On était à
Banlieues Bleues, place aux explorateurs de sons

Parmi un mois de concerts en Seine Saint-Denis, on a pioché cinq soirées, en suivant la piste des explorateurs de sons. On vous raconte notre extrait de la 36ème édition de Banlieues Bleues, toujours au top des festivals défricheurs.

Jour 1. Lundi 25 mars. 20h00, du n’goni au n’tama

Accoudés au foyer de la Marbrerie de Montreuil avec une soupe de butternut, on débute notre quatrième saison chez Banlieues Bleues en causant musiques du monde avec notre voisine de comptoir… qui ne résiste pas longtemps à l’appel de la danse. Elle laisse son thé fumant et nous confie son sac à main pour s’approcher de Bassekou Kouyaté, maître malien du n’goni, ambassadeur à l’international de ce luth traditionnel. Parmi le groupe qui l’accompagne, on connait déjà son fils Mamadou Kouyaté, épatant joueur de n’goni basse du Trio Da Kali entendu au WorldStock Festival et à Jazz Sous les Pommiers. Après le fils, on découvre l’épouse, Amy Sacko, son chant aigu, sa voix tranchante. Mais aussi le petit frère à la batterie et le neveu Mahamadou Tounkara qui explose le concert par son solo de n’tama. Un mini tambour qu’il coince sous son aisselle et qu’il frappe avec tant de vélocité qu’il déclenche les acclamations.

22h30, explorateur d’un blues joué au luth africain

Le concert du maître malien se tient à Montreuil, surnommée avec exagération « la deuxième ville malienne du monde après Bamako » parce qu’elle rassemble la plus importante communauté malienne de France. Le groupe fait d’ailleurs applaudir par la salle « Monsieur le Maire qui a aidé les Maliens », relogé des travailleurs. Un drame trouve une résonance ce soir : le massacre perpétré deux jours plus tôt dans un village du centre du Mali, la tuerie la plus importante depuis la fin des principaux combats contre les djihadistes. « Le concert est dédié à tous ceux qui sont tombés, les innocents, les femmes enceintes, les gamins. » Sur un morceau au tempo ralenti, Bassekou utilise alors son n’goni avec un bottleneck, comme un guitariste bluesman. Explorer un blues inédit, joué sur un luth traditionnel africain.

Jour 2. Samedi 30 mars, 21h20, explorateurs du rapport poésie - musique

« Yerevan est une ville frontière. La mort est toujours présente, comme un chat domestique. La peur se frotte à vos chevilles, comme un chat domestique » : ces mots sont ceux d’une poétesse arménienne, récités par Chloé Bégou, mis sous tension par Anil Eraslan le violoncelliste turc. Ça se passe à l‘Atelier du Plateau, le génial petit repaire de créations pluridisciplinaires au nord de Paris, où comme les années précédentes, le patron dégaine des chaises supplémentaires pour que tous puissent entrer. On pourrait penser la forme fragile. Au contraire, il s’en dégage une certaine force : sans pupitre, sans filet, la comédienne et le violoncelliste augmenté de pédales loop donnent matière à une oeuvre contemporaine où affleurent évocations et rythmiques orientales. Explorer le rapport sensible entre poésie et musique, voilà l’idée.

Jour 3. Mercredi 3 avril, 20h15, explorateurs de la fusion du rap et du tambour antillais

Un plaisir de revenir à la Dynamo de Pantin, l’épicentre du festival. D’y boire des coups avant d’entrer dans la salle, d’y retrouver les amis qu’on y a connu au fil des concerts. Le cœur réchauffé parce que Banlieues Bleues a eu l’excellente idée de programmer Expéka Trio, notre coup de cœur du dernier Tribu Festival de Dijon. Ensemble, Casey la rappeuse, Célia Wa la flûtiste et Sonny Troupé au tambour ka antillais, tissent la matière d’un réveil de nos consciences. La salle remplie, dont une travée entière de lycéens, partage avec enthousiasme le choc qu’on avait ressenti une première fois en octobre dernier. Le coup de poing du verbe, du flow, souligné par la spiritualité de la flûte et les roulements du tambour guadeloupéen.

21h30, explorateurs des séquelles du colonialisme

Les textes parlent des séquelles du colonialisme, de l’esclavage aux Antilles : « Si le rhum coule à flots c’est parce que j’ai un sac qui pèse un massacre sur le dos. Ma vie est rivée à un sac de sucre. » Ils mettent en miroir les maux du présent, les dégâts sur les descendants. Casey dépeint ainsi des êtres anesthésiés, « des morts vivants » qui se soignent au rhum : « Du rhum vieux en guise de vitamines, un marqueur comme carabine ». Attachés à ces îles où ils retournent « par périodes, c’est une toute petite partie du globe ». Dire que Casey - jogging et cheveux tressés - incarne ses textes est trop faible. Son charisme emporte tout, son verbe découpé nous cueille : « C’est bien moi que t’as vu passer, le regard noir, la capuche baissée. J’avançais les cheveux tressés, avec ma démarche d’animal blessé. »

Jour 4. Vendredi 5 avril, explorateurs du mélange jazz cosmique – psyché arabe

Inédit en France : la scène expérimentale du Caire. Ce soir on se fie au choix de La Dynamo, avec l’espoir secret de revivre une expérience aussi forte que celle de l’an dernier avec Joshua Abrams, dont on ne s’est toujours pas remis. En première partie la chanteuse Nadah El Shazly propose un univers envoûtant, plus acoustique que ce que l’on pensait sur papier. Le vibrato et les glissés de son guitariste transpercent le cœur comme ceux d’un violon. Et pour cause, il joue sans frettes, sans les petites barres métalliques perpendiculaires aux cordes. Puis le guitariste Maurice Louca nous embarque dans une traversée, d’une traite, avec neuf musiciens et Nadah en invitée. Pour cette prog avant-gardiste de toute beauté, pour l’odyssée hypnotique Elephantine de Maurice Louca qui nous marquera durablement, on a juste envie de dire merci Banlieues Bleues.

Jour 5. Lundi 8 avril, 22h00, explorateurs d’une folk douloureuse et envoûtante

A La Dynamo toujours, ce soir le guitariste et compositeur hongrois Csaba Palotaï présente son nouvel album, Antiquity. En trio avec Rémi Sciuto au saxophone et Steve Argüelles à la batterie. C’est d’emblée splendide et envoûtant, avec une qualité de son parfaite. Il y a une épaisseur de son énorme : l’espace sonore est tapissé par les effets de réverb, d’écho, dont joue le guitariste. C’est comme si chaque parcelle de l’air, enveloppée de ces compositions folk, se chargeait de senteurs de terre humide libérées par la pluie. Et puis on ressent une espèce de douleur contenue, de tristesse dans les mélodies composées par Csaba. Comme le suintement des cicatrices de la mémoire. Une atmosphère d’effluves d’alcool. Un antidote à la sobriété.

Le bilan

Côté concerts

L’uppercut

Expéka Trio : coup de poing du flow, spiritualité de la flûte et roulements du tambour guadeloupéen

L’expérience forte

The Maurice Louca Elephantine Band : odyssée hypnotique, jouée d’une traite

L’envoûtement

Csaba Palotaï : folk douloureuse et envoûtante

Côté festival

On a aimé

- Les concerts inédits

- Les retrouvailles avec les amis qu’on a connus au festival

On a moins aimé

- L’absence de disques de The Maurice Louca Elephantine Band, on en aurait bien acheté sur place

Infos pratiques

Prix de la bière

3,5 euros (La Marbrerie), 3 euros (La Dynamo)

Prix du vin

3 euros (L’Atelier du Plateau), 3 euros (La Dynamo)

Prix de la nourriture

4 euros l’entrée (La Marbrerie, L’Atelier du Plateau), 10 euros le plat (La Dynamo)

Transports

La Marbrerie métro Mairie de Montreuil, L’Atelier du Plateau métro Jourdain, La Dynamo métro Aubervilliers Pantin Quatre Chemins

Conclusion

Notre Banlieues Bleues 2019 n’est qu’un échantillon du festival qui programme également des têtes d’affiche locomotives, des plateaux rap, rock, jazz. On aura cette année privilégié quelques inédits d’un festival jamais dans la copie, toujours dans la bonne direction, celle des explorateurs de sons. A l’année prochaine.

Crédit photo : Alice Leclercq