Homo Domesticus

Une recension de Catherine Portevin, publié le

Rousseau n’était pas loin du compte lorsqu’il écrivait : « Le fer et le blé ont civilisé l’homme, et perdu le genre humain. » L’anthropologue James C. Scott dirait plutôt « le blé et l’État », mais l’idée est la même : la naissance de l’agriculture n’est pas la meilleure chose qui soit arrivée à Sapiens. Il aurait pu en être autrement, et la Terre comme l’humain s’en seraient mieux portés. L’archéologie récente remet de fait en cause la linéarité du grand récit évolutionniste, qui mène du chasseur-cueilleur nomade à la domestication des animaux et des plantes, puis à l’agriculture – donc à la sédentarité –, au regroupement dans des cités-États, à l’écriture, au commerce, à l’art, sur l’axe du « progrès de l’esprit humain » dessiné peu après Rousseau par Condorcet.

À plus de 80 ans, James C. Scott s’est plongé dans tous ces travaux scientifiques et, avec opiniâtreté et modestie, entreprend de tisser autrement les fils de l’histoire, dans un passionnant récit qui s’ancre en Mésopotamie, où sont apparus vers la fin du IVe millénaire les plus anciens États du monde. Il se demande ce que la vie sédentaire pouvait avoir de désirable – elle n’apparaît d’ailleurs, souligne-t-il, que dans « les derniers 5 % de l’histoire humaine ». Or le chasseur-cueilleur, mobile, se nourrissant de ressources variées et faciles à obtenir, avait beaucoup plus de temps libre et était en bien meilleure forme que l’agriculteur, abîmé par les labours, asservi par le soin de ses troupeaux, vulnérable aux épidémies que favorisent le grégaire et l’immobilité. Et pourquoi la culture des céréales a-t-elle été préférée à la polyculture de l’igname, du manioc ou de la patate douce au rendement rapide et exigeant peu d’efforts ? Son hypothèse : les céréales sont plus faciles à contrôler, tarifer, stocker… et prélever par l’impôt. 

« Qui domestique qui ? » est la question qui traverse son histoire de l’Homo domesticus, ou comment l’homme refuse, consent à, ou fabrique sa propre servitude, en asservissant la nature, les animaux et ses semblables. James C. Scott appartient au courant de « l’anthropologie anarchiste » qui s’intéresse à décrire, non les formes instituantes des sociétés, mais ce qui les conteste. Au cœur de l’Homo domesticus se trouvent aussi les « barbares », nomades, qui coexistèrent avec les « civilisés » par razzias et destructions, mais aussi échanges commerciaux. « L’âge d’or » finit pour eux avec les débuts de l’État-nation au XVIIe siècle. Entre-temps, les barbares étaient devenus les mercenaires ou les esclaves des États. D’autres formes, cruelles, de domestication…

Trad. de l’américain M. Saint-Upéry

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