Carnets du droit d'auteur - jour 4 : à qui s'adressent les nouvelles plateformes ?

in #droitdauteur6 years ago (edited)

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C'est un peu le prolongement du deuxième billet sur auteur et artiste : les plateformes pour mettre sa musique en ligne. Et je parle bien des plateformes "finales", celles qui vont effectivement permettre au public d'écouter les œuvres, à ne pas confondre avec ces nouveaux intermédiaires que sont ceux que l'on appelle « les distributeurs numériques » et dont on parlera une autre fois.

Ce qui me frappe lorsque j'explore ces plateformes et que je prends un peu de temps pour lire leurs conditions d'utilisation, est que l'on ne sait pas trop à qui elles s'adressent dans le sens où elles semblent présumer que les personnes qui s'y inscrivent sont toutes des auteurs-compositeurs-interprètes. C'est à dire que, très probablement par soucis de simplicité, ces plateformes ignorent — volontairement ou pas, comment le savoir ? — la distinction pourtant capitale entre auteur et artiste.

Quelques exemples pour la route :

  1. Bandcamp : si je consulte leurs conditions d'utilisation, je lis un en-tête de chapitre aussi absurde que « Intellectual Property Rights – Artists ». D'entrée, tout faux. Bon, quand on lit le détail, il est précisé un peu plus loin qu'en mettant de la musique à disposition vous promettez détenir tous les droits qui y sont attachés ou que vous disposez des autorisations des ayant droits. Juridiquement, c'est bon, ils sont couverts.
  2. Patreon : à l'image de leur sympathique boss, les conditions d'utilisation ont une apparence plus accessible que l'habituel texte juridique qui te donne juste envie de ne pas le lire, grâce à des paragraphes courts agrémentés de petites illustrations rigolotes. C'est plus 2018. Le contenu est à la fois flou mais pas trop non plus. Dans la rubrique "Votre contenu", on commence par vous dire que vous conservez la propriété de tout contenu que vous mettez en ligne et, là encore, la plateforme se couvre d'un simple « You may not post content that infringes on others' intellectual property or proprietary rights. » Nous sommes donc davantage dans le domaine du rappel à la loi que dans le contrat d'adhésion.

J'arrête ici les exemples, mais on pourrait continuer encore et encore. Le schéma général est un peu toujours le même : la plateforme se couvre, c'est le boulot des avocats qui rédigent ces conditions d'utilisation de faire ça. Mais toutes assimilent auteur à artiste.

D'un côté, ça peut se comprendre. Après tout, la plus belle chanson du monde n'est rien sans quelqu'un pour la chanter. La seule chose qui puisse donc être communiquée au public ne peut être qu'un enregistrement (en langage juridique on dit un phonogramme) particulier. Donc, la plateforme se contente de demander à l'artiste qui met son phonogramme à disposition du public, qu'il lui garantisse qu'il détient bien toutes les autorisations nécessaires... pour la mise en ligne.

Parce que, c'est là que ça coince. Ok, l'artiste dispose de l'autorisation de l'auteur pour mettre sa version de la chanson en ligne. Bien. Mais, même si pendant longtemps il était de bon ton de demander effectivement l'autorisation de l'auteur — en pratique c'était le plus souvent à son éditeur qu'il fallait s'adresser — ce n'est pas une obligation absolue. Il suffit de voir le nombre de covers (reprises en bon français) qui traînent partout pour s'en convaincre. L'important étant d'indiquer le nom de l'auteur et de ne pas dénaturer l'œuvre par exemple en y ajoutant des sections qui ne sont pas dans l'original.

Ensuite, une fois le phonogramme dans la nature, il appartient en principe à la personne qui l'utilise à des fins de reproduction ou de diffusion, de rémunérer l'auteur via la SACEM.

Donc, en bonne logique, ces plateformes devraient d'une part payer l'artiste, via la collecte de fonds qu'elles organisent pour lui, et, d'autre part, payer l'auteur en versant des sous à la SACEM (ou équivalent dans leur pays).

Ah, mais Patrice, ce que tu réclames là, c'est justement le contenu de « l'article 13 » que tu combats par ailleurs, c'est pas cohérent !

Non : l'article 13, tout comme les conditions d'utilisation des plateformes, ne semblent pas être rédigés par des personnes qui ont pris le temps de comprendre le fond du problème. C'est du travail à l'emporte pièce et, en tant que tel, ça ne peut pas fonctionner de manière pérenne parce que ça va rapidement se heurter à l'ergonomie, c'est à dire à la facilité d'utilisation.

Vous voulez un exemple d'un site de partage de musique, façon SoundCloud, mais totalement décentralisé, donc : pas de suppression de contenu possible, pas de censure possible (pour le meilleur et pour le pire), pas d'entreprise derrière avec qui négocier ou à qui imposer quoi que ce soit, pas de serveurs centralisés dans un data-center que l'on peut débrancher, bref, le truc indesctructible : https://dsound.audio/

D'accord, c'est encore très expérimental, techniquement ça ne marche pas trop bien, mais c'est là et ça ne va pas disparaître. Et il y a l'équivalent pour la vidéo et même pour la vidéo live avec l'appli Android qui va bien : https://d.tube/ et https://dlive.io/

Tout ça pour dire que :

  1. Une fois encore, l'article 13 n'aidera en rien les auteurs parce que la théorie ne gagne jamais sur la pratique, en tout cas pas dans ce type de domaine
  2. Et qu'en l'absence d'une réflexion politique pertinente, il est important que les auteurs se mobilisent pour comprendre, utiliser et adopter ces nouveaux outils afin de mettre en place la nouvelle économie de la musique — qui se mettra en place avec ou sans eux de toute manière — mais avec, ce serait quand même plus cool, non ?

Enfin, je réclame toujours des commentaires, en particulier si vous êtes auteur et que vos œuvres sont présentes sur les plateformes, afin que vous me disiez, si vous le voulez bien, comment ça se passe pour vos droits.

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