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L’ancien président argentin Carlos Menem est mort

Chef de la nation argentine de 1989 à 1999, celui que le pays surnommait « le Turc » en raison de ses origines arabes s’est éteint, dimanche, à l’âge de 90 ans.

Par  (Buenos Aires, correspondante)

Publié le 14 février 2021 à 16h39, modifié le 15 février 2021 à 07h04

Temps de Lecture 10 min.

Carlos Menem, lors d’un meeting de campagne à Rosario (Argentine), en avril 2003.

Ses amis comme ses ennemis étaient d’accord sur un point : Carlos Saul Menem était imprévisible. Elu président de l’Argentine en juillet 1989, par une large majorité, sur un programme flou aux accents populistes, puis réélu de 1995 à 1999, il est mort dimanche 14 février à Buenos Aires, à l’âge de 90 ans, des suites d’une infection urinaire contractée en novembre 2020, rapporte la presse argentine.

« J’ai appris avec une profonde peine la mort de Carlos Saul Menem », a déclaré sur Twitter le président argentin Alberto Fernandez, issu de la mouvance péroniste comme le défunt auquel il a rendu hommage. « Pendant la dictature (1976-1983), il a été persécuté et emprisonné. »

Trois jours de deuil national ont été décrétés. Carlos Menem sera inhumé, lundi, dans le cimetière musulman de Buenos Aires, où est enterré son fils Carlos, mort en 1995 dans un accident d’hélicoptère qui n’a jamais été élucidé. La veillée funèbre a commencé, dimanche, soir au Congrès, où la vice-présidente argentine Cristina Kirchner, également présidente du Sénat, a reçu la famille à l’arrivée du cercueil recouvert du drapeau argentin.

Un allié de Washington

Avec lui, le péronisme était revenu au pouvoir après une parenthèse de treize ans (dictature militaire de 1976 à 1983 puis gouvernement de l’Union civique radicale – UCR – avec Raul Alfonsin, entre 1983 et 1989). Caudillo venu de La Rioja (Nord-Ouest), l’une des provinces les plus pauvres du pays, il se réclamait du général Juan Domingo Peron, le fondateur du Parti justicialiste (péroniste).

En 1983, au retour de la démocratie et après l’échec des péronistes face au radical Raul Alfonsin qui remporta la présidentielle, Carlos Menem avait brandi l’étendard de la rénovation du péronisme en même temps qu’Antonio Cafiero, puissant gouverneur de la province de Buenos Aires. Le 9 juillet 1989, contre tous les pronostics et le puissant appareil du parti péroniste, Carlos Menem l’emporta sur son rival lors des élections primaires.

Alors que le général Peron était un ennemi traditionnel des Etats-Unis, Carlos Menem se transforma en un allié inconditionnel de Washington.

Dès son arrivée au pouvoir l’année suivante, il a toutefois rompu avec l’héritage de son maître à penser. Il s’est allié aux secteurs conservateurs pour imposer un modèle résolument néolibéral. Un de ses premiers gestes a été de tourner le dos aux syndicats, colonne vertébrale du mouvement justicialiste, pour gagner les faveurs de l’establishment.

Alors que le général Peron était un ennemi traditionnel des Etats-Unis, Carlos Menem se transforma en un allié inconditionnel de Washington, au point de parler de « relations charnelles » entre les deux pays.

Privatisations tous azimuts

Il a privatisé toutes les entreprises publiques qui avaient été nationalisées quarante ans auparavant par Peron. Ces privatisations tous azimuts, y compris le système de retraites, profitèrent avant tout aux entreprises étrangères. Son gouvernement a été accusé de brader le patrimoine national, dont la compagnie d’aviation Aerolineas Argentinas, vendue à l’espagnole Iberia.

« Etes-vous toujours péroniste ? » A cette question, maintes fois posée, M. Menem répondait : « Il n’y a pas de rupture, mais une actualisation nécessaire de la doctrine. » Son habileté machiavélique, son pragmatisme et ses intuitions alimentées par une profonde connaissance de l’âme argentine lui ont permis de dominer la vie politique de son pays pendant dix ans sans que l’opposition parvienne à offrir d’alternative.

« Je suis un transgresseur, un politicien né », disait-il, affirmant que le principal secret de l’art de gouverner est l’effet de surprise. A Buenos Aires, ses célèbres favoris, ses mocassins blancs, son énorme chevalière, ses chaînes en or, son amour pour les Ferrari et sa réputation de « latin lover » ont défrayé les chroniques. A l’étranger, il était perçu comme une caricature du chef d’Etat latino-américain sortie d’un album de Tintin.

Menem réussit pourtant à forcer le respect. Son premier grand succès fut la rapidité avec laquelle il réussit à étouffer, le 3 décembre 1990, une rébellion militaire. Dans la foulée, le 19 décembre, il adopta la décision la plus controversée de son mandat : contre la volonté de la majorité de la population, il accorda la grâce présidentielle aux anciens chefs de la dictature militaire, accusés de graves violations des droits de l’homme et qui avaient été condamnés à perpétuité lors du procès historique de 1985, comparé au procès de Nuremberg contre les criminels nazis. Il gracia en même temps Mario Firmenich, le chef de la guérilla des Montoneros des années 1970, qui revendiquait un péronisme de gauche.

Cascade de scandales

En février 1991, il appela au ministère de l’économie Domingo Cavallo, jusqu’alors chargé des affaires étrangères. Cet ancien élève de Harvard devint l’homme fort du gouvernement, considéré comme « l’artisan du miracle argentin », après avoir lancé un plan de convertibilité fixant par décret un taux de change à parité entre le peso et le dollar. Le redressement de l’Argentine fit oublier la cascade de scandales de corruption qui secouèrent régulièrement Carlos Menem et son entourage.

Les bons résultats macroéconomiques lui valurent l’appui des organismes financiers internationaux et l’intérêt des investisseurs étrangers. Quand on lui reprochait le coût social élevé des mesures d’austérité, M. Menem reconnaissait qu’il s’agissait « d’une opération chirurgicale sans anesthésie », précisant que c’était « le seul chemin possible ».

Les inégalités sociales explosèrent avec une avalanche de protestations des laissés-pour-compte du « miracle argentin ».

En 1995, Carlos Menem fut réélu, avec 47 % des suffrages, moyennant un pacte passé avec l’ancien président Alfonsin, « le pacte d’Olivos », qui déboucha sur une réforme de la Constitution qui interdisait jusqu’alors deux mandats successifs.

Sous son second mandat, la situation économique s’aggrava avec la baisse du dollar et l’augmentation de la dette extérieure, du chômage et de la pauvreté. Les inégalités sociales explosèrent avec une avalanche de protestations des laissés-pour-compte du « miracle argentin ». En 1996, Carlos Menem limogea Domingo Cavallo. Sa politique ultralibérale est aujourd’hui jugée responsable, en grande partie, de la plus grave crise économique qu’ait connue l’Argentine, en 2001 et 2002.

Sous sa présidence eurent lieu deux attentats à Buenos Aires, les plus meurtriers de l’histoire du pays : en 1992, contre l’ambassade d’Israël (29 morts), et deux ans plus tard, contre la Mutuelle israélite argentine (AMIA, 85 morts). L’enquête, semée d’entraves et de rebondissements, s’orienta d’abord vers une piste intérieure conduisant à la police de la province de Buenos Aires, avant d’aboutir, sous la présidence de Néstor Kirchner (2003-2007), à un dossier complexe accusant l’Iran. Les deux attentats n’ont jamais été élucidés.

Symbole d’espoir

Carlos Menem, alors candidat à la présidentielle de 1989.

La croisade de Carlos Menem à travers tout le pays, ses discours enflammés en faveur de la justice sociale et de la « révolution productive » firent de lui un symbole d’espoir pour des millions d’Argentins, surtout dans les provinces pauvres de l’intérieur et les faubourgs ouvriers du grand Buenos Aires.

« Lève-toi et marche ! », ordonna-t-il en 1989, au lendemain de son élection à la présidence, à une nation épuisée par trente ans de déclin et par le cauchemar de l’hyperinflation que les radicaux n’avaient pu juguler. « J’ai hérité d’un pays en ruines », répétait-il, obsédé par l’idée que l’Argentine puisse un jour figurer à nouveau parmi les nations du « premier monde ».

En juin 2013, Carlos Menem devint le premier ancien président de l’histoire argentine élu démocratiquement à être condamné par la justice à sept ans de prison.

En 2003, Carlos Menem se présenta une troisième fois à la présidence. Parvenu en tête au premier tour avec 25 % des voix, mais anticipant une probable défaite cuisante au second – beaucoup lui attribuant la responsabilité de la crise économique qui avait ravagé le pays quinze mois plus tôt –, il se retira de la course, permettant à son concurrent péroniste, Néstor Kirchner, d’arriver au pouvoir. Mais ce dernier ne pardonna jamais à Carlos Menem ce désistement qui le fit élire avec seulement 22 % des suffrages obtenus au premier tour.

En juin 2013, Carlos Menem devint le premier ancien président de l’histoire argentine élu démocratiquement à être condamné par la justice à sept ans de prison pour trafic d’armes à destination de la Croatie et de l’Equateur, entre 1991 et 1995. Devenu sénateur, il est alors protégé par son immunité parlementaire. Mais l’ex-président ayant fait appel, la Cour suprême annule la sentence et renvoie l’affaire en cassation. En 2018, la Cour de cassation annule finalement tout le processus pénal, estimant que, vingt-trois ans après les faits, trop de temps était passé pour pouvoir établir pleinement des responsabilités.

Un autre procès a eu une issue similaire : en décembre 2019, le tribunal a jugé que les délais avaient été trop longs pour que justice soit faite dans une affaire de vente à un prix largement sous-estimé d’un terrain à la Société rurale, en 1991.

Carlos Menem a eu maille à partir avec la justice dans d’autres affaires, mais a été, là encore, absous dans la plupart des procès : pour avoir omis des biens dans sa déclaration d’impôts (absous en 2013), pour entrave à l’enquête sur l’attentat contre l’AMIA (absous en 2019), ou pour avoir versé des gratifications aux ministres de ses gouvernements – en décembre 2015, il a été condamné à quatre ans et demi de prison dans cette affaire, mais a fait appel, et la Cour suprême ne s’était pas prononcée avant sa mort.

L’ancien président était aussi en attente de procès concernant son rôle dans un attentat ayant détruit une usine d’armements de la ville de Rio Tercero, commis en 1995, qui aurait servi à dissimuler la vente illégale d’armes en Croatie et en Equateur. Il aurait dû commencer le 24 février. Face à l’inaction de la justice, en novembre 2020, un quart de siècle après les faits, la municipalité a déclaré « persona non grata » l’ancien président.

Carlos Menem embarque à bord d’un avion, à la Rioja (Argentine), en avril 2003.

Surnommé « Le Turc »

Grand voyageur, Carlos Menem a parcouru le monde, à raison d’une soixantaine de voyages pendant les deux premières années de son mandat. Descendant de Syriens, il fut le premier président argentin à se rendre en visite officielle en Israël, en octobre 1991, et fit de l’Argentine le seul pays d’Amérique latine à participer à la coalition contre le président irakien Saddam Hussein pendant la première guerre du Golfe.

Pendant la campagne électorale, il avait revendiqué la souveraineté des îles Malouines, même si cela devait être « au prix du sang ».

Chef d’un parti créé par un militaire, Juan Domingo Peron, qui admirait Mussolini et qui accueillit de nombreux réfugiés nazis, Carlos Menem ordonna l’ouverture des archives secrètes sur les criminels de guerre ayant vécu en Argentine, qui ne contenaient, il est vrai, plus grand-chose. Il ne craignait pas les contradictions.

Pendant la campagne électorale, il avait revendiqué la souveraineté des îles Malouines, même si cela devait être « au prix du sang ». Il adopta par la suite un ton conciliateur à l’égard du Royaume-Uni. Sur le plan régional, il participa en 1991 à la création du Mercosur, le marché commun régional avec le Brésil, l’Uruguay et le Paraguay. En Argentine, il supprima le service militaire obligatoire.

Surnommé « El turco » (« le Turc »), comme les Argentins désignent populairement les émigrants d’origine arabe, Carlos Saul Menem venait d’une famille de musulmans sunnites, originaires de la ville de Yabroud, au nord de Damas. Il était né le 2 juillet 1930 à Anillaco, un village de la province de La Rioja. Il admirait les caudillos provinciaux du XIXe siècle comme Facundo Quiroga, dont il adopta les favoris.

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Sa première rencontre formelle avec Peron eut lieu en 1964 à Madrid, où le général vivait en exil. En 1972, M. Menem faisait partie du comité restreint qui l’accompagnait dans l’avion qui le ramena en Argentine, après dix-sept ans d’éloignement. L’année suivante, Carlos Menem devint gouverneur de La Rioja et fut réélu en 1983 et en 1987. Le 24 mars 1976, jour du coup d’Etat militaire qui renversa le gouvernement de Maria Estela Martinez de Peron, la veuve du général, il fut arrêté avec d’autres dirigeants péronistes. Il passa six ans en prison.

L’ancien président argentin, Carlos Menem (1989-1999), le 2 mars 2015, au tribunal de Buenos Aires. Derrière lui, se tient sa fille, Zulema.

Marié deux fois

La passion pour la politique de cet avocat de formation n’avait d’équivalent que son amour pour le sport : football, tennis, voitures de course et même avions de chasse. Avec son épouse Zulema Fatima Yoma, elle aussi descendante de Syriens, il eut deux enfants, Carlos Saul et Zulema Maria Eva. Son fils trouva la mort le 15 mars 1995 dans un mystérieux accident d’hélicoptère qui n’a jamais été élucidé. Les relations du couple furent tumultueuses jusqu’à leur séparation, digne d’un vaudeville quand, en 1990, la première dame fut expulsée de la résidence présidentielle.

Le clan Yoma joua un rôle important au début du premier mandat de Carlos Menem, avec la présence de plusieurs membres de cette famille au palais présidentiel. Parmi eux, sa belle-sœur, Amira Yoma, fut évincée à la suite d’une retentissante affaire de blanchiment de narcodollars, le « Yoma Gate ». Le frère aîné du président, le sénateur Eduardo Menem, resta en revanche l’un de ses plus proches collaborateurs.

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Carlos Menem se remaria en 2001 avec Cecilia Bolocco, ancienne Miss Univers chilienne, avec laquelle il a eu un fils, Maximo Saul. Le couple a divorcé en 2007.

En 2006, un tribunal de la province de Formosa (Nord) avait établi, après des années de bataille judiciaire, que Carlos Menem, qui avait toujours refusé de le reconnaître et de se soumettre à une analyse d’ADN, était bien le père d’un jeune homme, Carlos Nair, né en 1981.

Carlos Menem en quelques dates

2 juillet 1930 Naissance à Anillaco (Argentine)

1973-1987 Gouverneur de la province de la Rioja

1989-1999 Président de la République d’Argentine

2013 Condamné pour trafic d’armes vers la Croatie et l’Equateur

14 février 2020 Mort à Buenos Aires

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