un jeune youtubeur qui est imprimé sur un paquet de rouleaux de papiers toilette

Sur YouTube, la pub devient un divertissement comme les autres

© Aurelien Preveaux Via YouTube

En pratiquant la publicité native à outrance, les youtubeurs s'approprient le discours commercial. Ils réinventent les codes... au risque de brouiller la frontière entre contenu et sponsorisation.

« Salut à tous, avant de commencer ma vidéo, je voudrais remercier mon sponsor NordVPN !  » Même si vous n'êtes qu'un spectateur occasionnel de YouTube, il est fort probable que vous soyez déjà tombé sur ce genre de message. C'est ce que l’on appelle de la publicité native. En gros, c'est de la publicité mais qui n'est pas réalisée par une agence. Ici, c'est celui qui héberge la pub qui l'a réalisée.

Cette pratique n'est pas nouvelle, mais elle trouve un regain de vitalité. La scène du podcast américain l'a beaucoup pratiquée, désormais, la publicité native se propage sur YouTube. Certaines marques ont beaucoup contribué à ce développement. NordVPN ou bien les coques de téléphone portable RhinoShield ont ainsi massivement sponsorisé les youtubeurs les plus populaires. Les différentes campagnes ont été tellement intenses que le matraquage a même été moqué par les internautes avant d’être totalement accepté

Les trois formats de la pub native

À quoi ressemblent ces publicités natives ? Il en existe de différentes sortes.

La plus courante est un simple message de remerciement assorti d’un petit pitch commercial placé en début ou en fin de vidéo. C'est le format minimum : la publicité est récitée par le youtubeur, et le reste du contenu n’a le plus souvent rien à voir avec le produit.

Mais certains youtubeurs vont plus loin. Ils produisent carrément un petit sketch. Certains s’amusent avec les codes les plus grossiers de la publicité, et d'autres vont carrément se moquer de la marque ou du produit dont il est question.

Dans cet exercice, c’est dans doute le Joueur du grenier qui excelle le mieux. Entre deux phases du pitch que la marque veut absolument faire apparaître, Frédéric Molas intègre des blagues de sa composition. Le youtubeur joue à fond la carte de la connivence pour un résultat parfait. Une publicité pour un jeu mobile inconnu devient un sketch à part entière.

Mais il existe des formats qui vont encore plus loin. Dans le cadre de certaines opérations spéciales, c’est le contenu entier de la vidéo qui devient comme une publicité géante. L’un des cas les plus emblématiques reste la vidéo d’Aurélien Préveaux intitulé « Je suis une Star du PQ » dans laquelle le youtubeur raconte de A à Z comment il en est venu à consacrer une vidéo sur du papier toilette. Le résultat est plutôt probant et on se surprend à apprécier le résultat.

Pourquoi les marques aiment les formats natifs ?

Est-ce à dire que les youtubeurs sont devenus les nouvelles agences de publicité, ou tout du moins meilleurs qu'elles ? Boris Le Guen, social amplification manager chez We are Social, tempère le propos. « Les vidéastes ont la chance de très bien connaître leur communauté, explique-t-il. Ils bénéficient d’une liberté de ton que l’on ne retrouve pas dans les médias et certaines marques ont bien compris qu’elles devaient s’adapter et laisser les youtubeurs être créatifs pour avoir un impact positif sur le public. Quant aux agences, elles se retrouvent au milieu pour faire le lien. Au final on a un système qui s’autonourrit. »

Comme pour les chewing gum Kisskool (promis, cet article n’est pas sponsorisé), la publicité native a deux effets très bénéfiques pour les annonceurs. Le premier et le plus notable, consiste à faire accepter aux audiences une présence presque continue des marques dans le contenu qu’elles regardent. Non seulement le nombre de youtubeurs sponsorisés est suffisamment important pour toucher le plus grand nombre de public, mais ces derniers affichent une grande transparence dans leur rapport avec la marque. « On ne peut pas rêver mieux, indique Boris Le Guen en évoquant la vidéo d’Aurélien Préveaux avec la marque Lotus. Le youtubeur explique sa démarche, raconte comment il a hésité à faire cette vidéo et finalement comment s’est passé notre collaboration et même nos échanges de mails. »

Le second « effet Kisskool » (non, je vous jure que cet article n’est vraiment pas sponsorisé), c’est tout simplement l’image très positive dont va bénéficier la marque sur son rapport à la création. Non seulement elle accepte que les youtubeurs se moquent d’elle, mais en plus elle permet à ces derniers de vivre et de créer du contenu original. « C’est un sentiment qu’on peut ressentir dans la dernière vidéo du Roi des rats, indique Boris Le Guen. Pour faire financer son reportage en Corée du Nord, il s’est rendu compte qu’il allait avoir besoin d’argent et il a donc demandé à RhinoShield de sponsoriser sa vidéo. Il prend le temps d’expliquer la démarche et de préciser que sans la marque, il n’aurait pas pu réaliser ce projet. Dans ces cas-là, la marque devient une sorte de mécène ou de bienfaiteur ».

Du feat, du fun et de la confusion

Autodérision, transparence des rapports avec la marque, créativité, adhésion des audiences... la publicité native n'a-t-elle que des qualités ? Heu... pas si simple. Elle pose aussi de vraies questions, celle de brouiller la frontière entre contenu original et message commercial. 

Ce sentiment de confusion se trouve notamment dans la vidéo « La réunion » du youtubeur Leopold. Cette dernière met en scène le vidéaste en réunion avec McFly et Carlito en train de réfléchir à des idées de mise en scène pour réaliser un sketch sponsorisé pour RhinoShield. Le format applique à la lettre le précepte du « feat and fun » selon lequel une vidéo YouTube fonctionne bien quand elle mélange des invités prestigieux (le feat) et du divertissement comme des challenges ou des sketchs (le fun, donc). Résultat : la vidéo cumule 1,4 millions de vues et on ne peut s’empêcher de se demander à la fin : « Attends, c’est un sketch ou une publicité que je viens de regarder ? ».

Améliorer le cadre législatif ?

Si un public averti peut comprendre cette ambiguïté, il n’est pas certain que ce soit le cas de tout le monde. Comme le souligne Guilhem Bodin, Partner Media et CRM au sein de l’entreprise Converteo, le cadre législatif qui entoure ce type de publicité a besoin d’être structuré. « La règlementation nous oblige à mentionner quand on est sur un message sponsorisé ou à contenu publicitaire et ce sont des choses qui sont faites de façon plus ou moins visible selon les influenceurs, ce qui donne aussi un impact différent d’un message à un autre. »

Pour ce qui est de la vidéo « La réunion », la mention est réalisée dans le petit texte situé en dessous et prend la forme d’un remerciement... c’est tout. « À long terme, le fait de jouer sur cette confusion entre divertissement et publicité risque de créer une déception qui pourrait avoir un impact négatif sur les influenceurs, mais aussi sur les plateformes », indique Guilhem Bodin. Mais il sera trop tard. Une génération entière ne saura plus faire la différence entre un contenu et de la publicité.

David-Julien Rahmil

David-Julien Rahmil

Squatteur de la rubrique Médias Mutants et Monde Créatif, j'explore les tréfonds du web et vous explique comment Internet nous rend toujours plus zinzin. Promis, demain, j'arrête Twitter.
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commentaires

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  1. Avatar Marie dit :

    hello ! ça fait super longtemps que ça existe, l'industrie du jeu vidéo fait ça depuis des années, et désormais toutes les marques s'y mettent. Ses campagnes retrent dans le cadre de "l'influence" et de nombreuses régies en proposent à tour de bras, comme webedia par exemple pr ne citer qu'un des plus gros, et bien sur que les agences sont également derrière pour vendre ses projets ! c'est un business lucratif qui n'a rien de nouveau 🙂 il est désormais tout simplement bien plus répandu car les influencers se sont aussi multipliés et que les agences média, pubs, social se tirent la bourre sur ce sujet

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