Visite d’atelier : Dans la lumière d’Alex Katz

Visite d’atelier : Dans la lumière d’Alex Katz
Saturday, 2002 Huile sur toile, 264.2 x 284.5 cm.

Installé depuis la fin des années 1960 à New York, dans un ancien quartier industriel du cœur de SoHo, Alex Katz nous reçoit dans son atelier du troisième étage, baigné de lumière, où il s’adonne à la peinture et au dessin avec la même énergie qu’à ses débuts. Il expose ce mois-ci à Paris, à la galerie Ropac.

Né en 1927, Alex Katz a étudié à la Cooper Union de New York de 1946 à 1949, et peut se targuer de célébrer soixante-dix ans de carrière ! Il travaille depuis un demi-siècle dans un quartier qu’aujourd’hui aucun plasticien ne peut s’offrir, mais qui fut bradé, à l’époque, par la ville de Manhattan afin d’être réhabilité. SoHo fut même, un temps, un épicentre de l’art, avant que ses loyers exorbitants ne fassent fuir les galeries. Alex Katz nous accueille dans un atelier agencé en deux parties, la première se présentant comme un très grand appartement ouvrant sur la seconde, l’espace de création, dont les hauts murs blancs surplombent deux rues en angle.

 

Des œuvres de l’artiste ponctuent l’espace, portraits, nus ou paysages. Alex Katz parle volontiers, et avec une réelle simplicité, de son parcours, intégrant parfois quelques mots de l’argot du Queens où il a grandi. Il appartient à une génération qui n’était pas sollicitée par les marchands dès l’école et il a commencé à intéresser les collectionneurs quinze ans après avoir débuté la peinture. Il énonce même, un brin taquin, que ses toiles pouvaient sembler inachevées et qu’il en était un peu gêné… Car Alex Katz a élaboré, dès le départ, cette facture qui permet d’identifier au premier regard ses tableaux, dans une alliance entre fluidité, planéité, lumière et énergie. Il se fait connaître du grand public par des scènes de genre relatant les années 1960 et 1970, de cette pâte vive et sèche par laquelle il chronique son présent. « J’ai toujours souhaité peindre ce que j’avais en face de moi et j’ai commencé par reproduire les gestes de mon époque. Dans les seventies, tout le monde buvait et fumait, j’ai donc croqué les gens en scrutant les détails, car la distinction sociale portait énormément sur les vêtements et les coupes de cheveux. Puis grâce à la danse, que j’aimais exercer, ou les activités sportives, j’ai rencontré des poètes ou des critiques d’art. » Dans l’enthousiasme d’une période prospère économiquement pour les États-Unis, Alex Katz se sent en effet attiré par les mots et la rythmique des auteurs, « qui employaient le matériau du quotidien d’une manière sophistiquée et différente du monde de l’art, qui était alors très théorique ». Parmi ses favoris, il cite Frank O’Hara, mais aussi les plus lointains Guillaume Apollinaire ou Blaise Cendrars. Peut-être est-ce en lien avec le sens de la synthèse et une immédiateté qu’il valorise dans la démarche artistique. « Mon geste est intuitif, poursuit-il, et, tout en me basant sur la réalité, je tente de faire ressentir l’inconscient. Je le réalise avec les esquisses ou avec les grandes toiles et cela m’oblige à travailler vite, car je n’ai pas le temps de réfléchir, mais juste celui de peindre. »

Un sens inné du mouvement

Pour accompagner ce besoin de représenter promptement le quotidien, Alex Katz exécute en même temps différents sujets. Il positionne ses toiles par projets d’expositions, et si certains fonds n’ont, pour l’instant, reçu que des silhouettes, d’autres démontrent sa recherche d’une infinité de verts pour évoquer le ressenti de l’herbe. Sur un mur, on découvre un double portrait et quand on évoque le nom d’Andy Warhol, né un an après lui, l’artiste affirme qu’il était précurseur du fondateur du Pop Art. À vrai dire, ils ne cherchaient pas à exprimer la même chose. Alex Katz souhaite impulser une vision active de la vie, presque cinématographique. Et aujourd’hui, il peut prendre des photographies avec son Smartphone pour éviter aux modèles les longs temps de pose et séquencer davantage les mouvements. À 90 ans passés, il garde un pas alerte et une prestance qui se révèlent communicatifs. D’ailleurs, précise-t-il, si des peintures sont réalisées morceau par morceau, d’autres sont conçues « alla prima ». La composition doit être rapide à agencer, car il appose une couleur puis une autre afin de trouver, vite, le bon équilibre de l’ensemble. Il s’accorde ainsi la liberté d’expérimenter des formats de plus en plus imposants, dépassant ce jour-là les trois mètres. Cette confrontation à l’immersif lui a-t-elle permis de se positionner dans une continuité de la peinture américaine d’après-guerre, du recouvrement de toute la surface de la toile par la peinture (all-over) ? « Je pense que les artistes de cette époque étaient passés aux grandes dimensions pour s’émanciper de l’héritage, peut-être trop lourd, venant d’Europe, notamment de Pablo Picasso ou d’Henri Matisse. Mais ils ont surtout ouvert la voie à un champ très libre de la création. J’ai embrassé celui de la figuration, car j’estimais que le all over était achevé dès 1954 et que je voulais faire de l’art pour le plus grand nombre, que chacun perçoive mes tableaux en fonction de son ressenti ou de sa culture. » On lui a d’ailleurs reproché, à certains moments de sa carrière, de ne représenter qu’une société accaparée par ses loisirs ou sa luxueuse errance, quand d’autres manifestaient contre la Guerre du Vietnam. Alex Katz l’assume, estimant que ses premières années de formation, durant lesquelles il a beaucoup regardé les impressionnistes, ont forgé sa pensée : « Une grande partie de mon attitude vient d’eux. D’ailleurs, ils n’ont jamais révélé le côté sordide de la vie. Ce n’était que de la joie et de l’évasion », s’enthousiasme-t-il ! « Quand j’étais jeune, tout le monde voulait être communiste, mais je n’ai jamais réussi à me passionner pour la politique et je préférais aller danser ou m’intéresser au basketball. On compose avec qui l’on est… Ce qui ne veut pas dire que je ne voulais pas témoigner de ma réalité… ». De ses années de formation, il a aussi conservé des agencements très structurés, qui lui viennent de Paul Cézanne. Jeune, il voulait peindre comme lui. S’il s’en est émancipé depuis, il a récemment visité une exposition du maître d’Aix-en-Provence et, même s’il l’admire moins, il avoue que sa vision le domine…

Au service de la lumière

L’observation accrue de ce qui l’entoure, la vivacité des mouvements et des couleurs sont en réalité, pour Alex Katz, au service de la lumière. Cette lumière qui unifie son tableau et lui fait même parfois changer une gamme de tonalités. Lui qui rechigne à parler de ses pairs ou des pères américains avoue adorer la manière dont certains d’entre eux traitaient la lumière. « Chez les impressionnistes, elle semblait lente car était élaborée en différentes couches, tandis que chez Willem de Kooning et Franz Kline, elle était rapide et électrique ! J’ai toujours voulu insuffler ce genre d’éclat immédiatement perceptible, qui fait écho à l’énergie et exalte la sensation chez le spectateur. » Ainsi, son œuvre a souvent été définie par sa planéité, qui n’est que le moyen de rendre les sujets plus réels et réalistes. « Une fois que vous avez découvert ma peinture, conclut-il, vous devriez pouvoir voir le monde comme la prolongation de mes toiles. C’est l’idée vers laquelle je tends depuis toujours. » Alors, lui-même se tourne vers la fenêtre, observe et se nourrit de l’essence de la ville, à ses pieds, avant de se remettre au travail.

« Alex Katz. Purple Splits »
Paris Marais, 7 Rue Debelleyme 75003 Paris
6 Juin-29 juillet 2023

 

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