souveraineté. Les écosystèmes qui se seront le mieux préparés aux blockchains et à la cryptoéconomie seront difficilement rattrapables ensuite, lorsque ces technologies décolleront plus fortement. La question du timing est donc essentielle.

Que pensez-vous du cadre réglementaire mis en place par le gouvernement ?

Des progrès ont été faits mais le cadre reste insuffisant : par exemple, la fiscalité sur les plus-values des cryptoactifs reste plus lourde que chez nos voisins européens. Il faut bien comprendre qu’une bataille mondiale s’est engagée entre les différents écosystèmes pour attirer les talents. Or le nerf de la guerre de la blockchain, c'est les talents.

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