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La musicothérapie adoucit les maux

Charline Delafontaine
Publié le 18/12/2017 à 11:24 Modifié le 28/11/2019 à 10:55

Catherine Boni fait interpréter de l’opéra à des choristes autistes. Pilar Garcia anime un atelier de chant auprès de patients souffrant d’Alzheimer. Et toutes deux le constatent : les résultats peuvent être impressionnants ! Les bienfaits de la musicothérapie sont réels et accessibles à tous.

Autisme : quand les mots manquent, ils se chantent

« Lorsque j’ai commencé à enseigner le chant à des enfants autistes en IME [instituts médico-éducatifs, ndlr], on m’a rétorqué : “Les personnes autistes ne communiquent pas ! ” » relate Catherine Boni. C’était il y a quinze ans. Cinq ans plus tard, la chanteuse lyrique créait la chorale Les Vives Voix, réunissant des chanteurs autistes verbaux comme non verbaux issus d’institutions spécialisées et leurs encadrants : éducateurs, enseignants, psychologues… « On se calme ! » clame-t-elle. Chaque semaine, les choristes interprètent des extraits d’opéras, de Mozart à Verdi… dans une joyeuse agitation, accompagnés par un pianiste, un percussionniste et une accordéoniste. « Ils ressentent le plaisir de la musique très puissamment, précise Catherine Boni. Nous devons canaliser leur énergie, leurs émotions, et les aider à contenir leurs stéréotypies, comme les balancements autistiques. »

Certains chantent fort ou à mi-voix, d’autres fredonnent ou entonnent les mélodies « dans leur tête » … Qu’importe ! « Leur présence au sein de la chorale est tout aussi importante. Cela leur permet de sortir de leur bulle, et tous les visages sont épanouis », observe la chanteuse lyrique. « Certains jeunes ne parlent pas mais parviennent à chanter, parfois au bout de plusieurs années. C’est impressionnant », remarque Christophe Pouilles, psychologue clinicien, se remémorant le cas d’un jeune garçon qui, au fil des séances, avait dévoilé une voix de ténor « extraordinaire ». « Faire sortir une voix quand on croit qu’il n’y en a pas, amener ces jeunes à tenir un son… pour un pédagogue de la voix, c’est passionnant ! La voix, c’est l’intimité profonde de l’être. Pour se livrer complètement, un chanteur doit vous faire confiance… « Cela prend du temps », confie Catherine Boni, qui aime à se définir comme une « accoucheuse de voix ».

Chanter pour améliorer l’élocution de ceux qui souffrent de troubles du langage ? Cette thérapie est utilisée en orthophonie pour les personnes atteintes de bégaiement et s’ouvre à d’autres domaines, comme les troubles du langage consécutifs à un AVC ou à un handicap, notamment l’autisme. « Pour beaucoup de jeunes autistes, ce travail vocal a permis d’améliorer leur prononciation, leur articulation, assure Christophe Pouilles. Certains avaient beaucoup de mal à se faire comprendre et se renfermaient. Ils parviennent désormais à mieux communiquer. »    

Enfant, Garance ne s’endormait pas sans une berceuse. Et pas n’importe laquelle ! Elle demandait à « écouter Haendel ». Aujourd’hui âgée de 20 ans, elle souffre de troubles autistiques. Il y a trois ans, elle a intégré Les Vives Voix. Longtemps, elle a chanté à mi-voix… Élève assidue, elle a beaucoup progressé et chante maintenant juste. « Très tôt, la musique a joué un rôle important dans la vie de notre fille, témoignent Scarlett et Philippe

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, ses parents. Pour elle, c’est un moyen de s’apaiser, mais aussi de s’exprimer et d’éprouver de la satisfaction. Intégrer cette chorale lui a permis de réaliser un travail éducatif et relationnel très bénéfique pour nous au quotidien. Elle écoute davantage les autres, attend son tour pour prendre la parole… »  « Les ateliers de chant s’inscrivent pleinement dans une démarche pédagogique, éducative et thérapeutique, confirme Christophe Pouilles. Ils peuvent avoir des bienfaits sur plusieurs symptômes autistiques : les troubles du comportement, de la concentration, ceux de la socialisation et de la communication. » Depuis dix ans, Les Vives Voix se produisent lors de concerts et de festivals. « Nous étions loin d’imaginer que certains participants parviendraient à chanter en public, se souvient le psychologue. Tous chantent ensemble pour donner et prendre du plaisir. L’échange avec le public, les applaudissements… c’est le retour de l’investissement qu’ils ont fourni. » « Nous avons été bouleversés par le résultat technique et la dignité des personnes sur scène, poursuivent les parents de Garance, se remémorant leur interprétation de La Traviata. Grâce à la musique, notre fille vit de véritables moments de bonheur ! »   1. Scarlett et Philippe Reliquet, auteurs d’Écouter Haendel (Gallimard).

Alzheimer : quand la mémoire flanche, les paroles reviennent

Comme chaque semaine, les patients de l’hôpital gériatrique Les Magnolias, à Ballainvilliers (Essonne), prennent place autour du piano à queue installé dans la salle de spectacle. Accompagnés à la guitare par la chanteuse et musicothérapeute Pilar Garcia, ils entonnent les titres qui ont bercé leur jeunesse. Aussitôt, les visages s’animent, les yeux s’illuminent. Tous se tiennent par la main. Le temps d’une séance, les patients sont éveillés, comme à nouveau présents
Cet établissement, qui accueille des personnes atteintes d’Alzheimer à tous les stades de la maladie, privilégie les approches thérapeutiques non médicamenteuses. Depuis dix-sept ans, un atelier de musicothérapie est proposé aux volontaires. Et ils sont nombreux ! « Les comptines de leur enfance, les bals de leur jeunesse… La musique les a accompagnés toute leur vie. Alors pourquoi s’arrêter aujourd’hui ? » s’interroge la pétulante Pilar Garcia. « Nous ne nous souvenons pas des titres, mais il suffit d’une mélodie et ça y est… les chansons défilent dans nos têtes ! » se réjouit Monique, 84 ans, sur un air d’Édith Piaf. « C’est comme si chanter était mécanique », poursuit Élisabeth, 57 ans, récemment diagnostiquée. « Je me souviens de cette chanson… » confie, émue, Chantal, 82 ans, en écoutant La Mer de Charles Trenet. « Vous aimez cette chanson ? » lui demande la musicothérapeute. « Oui, beaucoup… Nous la chantions souvent avec mes parents, répond Chantal. Elle est gravée dans ma mémoire. Merci beaucoup, ça fait du bien. »  
 « Ma méthode est basée sur la recherche de leur identité par le travail de la voix, expose Pilar Garcia. Grâce à ce répertoire musical, les patients sont attentifs et disposés à travailler sur leur propre histoire. » « Lorsque la maladie d’Alzheimer vient d’être diagnostiquée, les patients sont encore conscients et dans la phase d’acceptation de la maladie. Ces séances de musicothérapie vont permettre de stimuler leur mémoire et de lutter contre le risque de dépression, détaille le neuropsychologue Hervé Platel

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. Dans les stades plus avancés, lorsqu’ils deviennent très amnésiques, ces exercices permettent d’améliorer leur humeur, de lutter contre les troubles du comportement et le repli sur soi. »

 « Ce sont des personnes souvent très fragiles psychologiquement, poursuit la musicothérapeute. Mais la musique est puissante ! Elle résonne en eux, leur redonne vie et les délivre. Chanter, c’est se sentir vivant ! » Comme Violaine, 78 ans, hospitalisée en unité fermée où elle déambule à longueur de journée : seule la musique parvient à la canaliser. Tel un pied de nez à la maladie, elle retrouve le sourire, chante, danse et joue parfois du piano. « Chanter m’apaise de la tête aux pieds », se réjouit-elle. « Les patients regagnent en estime d’eux-mêmes, ils éprouvent une sensation de bien-être… Et cela participe à la diminution des prescriptions de médicaments », ajoute Laurence Luquel, médecin chef aux Magnolias.

Cette maladie neurodégénérative ne touche pas seulement la mémoire. Les patients présentent également des troubles moteurs à l’origine d’une perte d’autonomie. Exercices de respiration, étirements du corps, travail de la voix, pratique d’instruments de musique, battement des mains ou des pieds en cadence… Durant les séances de musicothérapie, les patients mobilisent l’ensemble de leur corps. « Nous pouvons alors améliorer leur motricité, leur équilibre et la coordination de leurs gestes », assure Laurence Luquel.

Il y a cinq ans, les patients de l’hôpital de jour Les Magnolias ont enregistré un album sur lequel ils interprètent, accompagnés d’enfants, des chansons composées lors de ces ateliers. « Ce fut un moment fort pour eux, une manière de laisser une trace », se souvient Pilar Garcia. Un répertoire nouveau qu’ils retiennent par cœur. Perdus dans le temps, ils assurent connaître ces chansons depuis leur enfance. Les patients souffrant d’Alzheimer sont en effet capables, après plusieurs séances de répétition, de mémoriser de nouvelles mélodies, même à un stade avancé de la maladie ! Ce sont les conclusions de travaux réalisés par l’équipe d’Hervé Platel à l’université de Caen, en collaboration avec Odile Letortu, médecin dans l’unité Alzheimer de la maison de retraite Les Pervenches (Calvados). Un protocole de recherche est en cours afin de comprendre la capacité de résistance de la mémoire musicale de ces sujets.

1. Coauteur de Neuropsychologie et art, théories et applications cliniques (De Boeck-Solal).

Pour aller plus loin 

==> Les bienfaits de la musique sur notre cerveau

“La musique est une formidable machine à remonter le temps ! ” s’exclame le neurologue Pierre Lemarquis qui s’intéresse de très près aux bienfaits de la musique sur le cerveau. Liens intimes avec notre mémoire, vertus antidépressives… La musique n’a pas fini de nous faire du bien, c’est d’ailleurs pourquoi les scientifiques commencent à s’y intéresser sérieusement !