Carnets du droit d'auteur - jour 6 : En fait, la SACEM s'auto-hacke

in #droitdauteur6 years ago (edited)

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Le rapport annuel 2017 de la SACEM a été publié, et c'est passionnant.

Je passe sur le terme de « création » (beurk!), qui n'est qu'une technique de manipulation du langage pour faire croire que les auteurs ne sont pas des gens qui travaillent, mais qu'ils sont doués d'une grâce quasi-divine (qui dit création dit créateur, c'est du vocabulaire religieux). Et cette grâce, toi, tu l'as pas, t'es pas comme Ella, et c'est même pas la peine que t'essayes. Les neurologues appellent ça de l'impuissance acquise. Cette petite voix dans ta tête qui te dit « même pas en rêve. » Tout ça parce qu'en appelant « créateur » (beurk!) des personnes qui sont en réalité des auteurs (du latin auctor, "celui qui pousse à agir") ou des artistes (même étymologie qu'artisan, "celui qui maîtrise une technique"), on t'empêche de penser la dimension sociale et politique du travail artistique. Bref, je m'énerve, c'est pas étonnant j'ai pas encore pris mon café... J'y vais et on parle de la SACEM, plutôt en bien d'ailleurs.

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Je passe diplomatiquement sur l'édito de Jean-Claude Petit, une seule phrase suffit à montrer la vanité du texte (toujours au sens étymologique) :

De même que la liberté d’expression continue d’être à la base de notre droit, plus de deux siècles plus tard, c’est le droit d’auteur qui structure la propriété intellectuelle en se concentrant sur la protection des droits moraux et patrimoniaux du créateur.

En résumé, il a rien dit. Relis la phrase, tu verras, en fait elle est drôle, mais c'est pas volontaire.

Non, le vrai truc intéressant pour nous ici est l'excellente nouvelle que la SACEM travaille avec IBM sur une possible solution à base de #blockchain (p.13) :

En 2017, la Sacem a uni ses forces avec l’ASCAP (États-Unis) et PRS For Music (Royaume-Uni). Les trois sociétés ont collaboré avec IBM en exploitant la technologie blockchain pour gérer, entre autres, les liens entre les codes ISRC (International Standard Recording Codes) des enregistrements musicaux et les ISWC (International Standard Work Codes) des œuvres musicales. Les travaux ont porté sur des tests de charge afin de pousser la technologie dans ses limites.
Ces tests ont confirmé l’intérêt de la blockchain pour créer une base facilitant l’identification des œuvres.
Prochaine étape : construire un produit qui pourra servir l’écosystème des organismes de gestion collective et plus largement l’industrie musicale.

Concrètement, cela se traduit dans un premier temps par la mise en place de la plateforme Urights, qui est bien accessible en ligne, mais dont on ne sait encore pas trop ce qu'elle fait exactement. Dans un communiqué publié lors de la mise en place du projet en avril 2017, l'ASCAP avait été un poil plus loquace en précisant :

Under the initiative, data and technology teams from SACEM, ASCAP and PRS for Music are working with IBM, leveraging the open source blockchain technology from the Linux Foundation, Hyperledger Fabric

Donc, on sait au moins que cette solution, d'une part, s'appuie sur un projet open source, ce qui et plutôt rassurant, et, d'autre part, que la #blockchain utilisée permet les contrats intelligents.

Le rapport de la SACEM nous apprend également que ce partenariat avec IBM a été mis en place pour dix ans, ce qui est raisonnable, et aussi que, sous la direction de Pascal Roche, l'enjeu consiste à :

(...) poursuivre la modernisation des outils informatiques, pour les sociétaires et clients de la Sacem, et de maîtriser le défi de l’intégration des technologies que représentent les Big Data, la blockchain et l’IA.

Or, Watson, l'intelligence artificielle d'IBM fait des merveilles dans bien des domaines, de la recherche scientifique à la lutte contre la criminalité en passant par de très amusantes recettes de cuisine (le site semble hors-service au moment où j'écris). Et, à titre personnel, j'ai le sentiment que les contrats intelligents sur blockchain, de même que les crypto-monnaies, ne décolleront véritablement que lorsque ces techniques auront réalisé la jonction avec l'intelligence artificielle. En effet, elles sont encore un peu trop diffciles à mettre en œuvre « à la main » pour rencontrer une adoption massive. On le sait bien, à la fin, c'est toujours l'ergonomie qui gagne.

Mais en faisant tout ça, on se dit quand même que la SACEM met le doigt dans un drôle d'engrenage...

Il y a quelques jours, j'écrivais ici que l'une des voies d'avenir pour de jeunes auteurs consistait à tenter de hacker la SACEM. Et voilà qu'elle se hacke toute seule.

Vouloir pister l'utilisation des œuvres par blockchain est une très bonne chose, il n'y a pas l'ombre d'un doute sur ce point.

Pour le peu qu'on en sait, il semblerait que la #blockchain mise en place est une chaîne privée. Fondamentalement, une blockchain privée n'est rien d'autre qu'une base de données. Avec un avantage qui est qu'elle est infalsifiable.

Je reformule avec des détails :

  • Une blockchain : en (très) gros, c'est une base de données dans laquelle la lecture est gratuite mais l'écriture à un coût. (pour les détails, demande à Google).

  • Privée : signifie que seules les personnes dûment autorisées peuvent y accéder, soit en lecture soit en écriture. C'est le contraire des plus connues, comme celle du Bitcoin par exemple, où tout un chacun peut savoir ce qui s'y passe. L'anonymat des cryptomonnaies est en majeure partie un mythe, mais c'est une autre histoire.

  • Infalsifiable : c'est inhérent à cette technique. L'intérêt est de pouvoir travailler et échanger en confiance avec des partenaires, même si leur moralité est présumée à géométrie variable. C'est ce qui a poussé Carrefour à utiliser la même technique pour la traçabilité des volailles.

De plus, la technique retenue par la SACEM et IBM permet les contrats intelligents. C'est à dire qu'en plus de banales informations, on peut stocker dans cette base de données, un véritable programme informatique qui va s'exécuter lorsque certaines conditions sont remplies.

Ceci ouvre donc la porte à la mise en œuvre automatique de la collecte des droits auprès des utilisateurs de musique en ligne, et on pense en priorité aux plateformes de streaming, mais aussi de la répartition, c'est à dire du versement de leurs droits aux auteurs.

Sauf que, et c'est là que je pense que la SACEM s'auto-hacke, si contrat intelligent il y a, et si les plateformes de streaming jouent le jeu, elle ne sert en définitive plus à grand chose.

Toutefois, pour en arriver à cette conclusion, j'ai sauté une étape et volontairement ignoré un élément. L'outil en train d'être mis en place ne semble concerner que l'échange d'information. Il n'est apparemment pas question d'une quelconque monnaie ou jeton attaché à cette blockchain qui permettrait de transférer également de la valeur.

C'est sur ce point que je vois un problème fondamental, toujours le même en fait, qui est l'exclusion totale de la pratique artistique amateur ou semi professionnelle. Tu sais, toutes celles et ceux qui, de part le monde, n'accèdent pas au statut de « Créateur » (beurk!). Ceux qui se filment chez eux, bricolent leur musique ou celle des autres avec les moyens du bord. Toutes ces pratiques qu'on veut faire taire, en faisant pression sur la technique (DAVDSI) et comme ça ne marche pas, sur les personnes elles-mêmes (HADOPI) et comme ça ne marche toujours pas, sur les intermédiaires qui leur permettent de diffuser leur « non-création » (article 13).

Alors que la #blockchain permettrait de monétiser tous ces usages

Car, chers amis de la SACEM, en mettant le doigt dans l'engrenage blockchain, et c'est super on ne le dira jamais assez, vous commencez à comprendre l'intérêt de la décentralisation. Spotify, Deezer, Facebook ou Youtube seront demain ce que MySpace est aujourd'hui.

De même, il est largement possible que Bitcoin soit aux cryptomonnaies ce qu'AltaVista est aux moteurs de recherche.

Pensez-y. Le seul rôle, unique mais essentiel et indispensable, qui restera à une SPRD (Société de Perception et de Répartition des Droits), sera celui de garant de l'identité de l'auteur d'une œuvre. D'après le rapport d'activité, la SACEM a 1448 salariés. Il en restera moins de 50 car, même la musique diffusée en public (bars, discothèques, concerts) sera analysée automatiquement. Ce mécanisme est déjà mis en œuvre comme le détaille le rapport page 23.

Mettre une blockchain en place est génial, c'est un premier pas décisif. Il faut à présent aller au bout de la démarche en l'ouvrant à toutes les formes d'expression artistique musicale (cover, remix, sampling, mashup, etc.) et surtout à tous les partenaires possibles, ce qui est loin de se limiter aux acteurs centralisés qui dans un proche avenir ne seront plus les mieux adaptés face aux nouveaux acteurs innovants.

Et comme j'aime bien finir par un exemple, prenons Sociall.io, un des potentiels concurrents décentralisés de Facebook. Aux dernières nouvelles, la bêta ouvrira au public fin août.

Le rapport 2017 de la SACEM nous informe qu'un nouvel accord a été passé avec Facebook (p.12). Cela est possible parce que Facebook héberge les contenus publiés par ses utilisateurs et peut donc avoir un contrôle dessus. De même, en tant qu'entreprise centralisée, Facebook possède une hiérarchie administrative qui permet d'avoir un interlocuteur unique susceptible de prendre une décision qui va s'imposer à tous.

Avec les nouveaux réseaux sociaux comme Sociall.io, il est bien sûr toujours possible de passer un accord pour adapter ou modifier tel ou tel point de son fonctionnement. Mais le mécanisme est différent et d'une certaine manière beaucoup plus simple puisqu'il « suffit » de récupérer le code source de la plateforme et d'y effectuer soi-même les modifications souhaitées. Ces modifications seront alors soumises au vote de l'ensemble des utilisateurs. Ceux qui ne s'estiment pas assez compétents pour se prononcer sur des sujets aussi techniques peuvent déléguer leur vote à une personne de leur choix. C'est ce qu'on appelle parfois la « démocratie liquide ». Chacun peut se prononcer sur toute question à l'ordre du jour ou choisir de déléguer son vote sujet par sujet.

Le même type de fonctionnement sera appliqué au contenu du réseau. Chacun pourra devenir modérateur et être rémunéré pour le service rendu. En cas de litige sur le bien fondé de maintenir tel ou tel contenu disponible, un vote des modérateurs tranchera, avec une majorité fixée à 90%.

Ce ne sera peut-être pas ce réseau là qui fera histoire, mais c'est en tout cas une claire indication du fonctionnement général des services en ligne de demain. C'est à ça qu'il faut se préparer.

Dans l'intervalle, on ne peut, quoi qu'il en soit, que saluer comme il convient cette noble initiative et espérer qu'elle inspire l'ensemble des acteurs du secteur.

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