C’était principalement un scénariste et un « editor » [1] qui a assuré la continuité du comic book des années 1960 à 1990, auprès des deux majors du secteur : Marvel et DC Comics, devenant même l’éditeur de référence de la « Batman Family » chez DC Comics, en charge de la cohérence de la licence, des années 1990 à sa retraite dans les années 2000.
Il était surtout connu pour ses « runs » mythiques avec Neal Adams sur Green Lantern / Green Arrow et Batman, son Shadow avec Michael Kaluta et The Question avec Denys Cowan.
Cet immense créateur, toujours aperçu avec son éternel gilet et son col roulé, a fait l’essentiel de sa carrière chez Marvel et DC Comics. Enfant de son époque, Dennis O’Neil incarnait l’esprit et l’activisme de la fin des années 1960 et ses changements sociaux. Véritablement passionné par les droits civiques et la lutte pour la justice raciale dans son pays, les USA, il était proche durant ses études du milieu Underground et de ses revendications. Ce qui fait qu’une des caractéristiques de l’écriture de Dennis O’Neil est assurément la confrontation des superhéros aux questions de société de chaque époque.
Des débuts journalistiques
Né à St. Louis, Missouri, le 3 mai 1939, Dennis O’Neil s’était nourri à « L’Âge d’or » du comic book (1938-1954) et devint l’une des figures éminentes de « L’Âge d’argent » (1956-Ca 1970). Après des études de littérature et de philosophie et un service militaire pendant le Blocus de Cuba et la Crise des missiles, il entame une carrière de journaliste dans la presse locale du Missouri où l’éditeur Roy Thomas, alors chez Marvel, repère l’enthousiasme de ses chroniques sur les comics.
Roy Thomas était devenu le bras droit de Stan Lee chez Marvel. Il suggéra au jeune O’Neil de tenter sa chance comme scénariste. Après un essai sur des pages des Fantastic Four, il est engagé. C’est le moment où Marvel est en pleine expansion et, sous la houlette de son mentor Roy Thomas, le voici qui enchaîne sur les titres prestigieux : Doctor Strange, Daredevil… Sa rencontre avec le grand Neal Adams sur les X-Men (#65) augure d’une des plus remarquables collaborations de l’univers Marvel.
De Marvel à DC Comics
En 1968, l’arrivée de Dick Giordano (brièvement rencontré alors qu’il œuvrait sous pseudo chez Charlton) est un véritable électrochoc dans la Maison des Idées car il amène avec lui bon nombre de talents de la nouvelle génération, dont O’Neil : nouveaux graphismes, nouvelles thématiques et aussi nouveau héros dont ce Creeper que O’Neil écrit pour le mythique Steve Ditko.
Le jeune scénariste occupe à partir de là quelques-unes des licences-clés de DC Comics : Wonder Woman, Justice League of America, Green Lantern/Green Arrow qu’il rénove complètement en compagnie de Bob Haney et Neal Adams en le mettant dans l’air du temps. Révélant que son personnage prend de l’héroïne, les médias s’intéressent à lui, il fait le tour de talk shows. Le comic book entre dans l’ère du vedettariat, non sans incidence sur sa vie privée.
Il arrive aux manettes de Batman quand l’éditeur Julius Schwartz en prend la direction en 1966. Ce dernier impulse à l’univers du Chevalier noir un tournant plus « gothique », plus introspectif, en clair plus contemporain que dans la période précédente. En cela, il épouse l’évolution de la TV et du cinéma indépendant américains qui commenceront à ouvrir grande la porte d’Hollywood aux super-héros des comics dans les années 1970 et les décennies suivantes.
Il invite O’Neil à s’associer avec Neal Adams (souvent assisté par Giordano pour l’encrage) dans une remise à niveau du héros qui met en valeur les « villains » comme Two-Face ou le Joker, redonnant tout son intérêt au transparent personnage-titre (1970). O’Neil est surtout le premier à introduire Frank Miller dans l’univers du Dark Knight (1980).
Quand Schwartz prend ensuite en mains Superman, O’Neil est associé à sa remise à plat avec le dessinateur Curt Swan. On le voit œuvrer sur deux nouvelles licences acquises par DC Comics : Captain Marvel (1973), The Shadow (1973) ou encore The Avenger (1975). Il a le temps de relooker l’univers de Green Lantern avec Mike Greel (1976) et surtout d’opérer un dernier baroud d’honneur avec Neal Adams dans un one shot : Superman vs. Muhammad Ali (1978). Après quoi, il passe chez Marvel.
De Marvel à DC
Puis s’opère son retour chez Marvel. Entré cette fois par la grande porte, il est aux manettes de The Amazing Spider-Man pendant un an (1980), notamment sur les deux épisodes assurés par Frank Miller, enchaîne brièvement avec Docteur Strange (1981), puis avec Iron Man (1982) forgeant l’image d’alcoolique du milliardaire, tandis qu’il dote Daredevil de ses runs avec David Mazzuchelli, seulement entrecoupés par ceux -mythiques- écrits par Frank Miller mais dont il est l’éditeur.
1986 : retour chez DC Comics.
D’entrée, il relance The Question avec Denys Cowan au dessin, un comic créé par Ditko pour Charlton en 1967 et devient éditeur référent pour l’univers de Batman jusqu’en 2000. On lui doit un retour sur Green Arrow (1988), The Batman : Legends of the Dark Knight avec Ed Hannigan (1989), Armageddon 2001 (1991), la mini-série Batman : Sword of Azrael (1992), le roman graphique Batman : Birth of the Demon (1992), une trilogie qui impose définitivement dans l’univers de l’homme-chauve-souris le personnage de Ra’s Al Ghul qu’il avait créé avec Neal Adams dans le comic Batman #232 en juin 1971.
Ce format du Hard Cover / Roman Graphique convenant de plus en plus à l’industrie du comics, il remet le couvert la même année avec Batman/Green Arrow : The Poison Tomorrow, sa dernière contribution à l’Archer vert.
Dans sa bibliographie abondante, il y a des novélisations tirées de films : Batman Begins et The Dark Knight, sous le pseudonyme transparent de Jim Dennis, et de nombreux articles, notamment sur la BD.
Les dernières années, il enseigna à la fameuse Manhattan’s School of Visual Arts et participa, à partir de 2000, à la défense de la profession, faisant partie d’un groupe d’auteurs ayant créé « The Hero Initiative », un organisme fédéral destiné à aider les auteurs en difficulté.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
(par Pascal AGGABI)
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En médaillon : Dennis O’Neil - Photo : The Hero Initiative.
[1] Nous sommes toujours surpris que l’on dénie le terme d’ « éditeur » au « rédacteur en chef » des publications américaines, traduction que les puristes préfèrent, car il entre dans cette fonction une véritable dimension de marketing et de gestion d’univers qui va bien au-delà que la simple gestion du contenu d’une publication comme on l’entend de ce côté-ci de l’Atlantique.
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