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Le London Latin Jazz Festival, reflet de la diversité londonienne

Brésil, Argentine, Colombie, Portugal, et bien sûr Cuba. Le temps d’une édition, le London Latin Jazz Festival de Londres s’est transformé en festival de toutes les musiques latines.

Publié le 13 novembre 2019 à 08h57, modifié le 16 novembre 2019 à 17h56 Temps de Lecture 7 min.

La B.O. qui s’était spécialisée funky

Octobre 2018. PizzaExpress Live, Soho. Le brésilien Aleh Ferreira, ancien chanteur de Banda Black Rio, apporte une conclusion festive et funky au London Latin Jazz Fest. Lundi 21 octobre 2019. Comme pour prolonger la fête, le festival londonien invite l’iconique Ed Motta. Bien que controversé dans son royaume, le pianiste brésilien est encensé dans le monde entier. Logiquement, le répertoire se concentrera sur le récent Criterion of The Sense ainsi que le formidable AOR pour Adulte Oriented Rock, pop funky venue de Californie dans les années 70 et 80 (On parle aussi de soft rock) importée en France par feu le programme europe 2.

Le tout forme un ensemble cohérent, entre Boz Scags et Steely Dan, Christopher Cross et Michael Mc Donald. Si pour Eduardo, Donald Fagen est un modèle, on pense également à Al Jarreau mais aussi à Stevie Wonder. Debout au chant toute la première partie du concert, le Maestro est en verve. « Vous vous rappelez Magnum ? » Pour composer Playthings of Luv il raconte s’être inspiré des séries américaines des années 80. Pas forcément très dansant mais l’esprit sied parfaitement à l’ambiance du restaurant. Quelques scats bien sentis, deux trois solos millimétrés, on aimerait seulement que les improvisations durent plus longtemps. Il faudra attendre la fin du concert pour voir les convives se lever aux premières notes des classiques Colombina et Drive Me Crazy. La conclusion ? Le générique de Magnum, forcément.

London Tango Orchestra. Londres, le 22 octobre 2018

Dernier tango à Londres

Fondé il y a une dizaine d’années par la violoniste Caroline Pearsall alors qu’elle poursuivait un master en ethnomusicologie, le London Tango Orchestra se consacrait à ses débuts à un répertoire de milongas, faisant, on peut l’imaginer, le bonheur des danseurs de la capitale britannique. Au programme ce mardi soir, différents styles de tangos dansants, un hommage appuyé à Astor Piazzolla avec des arrangements récents d’El Titere, La Ultima Grela, Jacinto Chiclana, mais également des compositeurs contemporains. Pour Caroline Pearsall, « il est important de montrer que cette musique se renouvelle et évolue. »

Souffrante, la violoniste s’était faite remplacer par sa condisciple Diane Aidenbaum. On regrettera également la substitution du bandonéon par un accordéon. Impossible cependant de ne pas succomber aux charmes du spectacle, de ne pas savourer le jeu du chanteur Guillermo Rozenthuler en inénarrable « Madame Beware » dans une version française de Oblivion et une interprétation habitée de Balada Para Un Loco, la Balade Pour Un Fou de Julien Clerc. Quant à l’amateur de musique latine, il ne se lassera pas de trouver ici ou là quelque influence de la musique classique cubaine, voire même quelques touches afro-cubaines.

L’esprit de Guapi

Guapi, Colombie. Ville phare de la musique du Pacifique, qui a vu la naissance de José Antonio Torres Solís dit « Gualajo », mythique joueur de marimba disparu en 2018, et de Hugo Candelario González, directeur de Grupo Bahía. Son camarade Emeris Solis a fait partie de Grupo Bahía avant de venir s’installer en Angleterre il y a plus de deux décennies. Lorsque le percussionniste se voit proposer de monter un projet pour le festival, il n’a pas l’ombre d’une hésitation. Il y met toutefois une condition : avoir un joueur de marimba digne de ce nom. Il fera appel pour cela à La Wey Segura, bien connu du milieu parisien.

Guapi Soul. Londres, le 24 octobre 2019.

Tous deux originaires de Guapi, La Wey et Emeris montent ensemble un programme de tamboritos, bundes et currulaos autour du répertoire de Grupo Bahía augmenté des compositions de La Wey. Aux instruments traditionnels, ils ajoutent un piano, une trompette et une contrebasse. Luzmira Zerpa, chanteuse de la Family Atlantica, les rejoindra. Le mariage entre le jazz et la musique du Pacifique fonctionnera au-delà de toute espérance. Il faut dire que des titres tels que Makerule, San Antonio, Kikele sont juste irrésistibles. Vous aimez Herencia de Timbiquí ? C’est du même acabit. La section jazz apporte un supplément d’âme et un angle original. Des conversations impromptues s’improvisent entre la trompette (Shanti Paul Jayasinha) et la marimba, entre le piano et les chants d’inspiration africaine. L’ensemble, porté par le public, est très applaudi. On souhaite un enregistrement ardemment.

La tristesse enchanteresse du fado

Claudia Aurora a commencé à chanter le fado après avoir quitté son Porto natal pour s’installer à Bristol. Rien de tel que le climat britannique pour vous plonger dans des affres de mélancolie. Ce jeudi 24 octobre, des trombes d’eau s’abattent sur Londres. Le programme de la soirée m’enthousiasme autant que d’aller fleurir des tombes un matin de Toussaint. Le fado, synonyme de tristesse ? Les lieux communs ont la vie dure. Premier morceau, Silêncio. Le rythme léger et cadencé m’enchante. Le lieu, murs noirs, colonnes rouges et lumières tamisées est comme un écrin.

Entre chaque chanson, elle se pose en interprète. Claudia raconte des histoires de marins, d’exils et d’amours contrariés. Elle rend hommage à Amália Rodrigues, la reine du fado canção. La chanteuse interprète une déchirante Lua. Avec malicieuse, elle interpelle l’audience : « Alors, vous êtes tristes ? » Pas si triste. La magie opère. Un air de flamenco, Tico Tico. Maos de Luar : Comment résister au mariage du violoncelle et de la voix ? Le tour de chant s’envole, la conclusion s’annonce légère, d’une flamenca Cigana à une heureuse Promessa qui me poursuivra pendant des jours.

Evolución mi-Eli, mi-funky

Ce vendredi, c’est à Eliane Correa, la programmatrice du festival, que reviendra la tâche de faire danser les spectateurs. Depuis huit ans, la pianiste met régulièrement le feu le vendredi soir au Ronnie Scott’s Upstairs. Live-band par excellence, La Evolución est le seul groupe non cubain que je connaisse capable d’interpréter de la timba (salsa cubaine contemporaine) avec seulement cinq musiciens. Ce ne sont pas pas cinq, mais douze musiciens qui se présenteront ce vendredi soir sur la scène du club de Soho. Une Evolución XXL, dans laquelle les chanteuses Yasmeen Quintana et Manuela Panizzo rejoindront la bouillante Juanita Euka. Au programme, des compositions nouvelles (jolie Habana au style tout ce qu’il y a de plus traditionnel) et anciennes (No Se Vende, Somewhereland), dont on se dit en les écoutant qu’il est vraiment dommage qu’Eliane ne compose pas plus, pour elle-même ou pour les autres.

La soirée prendra une tournure inattendue avec Superstition et le moins connu Signed Sealed Delivered de Stevie Wonder (redoutables dans leurs deuxièmes parties salsa), les désormais classiques versions d’Alex Wilson des tubes Ain’t No Body et You Gotta Be, et un hommage à Michael Jackson façon Tony Succar, remarquablement exécuté. Debout l’audience bouscule les tables. Le salséro en ressortira enchanté. Ce n’est qu’au bout de plusieurs jours, au moment d’écrire ces quelques lignes, que mon verdict se fera plus nuancé. Eliane est une musicienne brillante. J’aurais apprécié une setlist plus personnelle. Dans quelques semaines, Eli y La Evolución se produira au Ronnie Scott’s, en bas cette fois. Elle a les compositions, elle a le talent. On lui souhaite de s’imposer avec son propre répertoire.

Jay Phelps. Londres, le 26 octobre 2019.

Du jazz à l’afro-cubain

Pour apporter un point final à cette septième édition, Eliane Correa avait fait appel au trompettiste Jay Phelps, musicien versatile s’il en est. Pour s’en convaincre, il suffira de regarder son parcours. Venu du hard-bop, sideman et band leader apprécié, ne jurant que par Wynton Marsalis, il est le produit d’un jazz on ne peut plus traditionnel. Après une côte cassée et deux années sur les routes, le trompettiste revient avec un diptyque pluriel « Chaos or Commerce » et « Soulandvr », qui va du free-jazz à l’électro en passant par des incursions dans la pop. Dans ces « Afro Cuba Jazz Sessions », il complète son quartet avec un trio de percussionnistes cubains formé de Hammadi Valdés, Oreste Noda et Gerardo de Armas.

Samedi 26 octobre 2019. La dernière soirée du festival est une nouvelle fois extrêmement intéressante. J’ai pu assister à deux concerts furent très différents. Pendant le premier concert, je me suis régalé de l’univers du trompettiste. J’ai apprécié comment ce musicien issu de la tradition a su intégrer toutes ses influences pour les restituer sous une forme toujours classique (très beau quartet, au passage). Tout est bon : les titres emblématiques L.S.G. (Love So Good) et Everyone’s Ethnic, un hommage à Roy Hargrove, une reprise de Banda Black Rio ou encore un incroyable arrangement de Spread du groupe de hip-hop Outkast. Ça n’est qu’au moment de la rumba du deuxième concert que j’ai réalisé que quelque chose était en train de se passer. A partir de cet instant, j’ai été le témoin de très belles conversations entre les percussionnistes afro-cubains et les musiciens de jazz. Le point de bascule a lieu lorsque le batteur est passé du côté des Cubains, entraînant le trompettiste dans une course-poursuite exaltante et effrénée, amenant la belle équipée là où elle n’aurait pas imaginé.

Créé en 2012 par le pianiste Alex Wilson, le London Latin Jazz Festival est depuis trois ans entre les mains d’Eliane Correa, artiste multicasquettes, directrice musicale des groupes Wara, En El Aire Project et La Evolución, par ailleurs clavier sur The World of Hans Zimmer. Avec des choix forts et la volonté de monter des projets spéciaux, la pianiste a définitivement imprimé sa marque sur la manifestation.

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