«Luxemburg und der Zweite Weltkrieg – Literarisch-intellektuelles Leben zwischen Machtergreifung und Epuration.» Nader Ghavami

«Luxemburg und der Zweite Weltkrieg – Literarisch-intellektuelles Leben zwischen Machtergreifung und Epuration.» Nader Ghavami

Le Centre national de littérature propose jusqu’en août 2021 une exposition à la scénographie soignée, combinée à un livre sur la vie littéraire et intellectuelle durant la Deuxième Guerre mondiale, avec un premier volet éloquent sur le Luxembourg des années 1930, théâtre des mêmes déchirements idéologiques que chez ses voisins avant l’Occupation nazie.

Certaines périodes ont besoin d’être oubliées ou méconnues pour mieux être redécouvertes quelques décennies plus tard. Si les travaux de Vincent Artuso et Denis Scuto ont levé la chape de plomb qui pesait jusqu’aux années 2000 sur la réalité de la Gauleitung et notamment la spoliation des Juifs, «la vie intellectuelle et littéraire n’avait pas fait l’objet de recherches», relève Daniela Lieb, collaboratrice scientifique au CNL et co-auteur du projet «Luxemburg und der Zweite Weltkrieg – Literarisch-intellektuelles Leben zwischen Machtergreifung und Epuration» («Le Luxembourg et la Deuxième Guerre mondiale – La vie littéraire et intellectuelle entre la prise de pouvoir par les nationaux-socialistes et l’épuration»). «C’est pour combler en partie cette lacune sur un domaine resté terra incognita que nous avons réalisé ce projet.»

Six chercheurs – Claude D. Conter, Daniela Lieb, Marc Limpach, Sandra Schmit, Jeff Schmitz et Josiane Weber – et quatre ans de recherches ont été nécessaires pour façonner une exposition riche en documents historiques et en points de vue, des auteurs de l’entre-deux-guerres aux écrivains déportés dans des camps de concentration, en passant par les résistants et enrôlés de force.

Daniela Lieb a travaillé sur le premier volet de l’opus collectif, consacré aux années 1930, «une époque au miroir de ses discours». «Il a été rapidement manifeste que la guerre au Luxembourg n’a pas commencé le 10 mai 1940, mais bien plus tôt dans les années 1930 dans les idées et les discours», explique-t-elle. «Les auteurs et intellectuels luxembourgeois ont commencé à réfléchir sur l’Allemagne dominée par les nationaux-socialistes et sur la position que le Grand-Duché devait adopter vis-à-vis de cette Allemagne, ainsi que sur leur propre rôle dans ce processus.»

Il faut dire aussi que l’expérience de l’Occupation par le Reich allemand pendant la Première Guerre mondiale est encore fraîche dans les mémoires des Luxembourgeois des années 1930. Mais si certains sont très sensibles à la menace du voisin germanique, «il y a également des voix qui voient dans l’Allemagne national-socialiste un possible modèle pour la société luxembourgeoise», ajoute Mme Lieb. «Le Luxembourg des années 1930 est de ce fait extrêmement fragmenté, traversé par de nombreuses tensions idéologiques.»

Une polarisation sous-jacente, mais sans coup d’éclat à l’image de la sanglante manifestation antirépublicaine du 6 février 1934 en France. Quelques indices signalent toutefois ces tensions, comme le projet de loi dite «loi muselière» de 1937 tentant d’interdire le parti communiste, mais finalement rejeté par un référendum. «Il s’agissait d’une polarisation de la société luxembourgeoise comme elle n’en avait jamais connue auparavant», souligne Mme Lieb.

«Cette fragmentation semble décroître vers la fin des années 1930, mais ressurgit, avec une nouvelle orientation, lors de la grande fête marquant le centenaire de l’indépendance du Grand-Duché en 1939», poursuit Mme Lieb. «Par exemple, deux groupes concourent pour organiser un spectacle en plein air, l’un avec des auteurs et musiciens luxembourgeois et l’autre avec le directeur du Conservatoire de musique de la Ville de Luxembourg qui est belge. C’est lui qui l’emporte, donnant lieu à la colère de l’autre groupe qui a recours à des arguments nationalistes en disant que ce sont des Luxembourgeois et non des étrangers qui doivent réaliser ce spectacle. La fragmentation demeure et se renforce par des déclarations d’exclusion envers autrui pour des raisons linguistiques, culturelles ou ethniques.»

Une exclusion dont sont d’ailleurs victimes les écrivains. «Le rôle identitaire de la littérature est constamment surligné, notamment par l’emploi de la langue luxembourgeoise, mais la littérature joue un rôle très faible lors des manifestations du centenaire et les auteurs en sont mécontents.»

Les penchants des années 1930 se confirment pendant la Deuxième Guerre mondiale. Eugen Ewert et Damian Kratzenberg, par exemple, séduits par l’idéologie national-socialiste d’avant-guerre, rejoindront les collaborateurs durant l’Occupation. La Gedelit, la société luxembourgeoise pour la littérature et l’art allemands, initialement apolitique, se transformera en un bassin de recrutement.

Le socialiste Emile Marx prend la voie de l’exil, l’historien Pierre Biermann et le journaliste Pierre Grégoire, eux, s’engagent dans la résistance. «Il y a aussi beaucoup de cas ambivalents, des intellectuels qui peuvent collaborer le jour et résister la nuit, comme l’a si bien formulé l’historien Henri Wehenkel», précise Mme Lieb. «Ces nuances de gris sont très caractéristiques de la situation au Luxembourg à cette époque.» D’ailleurs, très peu de livres ont été publiés durant la guerre, marquant une réserve des intellectuels à l’égard du régime de l’Occupation.

Quant à l’antisémitisme, il est aussi présent dans les années 1930 au Grand-Duché. Toutefois, «il n’est pas fondé sur des arguments raciaux, mais plutôt économiques», précise Mme Lieb. «De nombreux Juifs de Sarre sont venus se réfugier au Luxembourg après l’annexion de la Sarre, ce qui fait naître dans certains milieux la crainte que ces réfugiés ne dépossèdent les Luxembourgeois de leur travail ou de leur culture. Certaines voix dans les journaux estiment que les Juifs vont éclipser les journalistes luxembourgeois.»

L’identité luxembourgeoise s’est construite sous plusieurs aspects pour se différencier de l’Allemagne national-socialiste.

Daniela Liebcollaboratrice scientifiqueCentre national de littérature

Et s’il est convenu de considérer le référendum de 1942 comme un signal fédérateur de l’identité luxembourgeoise, les années 1930 en ont marqué les prémices. «L’identité est typiquement un processus en mutation permanente», souligne Mme Lieb. «L’identité luxembourgeoise s’est construite sous plusieurs aspects pour se différencier de l’Allemagne national-socialiste: elle se voit comme pacifiste, fondée sur les valeurs civiles.» Instrument littéraire par excellence, la langue a toutefois joué des tours aux Luxembourgeois puisque trop proche de l’allemand. Le premier acte du Gauleiter sera d’ailleurs d’interdire les autres langues que l’allemand standard (Hochdeutsch), intervenant directement dans la culture luxembourgeoise.

«Mais on peut être patriote sans (vouloir) parler luxembourgeois», glisse Mme Lieb, citant l’exemple de Marcel Noppeney, écrivain «francophile et francophone qui ne parlait luxembourgeois qu’avec son personnel». Déporté à Dachau, il verra en l’Allemagne nazie la confirmation de ce dont il était convaincu depuis longtemps: «Tout le peuple allemand est criminel, du moins d’intention.»

Documents historiques à l’appui, l’exposition nourrit ce thème du Luxembourg des années 1930, et d’autres du catalogue, permettant de se représenter le contexte intellectuel de l’entre-deux-guerres et de l’Occupation. Une nouvelle pierre à l’édifice de recherches historiques et pas seulement mémorielles sur une période douloureuse de l’histoire luxembourgeoise et européenne.

L’exposition «Luxemburg und der Zweite Weltkrieg – Literarisch-intellektuelles Leben zwischen Machtergreifung und Epuration», en luxembourgeois et en allemand, est ouverte au public du lundi au vendredi, de 9h à 17h, jusqu’au 30 juillet 2021 au rez-de-chaussée du . Le catalogue de 596 pages est disponible à la vente au prix de 45 euros dans les librairies, ainsi que sur ernster.com et shop.literaturarchiv.lu.