Des adresses prestigieuses dans le 8e arrondissement de Paris, une atmosphère de club anglais, des membres plusieurs fois parrainés et qui ont souvent attendu des années au seuil du saint des saints avant d’être autorisés à acquitter un droit d’entrée de plusieurs milliers d’euros, puis une cotisation annuelle à peine moins élevée : l’Automobile Club Association, le Travellers Club ou encore le Cercle de l’Union interalliée cultivent l’élitisme depuis plus d’un siècle, accueillant en leur sein des descendants de grandes familles françaises, des dirigeants d’entreprise, leurs avocats, leurs banquiers et leurs conseillers. La crème du réseau d’influence ? Pas si sûr… "Ceux qui y sont admis n’ont en général plus besoin de gonfler leur carnet d’adresses. Et l’étiquette veut qu’on évite d’y parler business", explique un membre de l’Automobile Club. Ici, les porte-documents restent au vestiaire. "Mon appartenance à l’Interallié ne me sert pas particulièrement dans l’exercice de mon métier", assure de son côté le patron d’un cabinet de chasseurs de têtes réputé, qui conclut par une pirouette : "Mais le jardin est très agréable."

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Ces clubs imposent en général des règles de plus en plus anachroniques : l’Interallié s’est ouvert aux femmes il y a à peine quelques années et reste intraitable sur le port de la cravate. L’Automobile Club, dont les adhérents affichent une moyenne d’âge de 60 ans, reste fermé aux femmes. Il a même fièrement rétropédalé vers le passé en 2018 en choisissant de ne plus leur accorder l’accès à son restaurant de la place de la Concorde, y compris en tant qu’invitées ! Bref, à l’heure de la multiplication des réseaux démocratiques et égalitaires, l’accès à ces "boys clubs" n’est pas la voie la plus directe vers une carrière ascendante. L’offre de networking a en effet explosé : cercles de réflexion, clubs d’affaires, associations d’alumni, de cadres en recherche d’emploi… Quelque 85% des actifs interrogés par Kantar pour LinkedIn France fin 2018 estiment important de disposer de leur propre réseau et 31% jugent ce travail de networking essentiel, les millennials étant bien plus convaincus que leurs aînés. De fait, 40% des actifs ayant un réseau disent avoir déjà été recommandés par ce biais et près d’un tiers expliquent avoir eux-mêmes déjà recommandé quelqu’un. Un quart d’entre eux doivent d’ailleurs leur poste à une mise en relation personnelle (un tiers chez les moins de 35 ans).

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Des idées et des hommes

"Il ne s’agit plus seulement de constituer un répertoire, assure Stéphanie Evauttre, consultante chez Oasys, un cabinet d’outplacement et de transitions professionnelles. Faire partie d’un même groupe d’intérêt crée les bonnes passerelles." Les think tanks, les réseaux de femmes, les associations d’alumni d’écoles ou d’entreprises fonctionnent sur cette proximité d’expériences ou d’objectifs. Et ces groupes, un temps concurrencés par LinkedIn et ses 16 millions d’inscrits en France (en 2017), ont peu à peu renouvelé la pratique du networking dans le sens d’une plus grande convivialité et, souvent, d’une ouverture sur des préoccupations sociétales. "Nous perdions entre 3 et 5% d’abonnés ces dernières années, explique ainsi Thomas Bittner, président de l’association des alumni de l’Insead. Mais nous avons redressé la situation. Face aux réseaux sociaux, nous avons mis en place un networking bienveillant qui mise sur le contact humain."

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Les random dinners ("dîners au hasard"), qui réunissent chez l’un d’entre eux une dizaine d’anciens du MBA qui ne se connaissent pas, rencontrent un franc succès, tout comme les brunchs organisés par l’association. Celle-ci a ainsi ajouté une dimension accueillante à sa liste d’événements (240 par an, dont près de 80 ateliers carrière et des conférences thématiques). Autre initiative appréciée, le lancement d’un challenge mondial sur la réduction de l’usage des plastiques à usage unique. "Pour adhérer à une association, explique Chloé Andriamihaja, qui organise ce défi avec cinq autres alumni, il faut y trouver ce que LinkedIn ne propose pas."

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Innovation au féminin

Les réseaux féminins ont ainsi construit leur succès sur une ambition sociétale : "Ils partagent l’objectif de briser le plafond de verre", explique Emmanuelle Gagliardi, fondatrice de l’agence de conseil en mixité Connecting Women et auteure du guide 500 Réseaux de femmes pour booster sa carrière (Eyrolles). Le Professional Women’s Network (PWN), l’un des plus anciens et des plus importants réseaux de cadres et de dirigeantes, rassemble 4.000 adhérentes dans le monde et un millier en France. Au programme, une soixantaine d’événements annuels, du mentoring, des ateliers de développement, des dîners pour "gagner en confiance et progresser dans son entreprise ou trouver des jobs ailleurs", détaille sa coprésidente pour la France, Cécile Bernheim. Kerstin Leibold, ancienne DG France et directrice des ventes EMEA de Yankee Candle, une marque internationale de bougies parfumées, a ainsi profité des possibilités offertes par PWN pour lancer son offre de conseil en développement commercial européen auprès de PME et d’ETI. "J’avais déjà été adhérente de ce réseau il y a quelques années, explique-t-elle. Je me suis réinscrite en 2018 pour franchir le pas et préparer mon changement d’activité. Le programme de développement professionnel m’a aidée à présenter un pitch, à améliorer ma communication." Elle a pu être coachée par une jeune experte du numérique tandis que, forte d’un parcours international de vingtcinq années, elle concoctait pour PWN un programme centré sur le management interculturel.

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Comme plusieurs autres réseaux féminins, PWN entend désormais élargir son objectif et tendre vers plus de mixité et de diversité. Ses responsables réfléchissent d’ailleurs à un nouveau nom, plus approprié à cette ambition. Depuis quelques mois, il est en tout cas ouvert aux hommes. Un virage qu’ont déjà pris nombre de réseaux internes d’entreprise comme SNCF au féminin (plus de 5.000 membres, dont 11% d’hommes) ou encore Alter Egales du groupe Caisse des dépôts, accessible aux hommes depuis 2015. La mixité et l’égalité professionnelle étant devenues des enjeux déterminants dans beaucoup d’entreprises, ces réseaux internes ont l’oreille des directions. Ils peuvent en outre être utilisés comme vecteurs d’innovation. SNCF au féminin a par exemple travaillé sur l’expérience usager et fait émerger des solutions. "Ces réseaux, souligne Emmanuelle Gagliardi, sont très souvent sollicités sur le thème de l’équilibre vie privée-vie professionnelle."

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Grandes causes à la hausse

L’ouverture sur les thèmes de société favorise aussi l’émergence de think tanks comme la Fabrique Spinoza, consacrée au bonheur citoyen. "C’est l’un des lieux où l’on peut chercher comment revoir nos modèles de consommation et d’entreprise", explique Emery Jacquillat, qui en est membre. Président de la Camif, il a complètement réinventé il y a dix ans le modèle de la vénérable enseigne des enseignants, quasi moribonde. Il en a fait l’une des premières "entreprises à mission", ces pionnières ayant inscrit dans leurs statuts une ambition sociétale ou environnementale, dont la loi Pacte vient de fixer le cadre juridique. "Je bénéficie des contributions des autres membres et je partage mon expérience, explique-t-il. Cela conforte et légitime des choix en interne, cela pousse à réfléchir aux process."

Si les réseaux professionnels restent indispensables pour s’informer sur les évolutions du secteur et entretenir ses compétences, ils sont de plus en plus concurrencés par ces structures de réflexion aux ambitions plus larges. "Beaucoup sont encore très policés, avec des workshops animés par les mêmes consultants et des présentations corporate peu reproductibles, confirme un DRH en pause professionnelle. Cela manque d’expression individuelle et je ne suis pas sûr que cela fasse bouger les lignes dans les entreprises." Voilà pourquoi Stéphanie Evauttre prône avec enthousiasme une ouverture tous azimuts : "Le réseau est partout : le soir à la sortie de l’école, le week-end au club de sport… Beaucoup de salariés pensent qu’ils n’ont pas de réseau, par exemple quand ils sont restés longtemps dans la même entreprise. En réalité, statistiquement, nous sommes tous à six clics du président de la République !"

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4 conseils pour bien réseauter

Bien choisir ses mots. Au sein d’un réseau, il faut savoir décrire son projet de façon intéressante pour retenir l’attention en moins d’une minute. Un pitch à rédiger soigneusement. De même, devenez l’auteur de votre histoire : plutôt qu’une recherche d’emploi, évoquez un projet, une offre de services ou de compétences. Enlever les oeillères. Ne ciblez pas seulement le DG ou le cadre dirigeant. Partagez votre projet avec les interlocuteurs les plus proches : parents d’élèves, kiné, partenaires de footing, membres d’une paroisse pour les pratiquants… Ne snobez personne : pensez par exemple aux alumni de votre (vos) école(s). Et restez humble : avant de solliciter un poste, commencez par demander un avis. Porter une opinion. Indépendant ou startuppeur, vous pouvez montrer que vous êtes suivi et liké, et déployer en conséquence une activité de publication importante sur LinkedIn, Instagram ou Twitter. Soigner sa "coolitude". Capitalisez si possible sur des centres d’intérêt extraprofessionnels : sport, vin, chocolat… Restez fun !