Carnets du droit d'auteur - jour 8 : Le nouveau modèle du partage de fichiers se met en place

in #droitdauteur6 years ago (edited)

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La phrase super cryptique du jour "Tron a acheté BitTorrent"

Alors, pour faire court parce que je sais que tu as mieux à faire, Tron est le nom d'une blockchain qui, comme une autre blockchain plus connue qui s'appelle Ethereum, permet les contrats intelligents.

Quant à BitTorrent, ça tu connais depuis longtemps, c'est le truc de partage de fichiers qui met l'industrie culturelle sens dessus-dessous depuis deux décennies.

Et faut pas croire que HADOPI et toutes ces menaces de filtrage/coupure d'internet, façon "ils le font bien en Chine", ait réduit quoi que ce soit. BitTorrent, là maintenant tout de suite, c'est toujours 40% du traffic internet. Oui, quarante. Comme les voleurs d'Ali Baba.

Donc, Tron, en fait la fondation qui sert à financer le projet, s'est offert BitTorrent pour environ 100 millions de $.

Selon Justin Sun, le fondateur de Tron, né en 1990, la fusion des deux protocoles devrait permettre à Tron d'acquérir un très grand nombre d'utilisateurs et donc des capacités de transferts accrues, et à BitTorrent de se doter d'un mécanisme de rémunération des échanges en cryptomonnaie. Ceci, selon Sun lui-même, pour inciter les utilisateurs à continuer de partager les fichiers une fois qu'ils les ont entièrment téléchargés :

“At this point, there is no incentive for peers who have completed downloading to continue to seed. We intend to extend the rewards to peers who seed torrents, infusing more resources into the current ecosystem.”

Car Tron se veut un vaste réseau de contenus numériques dans lequel tous les utilisateurs — ceux qui fabriquent les contenus comme ceux qui les consultent, puissent équitablement partager le fameux écart de valeur, value-gap en anglais, que l'industrie culturelle reproche aux géants du net de ne pas répartir.

Un clou de plus dans le cercueil de l'ancien modèle économique, tu sais, celui que je critique depuis des lustres parce qu'il est obsolète.

D'ailleurs, cette nouvelle annonce de Tron me réjouit tellement que je ne résiste pas au plaisir de me citer moi-même. On est prétentieux ou on l'est pas...

En avril 2009, dans un billet de blog intitulé « Condamnation des créateurs de The Pirate Bay, les majors éteignent-elles la concurrence ? », je suggérais aux majors de s'équiper de leurs propres trackers (serveurs, si tu veux) BitTorrent :

« Elles [les majors] annonceraient que, tout bien considéré, la technique P2P est sans conteste la meilleure pour diffuser massivement du contenu — ce qui est techniquement vrai — et que le principe d’une licence globale peut tout à fait leur convenir. »

Pour mémoire, la licence globale était une proposition suggérant d'autoriser les internautes à partager des fichiers en contrepartie d'une taxe qui serait reversée à l'industrie culturelle, comme cela se fait pour les commerces qui diffusent de la musique (c'est la licence légale) ou pour les marchands de support de stockage informatique (c'est la taxe pour copie privée). Mais il est vrai que la licence globale aurait été très difficile à mettre en application tout en créant un précédent international compliqué à défendre.

Il n'empêche que les contrats intelligents sont le meilleur outil dont on dispose aujourd'hui pour impliquer tous les utilisateurs d'un réseau de communication dans la chaîne de valeur. Cela revient à mettre en place une forme de licence globale, mais qui n'est plus ingérable grâce au progrès technique.

Mais à l'époque où j'écrivais ce billet, BitTorrent offrait déjà des possibilités techniques permettant au moins de quantifier l'usage, c'est à dire connaître très exactement le nombre de personnes partageant un fichier donné à un moment donné. C'est pourquoi, je poursuivais :

« De là, les industries culturelles mettraient en place leurs propres trackers bitTorrent, sur lesquels elles seules pourraient ajouter du contenu car ce contrôle serait pour elles la garantie de pouvoir comptabiliser précisément les demandes de téléchargement. Les revenus issus de la licence globale leur seraient entièrement reversés car bien entendu seuls leurs artistes y seraient présents. »

J'imaginais ensuite que les majors, en s'en prenant au site « The Pirate Bay », longtemps principal site d'échange de fichiers BitTorrent, cherchaient en fait à le supplanter, voire négocier avec ses dirigeants. Comme souvent, je me trompais par naïveté. Les majors sont encore plus bêtes que ce que j'imagine, mais j'ai toujours du mal à l'admettre.

On parlait du rapport annuel de la SACEM la dernière fois. Dans ce rapport, il y a aussi un mot pour se réjouir de la suppression par les forces de l'ordre du site T411, successeur francophone de The Pirate Bay. Les andouilles. Ils n'ont pas remarqué que le site a redémarré dans les jours qui ont suivi sous une autre appellation que je ne donnerai pas ici parce qu'ils ne méritent même pas qu'on les aide.

Et ces jours-ci, Tron s'est payé BitTorrent.

Dans cinq ans, sans même jeter un regard sur l'échec total de toutes ses tentatives depuis l'an 2000, l'industrie culturelle viendra encore pleurnicher à cause de ces nouveaux géants qu'elle n'aura pas vu venir. Sauf qu'entre temps, la génération à laquelle appartient Justin Sun sera parvenue au pouvoir, dans les assemblées, les gouvernements, les conseils d'administration. L'accueil ne sera pas le même.

Et moi, je ferai encore l'Haroun Tazieff de service en répétant toujours et encore « je vous l'avais dit, pourtant ». C'est parfois si bon d'être un vieux con.

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