Avec l'aide de la biologie, les scientifiques veulent créer des «bétons vivants»
Pour offrir des alternatives aux solutions classiques de réparation, les chercheurs intègrent des micro-organismes dans le béton. Ces derniers sont capables de colmater des fissures, voire de se reproduire et de former de nouveaux matériaux.
Emmanuelle Picaud
Demain, nos bâtiments et nos ponts seront-ils capables de s’auto-réparer ? Des recherches scientifiques récemment menées aux Etats-Unis et en Europe sur des matériaux de construction pourraient laisser croire que oui.
Dans les colonnes de son édition du 15 janvier 2020, le New York Times consacre un reportage à un groupe de chercheurs du Colorado, qui ont mélangé du sable avec des cyanobactéries, de l'eau et de la gélatine afin de créer du béton.
En quelques jours, la reproduction des bactéries a engendré une "démultiplication" du matériau. Le département américain de la Défense s’est déjà montré intéressé par cette solution et envisage même d’y recourir dans des lieux difficiles d’accès.
Une idée ancienne
Dans le même ordre d’idées et toujours aux Etats-Unis, des chercheurs du Massachusetts institute of technology (MIT) ont développé un matériau de construction composé d’un hydrogel et de chloroplastes d’origine végétale, qui réagit avec la lumière et le dioxyde de carbone présent dans l’air ambiant. Le produit ainsi créé peut se développer, se renforcer et se réparer tout seul en cas de dégradations (fissurations, etc.).
« L’utilisation de matériaux auto-cicatrisants dans la construction est en réalité très ancienne. Au IVe siècle, l’Empire Byzantin incorporait déjà des grains de silicate de calcium dans les façades de la basilique Sainte-Sophie, à Istanbul (Turquie).
Ce bâtiment a survécu à de nombreux tremblements de terre, malgré les microfissures induites par chaque secousse, et finalement guéries au fil du temps. Mais cette notion est restée inexplorée pendant des siècles », observe Eleni Chatzi, enseignant-chercheur au sein du département génie civil et monitoring de l’ETH de Zurich (Suisse).
Colmater les fissures
Avec Mark Tibbitt, un chercheur spécialisé en ingénierie macromoléculaire, Eleni Chatzi envisage d’encapsuler des bactéries directement dans le béton.
En cas de fissuration, le CO2 de l'air ambiant va diminuer le pH de la zone endommagée, ce qui activera les bactéries. Les micro-organismes vont alors produire du carbonate de calcium, un minéral qui agit comme agent de colmatage. Ce mécanisme est également étudié aux Pays-Bas par le microbiologiste Hendrik Jonkers, à l’Université de Delft.
Ces mêmes bactéries pourraient s'appliquer directement sur la structure lors des opérations de rénovation. C’est ce que proposent des chercheurs de l’Université de Cardiff (Angleterre) pour les structures en maçonnerie des bâtiments historiques.
Alternative aux capteurs
« Aujourd’hui, les acteurs de la construction recherchent des solutions permettant de se passer de capteurs. Installés sur les infrastructures pour assurer leur surveillance, ces dispositifs s'avèrent coûteux sur le long terme », note Eleni Chatzi.
Les solutions inspirées du monde vivant présentent l'avantage d’être plus pertinentes d’un point de vue environnemental et de limiter les émissions de CO2 des bétons.
Ces systèmes auto-réparant ne peuvent toutefois constituer une solution miracle. Ils possèdent leurs propres limites. « Par exemple, la calcite produite par les bactéries présente une résistance moindre par rapport au béton. Au vue des recherches actuelle, elle reste intéressante pour du colmatage, mais ne peut pas être appliquée sur des zones soumises à des efforts importants », note Alexandra Bertron, chercheuse à l’Institut National des sciences appliquées (Insa), qui étudie l’utilisation de ces solutions dans des environnements comme les méthaniseurs et les canalisations.
Encore en stade de développement
A l’avenir, l’arrivée des nouvelles technologies, comme l’impression 3D, pourrait toutefois donner de nouvelles perspectives aux chercheurs. « Modifier la géométrie de certains ouvrages permettrait de rendre les bactéries plus réceptives. Mais nous avons encore beaucoup de choses à apprendre sur le comportement de ces micro organismes. Nous n’en sommes qu’aux balbutiements des recherches », reconnait Mark Tibbitt.
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