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Tribune

Opinion | Préparer l’Afrique au tsunami de la 4e révolution industrielle

Les acteurs publics et privés du continent africain doivent investir dans les hommes et dans les infrastructures (data centers, IA, robotique) pour faire face à la 4e révolution industrielle en cours. Il en va de la souveraineté des États du continent et de l'avenir d'une jeunesse qui représente 60 % de la population africaine.

Par AMAURY DE FELIGONDE (Partner, Okan)

Publié le 7 janv. 2019 à 15:26

À l’heure où des start-ups du monde entier se pressent à la 23e session annuelle du CES à Las Vegas, et quelques mois après qu’une "machine" conçue par Google ait battu le champion du monde de jeu de Go, il est établi que la "quatrième révolution industrielle" est appelée à bouleverser le monde tel que nous le connaissons. Elle succède aux révolutions de la vapeur (18e siècle), de l’électricité (19e siècle) et de l’informatique (20e siècle). Elle est fondée sur des innovations technologiques qui amalgament les sphères physiques, numériques et biologiques.

À l'instar des précédentes, cette révolution a le potentiel d'améliorer la qualité de vie des populations à travers le monde, ou de marginaliser des populations entières, qui ne "seraient pas dans la course". Avec ses célèbres GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), ses milliers de start-ups (Silicon Valley), ses universités d’excellence, l’Amérique est en avance dans la course technologique. La Chine et l’Europe suivent. Quid de l’Afrique ? Le continent est-il acteur de cette révolution ? Ses populations en seront-elles bénéficiaires ?

L’une des manifestations de cette révolution est l’apparition et la prolifération rapide du téléphone mobile grâce à l’amélioration des batteries et à la croissance exponentielle tant de la puissance de traitement que des capacités de stockage informatiques. L’Afrique a su se saisir de cette rupture technologique.

La diffusion accélérée du mobile a permis aux Africains, notamment les plus pauvres, de transférer de l’argent de façon simple et économique, dans un contexte de sous-bancarisation extrême (moins de 20 % en Afrique subsaharienne). Les paiements mobiles représentent environ 50 % du PIB du Kenya, créant un lien économique majeur entre les ruraux et les citadins, grâce à M-Pesa. En Afrique de l’Ouest, "je te fais un Orange Money" est entré dans le langage courant. Les investisseurs ont investi dans 45 start-ups africaines de la "fintech" en 2017. En Afrique anglophone, les start-ups Flutterware et Paystack ont levé près de 100 millions de dollars et pour la première fois en Afrique francophone, InTouch a levé plusieurs millions d’euros pour se déployer dans 30 pays.

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Le secteur de l’énergie connaît également une révolution sans précédent en Afrique, continent où 600 millions de personnes (deux tiers de la population) n’ont pas accès à l’électricité. La conjonction de la baisse drastique des prix des panneaux solaires et des batteries et de l’ubiquité des mobiles a permis le déploiement à vaste échelle d’offres de pico-solaire adaptées aux bourses des ménages les plus modestes. M-Kopa a ainsi vendu plus de 500 000 kits en Afrique de l’Est, touchant près de 3 millions de personnes. En Afrique de l’Ouest, EDF a entrepris de démocratiser ces systèmes de "pay-as-you-go" en Côte d’Ivoire et au Ghana, en partenariat avec la start-up Off-Grid-Electric, tandis qu’Engie investissait 20 millions USD dans Bboxx.

Malgré ces succès, l’Afrique demeure largement aujourd’hui un "usager" de ces technologies, plutôt qu’un "inventeur" ou un "prescripteur". Il est donc temps que les forces vives du continent s’appuient sur les atouts existants, pour que l’Afrique ne soit pas marginalisée dans la course à l’innovation. Que faire ?

Tout d’abord, il faut investir, notamment dans le domaine stratégique de l’intelligence artificielle ("IA"). L’Afrique est très en retard, les gouvernements et les entreprises du continent n’ayant pas investi dans des programmes "à la Darpa" (financements publics américains) ou "à la Ali Baba" (leader chinois du e-commerce). Face à cette situation, l’initiative récente de création, au Rwanda, de l’African Masters of Machine Intelligence (AMMI) est porteuse d’espoir : le continent le plus jeune du monde (60 % de la population a moins de 25 ans) a enfin accès à une formation de classe mondiale. Investir également dans certaines infrastructures : des pays comme le Maroc ou le Rwanda commencent à installer de puissantes fermes de serveurs sur leur sol, symbole de leur prise de conscience de l’importance de la "cyber-souveraineté nationale" face aux fournisseurs internationaux comme Amazon, Microsoft ou OVH.

Il faut également investir dans l’industrie, afin de créer des emplois durables pour les 30 millions de jeunes arrivant chaque année sur le marché, dans un contexte où les progrès de la robotique, de l’AI et de l’impression 3D menacent les emplois non qualifiés. Dans, "Le prochain Atelier du Monde", paru en 2017, Irene Sun dessine une Afrique s’industrialisant grâce aux investisseurs chinois, venus chercher sur le continent une main-d’œuvre devenue trop onéreuse en Asie. Pour faire de ce rêve une réalité, les États africains (Éthiopie, Madagascar dans le textile, Maroc dans le BPO et l’automobile) doivent s’assurer que tous les facteurs de productions (main d’œuvre, énergie, logistique) montent en qualité et s’adaptent à "l’industrie 4.0".

Plus largement, l’Afrique doit investir plus dans la recherche et l’innovation. Le continent possède 15 % de la population globale, mais produit 2 % de la recherche mondiale et 0,1 % des brevets mondiaux. Des exemples montrent que le continent peut être performant en la matière. L’Afrique du Sud présente des universités de classe mondiale et dépense près de 1 % de son PIB en R&D. Le Nigeria et le Kenya ont des "scènes tech" vibrantes, permettant à des start-ups innovantes de voir le jour, y compris dans l’éducation, avec des sociétés comme Andela. L’installation récente d’une école 1337 au Maroc, sur le modèle de l’École 42 française, est le signe que les formations technologiques peuvent essaimer en Afrique.

"Tant que les lions n'auront pas de griots pour chanter leurs hauts faits, les histoires de chasse, continueront d'être chantées pour la gloire des chasseurs". De la même façon, il est indispensable que des acteurs technologiques puissants, publics et privés, émergent en Afrique, afin que les populations de ce continent puissent bénéficier pleinement de la 4e révolution industrielle qui vient.

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